Chikh Belghazi Benaceur, n’est plus

Ecrit par: HAMZAOUI Abdelmalek*

(Extrait d’un nouveau livre sous impression)

Belghazi Benaceur, s’avère être un grand artiste amazighe, né vers 1940, à Ait Sidi Hsaïne, branche de la tribu des Ait Hdiddou, qui s’est sédentarisée au cœur des tribus arabophones dans le territoire de la commune rurale de Sidi Abdellah Lkhiyat, cercle de Moulay Driss Zerhoune, dans la province de Meknès.

Ce grand violoniste fût influencé durant sa jeunesse par le fondateur de la première école classique de la chanson et de la musique amazighe, au Moyen Atlas, le vétéran Ouâassim Hammou Ou Lyazid puis ses deux compatriotes, les violonistes : chikh Ou Sidi Benaceur Lhajeb et chikh Mohamed qui lui dispensaient des cours de musique et de chant selon la méthode traditionnelle ; c’est-à-dire par l’usage de la transmission directe et en totale ignorance du solfège, ainsi que nous l’entendrions au sens moderne du terme.

Belghazi Benaceur a commencé à s’initier au violon artisanal, qu’il a façonné de ses propres mains, dés l’âge de quinze ans. Ainsi ses débuts dans le domaine artistique ne se propageaient pas au-delà d’un cercle restreint composé exclusivement de ses amis d’enfance. En 1958, lorsqu’il sentit que son initiation, vers l’âge de dix-huit ans,  avait pris fin, il se hasarda à se produire hors de son douar. Cette expérience fut couronnée de succès lors de sa participation à l’animation d’une grande fête au lieu dit : Tizi n Taghate, dans la région de la ville d’Ifrane.

Amoureux de l’aventure et cherchant constamment à assurer sa subsistance, l’anazur Belghazi Benaceur, en 1963, intégra, à Casablanca, un swirti (terme emprunté à la langue espagnole, suerte, qui signifie « chance » ; lieu où les gens pratiquaient les jeux de hasard). Ce *swirti* dans lequel Belghazi était embauché pour présenter des intermèdes artistiques au public, en compagnie de sa troupe de chikhate de fortune, auquel s’adjoignait  son fidèle ami tambourinaire, Ssi Ali, qui exerçait aussi les fonctions de* fqih*, effectuait des rotations entre les villes de Casablanca et Agadir.

Le propriétaire du swirti, avait des amis qui venaient lui rendre visite fréquemment et que Belghazi Benaceur a eu l’occasion de connaître par le biais de son patron. Parmi  ces personnes il y avait un certain Rachid Laâtabi qui était fonctionnaire de la RTM, au temps où Ziyani était directeur de la station. Ne voulant pas laisser échapper cette occasion, notre artiste demanda alors à Ssi Rachid s’il pouvait lui aussi enregistrer quelques chansons comme ses prédécesseurs. La réponse, toujours en 1963, ne tarda pas à se faire connaître afin de permettre à Belghazi de faire sa première entrée dans les locaux d’Ain Chok de la RTM, à Casablanca. Il passa donc à la télévision nationale marocaine, la seule d’ailleurs à l’époque. Il était le premier artiste amazighe du Moyen-Atlas, accompagné de sa troupe, à paraître à l’écran. Ce qui fut considéré comme une chance unique, à un moment où la culture amazighe n’avait pas une grande valeur pour les pouvoirs politiques marocains de l’époque.  Sa première chanson, diffusée à la télévision, était constituée d’un mélange de paroles en dialectal marocain et en tamazight.

Grâce à son intelligence, ce grand artiste a su satisfaire tous les goûts du public marocain. Pour ne citer qu’un exemple, afin d’illustrer nos propos, nous reprenons un extrait d’une chanson demeurée ancrée dans les mémoires jusqu’à nos jours.

  • awa kwani awa chwani  (‘’awa’’, en tamazight et le reste en dialectal marocain).
  • ata kwani ata a mama nou (‘’kwani’’, en dialectal marocain et le reste en tamazight)
  • awa kwani b 3younou (‘’awa’’, en tamazight et le reste en dialectal marocain).

Cette chanson fût transférée des studios de Ain Chok à Casablanca, à la radio amazighe de Rabat qui ne la pas conservé longtemps en raison des paroles  en dialectal marocain.

En 1964, chikh Belghazi Benaceur était convoqué sur les ondes de la radio amazighe à rejoindre les studios de cette dernière,  en vue d’enregistrer ses chansons en compagnie de son groupe. Il était reçu par monsieur Lhoussaine Berrahou qui travaillait à l’époque à la RTM (radio) aux cotés de Fadili Hmmadi Lyazid, Akharfi ben Brahim et le jeune Ouâali Ouassaddine. A ce tournant historique de sa vie il a enregistré six chansons parmi lesquelles on peut noter :

  • A yma nou mani gher idda usmoun
  • Amiden ma ggane winou n3ma

Au milieu des années soixante, Driss Belkacem qui occupait le poste de chef de la programmation, au département de la radio amazighe de la RTM, convoqua plusieurs chefs de groupes d’artistes à rejoindre Rabat pour enregistrer des chansons amazighes afin de constituer l’archive de la dite radio, peu fournie à cette époque. Les inazurn qui ont répondu favorablement à cet appel étaient nombreux. Ceci étant, nous axerons notre étude, pour des raisons de commodité, sur certains des musiciens les plus connus en ce temps-là.

– D’El Ksiba, Roudani Cherki, Mimoune Outouhane Lbaz Benaceur, originaire de Tounfite – sans oublier le violoniste Belghazi Benaceur. Ces artistes séjournèrent presqu’un mois à Rabat pour les raisons déjà citées auparavant. A l’occasion de ce long séjour, ils purent faire plus ample connaissance entre eux. C’est à ce moment particulier que notre artiste a pu enregistrer dix-sept succès retentissants et inoubliables avec l’aide de sa troupe, composée de son ami feu Ssi Ali, son seul et unique tambourinaire, ainsi que de ses accompagnatrices, les chikhate de Ain Leuh.

Durant sa vie d’artiste, notre violoniste à constitué plusieurs groupes qu’il a présidés. C’était un homme plein de ressources, jamais à court d’idées, qui dénichait les tinazurine, dans la mesure où il était capable de trouver un tambourinaire ( bu wallun) et des chikhate là où il se rendait. En ce sens, certains faits  méritent d’être connus par les lecteurs qui s’intéressent à son parcours artistique qui a duré plus de quatre décennies.

  1. Lors de son premier passage à la télévision, Il a trouvé des tinazurine amazighes, issues du Moyen-Atlas qu’il a employées comme chanteuses dans la chorale, ainsi que des danseuses de la région d’Agadir, incorporées judicieusement au groupe déjà constitué et fait en sorte que personne ne s’aperçoive de ce mélange de chikhate issues du Maroc central et du sud.
  2. Il a enregistré à maintes reprises à la radio citée auparavant, en alternant les chikhate d’Ain Leuh avec celles de Khenifra, d’Azrou ou d’El-Hajeb.
  3. Certaines fois, pour animer une soirée ou une fête, il n’hésitait pas à se faire accompagner du premier tambourinaire et des femmes-artistes qui se présentaient au pied levé. Tel fut le cas en 1988 lorsqu’il rencontra fortuitement, dans le village de Sidi Aâdi à coté d’Azrou, Ouassaddine Ouâali, fonctionnaire et responsable à la radio, chargé de la collecte des chansons amazighes du Moyen-Atlas et qui lui demanda s’il avait de nouvelles créations musicales à enregistrer. La réponse de Belghazi, à n’en pas douter, fut positive. Cependant, il émit un bémol pour confirmer que sa voix s’était détériorée et qu’en sus de cet aléa, il était important de trouver des chikhate pour chanter ainsi qu’un tambourinaire pour assurer le rythme. Grâce à l’aide inespérée d’une tanazurt, Mina n’ Sidi Aâddi, les deux hommes trouvèrent un compromis. Ainsi, le tambourinaire et comédien Lahcen Azayyi qui se trouvait lui aussi à cette époque à Sidi Aâdi, fût convoqué pour sauver la partie. Concernant les chikhates, Mina en fit son affaire dans l’immédiat et, tout naturellement, prit sa place au milieu du groupe constitué sans consultation préalable au sein de son domicile sis dans son village natal.

Parmi les chansons enregistrées à cette occasion par le duo, Belghazi Benaceur et Lahcen Azayyi, en compagnie de chikha Mina, en 1988, on remarque celle-ci.

  • yach a yma lach taba3kh ikkha oubrid nech yach a yma cheg a your tli tassa.       
  • awa kikh wa kikh koul dounit imouray nech ay asmoun ussat i jjine      

Ce grand musicien chanteur reconnaît que la plupart des succès qu’il a enregistré en son nom, à la RTM, ne lui appartenaient pas en réalité ; ce qui s’explique par le fait qu’autrefois la notion de piraterie ou de propriété intellectuelle était inconnue en pays amazighe.

Rétrospectivement, nous avons évoqué précédemment seulement quatre noms d’artistes célèbres qui ont répondu à l’appel lancé par la radio amazighe dans les années soixante, parmi lesquels se trouve celui de Belghazi Benaceur.  Notons au passage que le fait de ne pas avoir mentionné les autres artistes, ne signifie nullement que nous les avons oublié; seulement, il y a pléthore et une étude ne suffirait pas à traiter de tous les artistes qui ont évolué depuis des décennies.

Nous avons mis l’accent sur les inazurn du village d’El Ksiba dans la mesure où, en ce temps-là leur présence était sur-représentée, grâce à leur compatriote, le fonctionnaire travaillant à la radio monsieur Ouassaddine Ouâali. Durant un mois les enregistrements s’étaient succédés; à tour de rôle nos artistes ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Une fois les interventions individuelles épuisées, des duos s’étaient formés sur place pour d’autres productions. Tout un chacun voulait collaborer avec Belghazi Benaceur. La raison de cet engouement pour cet artiste réside dans le fait que Belghazi était le seul violoniste privilégié, avec les joueurs de luth Cherki et Lbaz Benaceur. Il avait pu surpasser  tous les autres musiciens. Il composa également avec Mimoune Outouhane qui jouait de *loutar* et c’est ainsi que, toujours sous la tutelle Ouassaddine Ouâali, d’autres enregistrements en duo commencèrent ; notamment avec :

  • Cherki – Belghazi Benaceur, dans :
    a – may illa badad am nk
  • 2- Lbaz Benaceur – Belghazi, dans cinq chansons parmi lesquelles :
    a- sal imjerben sal talba bar chane oussafar ouma y adbib innayi badad our ghourse cha n’tsoura
  • Mimoune Outouhane – Belghazi, dans :
    a- inas wahya inas wakha

Un grand parcours artistique comme celui de Belghazi ne peut pas se résumer en quelques lignes succinctes car il reste encore beaucoup de choses à découvrir, à étudier et à faire connaitre aux générations actuelles et à celles à venir. Une vie très mouvementée et pleine d’aventures que lui-même confirme. Un pilote de ligne marocain raconte qu’en 1975 des troupes « folkloriques » amazighes, de retour de  France, ont embarqué à bord d’un vol de la Royal Air Maroc qui assurait la liaison entre Paris et Casablanca. Parmi les passagers il y avait une artiste qui chantait à haute voix. Une voix douce et percutante que tout l’équipage apprécia et que tous les passagers encouragèrent par leurs applaudissements. Il est à signaler, toujours d’après le narrateur, que tous les voyageurs ont quitté leur siège pour s’approcher de cette dame qui n’était autre que la diva Hadda Ouâakki à qui l’une des hôtesses de l’air remit un microphone sur instruction du commandant de bord afin de faire profiter tous les passagers de cette voix mélodieuse et sublime. De même, en agissant ainsi, le commandant de bord voulait que chacun profite de cette opportunité en restant assis à sa place afin de ne pas perturber le vol. Hadda était accompagnée lors de sa prestation de son violoniste, Boujmâa, le percussionniste Benaceur Ou Khouya et  du maître violoniste,Belghazi Bennaceur. La prestation durera tout le long du voyage. Elle avait commencé dans les cieux français et elle s’acheva par l’atterrissage sur le sol Marocain.

Ce témoigna consacré à l’anazur Belghazi Benaceur, artiste amazighe du Moyen-Atlas, aussi modeste soit-il, ne peut se conclure sans un rappel de quelques étapes-clés qui ont marqué sa vie d’artiste.

1-Il fut le premier à passer à la télévision nationale de 1964 à 1972. Ceci étant, Hammou Ou Lyazid était passé en second sur la même chaîne, en 1967.

2-Il voyagea en Europe, en 1966, dans le cadre d’une tournée artistique organisée par la société Ait Mzale. Ce voyage était composé de trois troupes artistiques marocaines : le groupe de notre musicien accompagné de chikhate d’El-Hajeb et de son fidèle tambourinaire précité, une troupe du Souss qui comprenait les rways : Ouahrouch, Bounssir et Amntague… et la dernière troupe était originaire de Marrakech.

3-Il a également animé plus de trente-et-une fêtes du trône qui se célébraient tous les trois mars de chaque année.

La radio amazighe compte dans ses archives plus de cinquante-cinq (55) chansons  du grand Belghazi Benaceur, et à vrai dire la RTM (SNRT) a tiré profit de cet artiste plus qu’il n’en a tiré lui-même. Durant ses débuts, il avait toujours en tête qu’il devrait atteindre un jour le niveau de ses prédécesseurs, à l’instar de Hammou Ou Lyazid qu’il a connu dans les locaux de la radio, grâce à ses succès depuis1954 ainsi que chikh Ou Sidi Benaceur Lhajeb, Moha Oumouzoun, Benaceur Ou Khouya…Il ne pouvait pas combattre l’idée qui l’a hanté que les artistes cités étaient ses concurrents.

Belghazi Benaceur, aimait  l’une de ses anciennes chansons. Il l’a préfère à toutes ses productions. Il continuait, malgré son âge avancé, à la fredonner en silence car elle lui rappelle sa jeunesse…

  • wnna y3ma bada dam nk a mma nou adas asikh lmouzit nali 3ari                                                   

Le grand Belghazi Benaceur qui a débuté presque toutes ses chansons par une tamawayt  récitée à voix douce, accompagné d’une mélodie émanant de son violon qu’il a vendu il y a plus de dix-huit ans, après avoir réalisé que l’art n’était pas le bon chemin qu’il fallait suivre pour ne pas se retrouver actuellement à l’âge de presque soixante-dix sept ans sans revenu quotidien ni retraite. Tous ses droits artistiques et surtout matériels se sont envolés. Lui qui était poète, parolier, compositeur et chanteur ; un homme-orchestre à lui seul, se retrouve démuni, faute d’avoir assuré ses arrières.

Avant de clore cette recherche, il s’avère qu’il est de notre devoir de cité le frère cadet de chikh Belghazi Bennaceur, Driss, qui a essayé lui aussi de devenir artiste mais en vain.

Le grand artiste Amazighe Belghazi Benaceur nous a quitté a jamais le 20 Janvier 2017 pour être enterré dans son village natal Ait Sidi Hsaïne le 21/01/2017 après avoir vécu dans une extrême pauvreté depuis qu’il s’est retiré de la scène artistique vers la fin des années quatre vingt dix.

Hommage à Belghazi Benaceur, l’un des vétérans du chant instrumentalisé Amazighe de la région de Fazaz,

A Dieu nous appartenant et à lui nous retournerons.

* Écrivain et chercheur et Président de l’Alliance Marocaine des Ecrivains Amazighes

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2 Commentaires

  1. AZUL FELLAWEN ,
    anazur zi belghazi bensaceur assifk rabi talwit ,iyrit g’talmat-is ,ifkes daa itwacult-is tanemirt ar timlillit

  2. vous avez bien raconté l’apérçu de cette histoire de l’un des « anazurn » comme Belghazi Bebnnaceur, ns vs remércions beaucoup et je vous demande de bien vouloir ns raconter celles des autres comme Benneceur oukhouya, Hadda ouakki, Moha oumouzoun, Hammou elyazid et autres, ils sont nombreux ,vous ns réjouisser autant si vs pouvez le faire et enlevez ainsi le rideau sur leur vie que beaucoup ne connaissent pas et Merci d’avance !….

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