Les Marocains solidaires et non solitaires en temps de pandémie

Par: Dr Mohamed Chtatou

Le Maroc a déclaré l’état d’urgence sanitaire et le confinement à 18 heures le vendredi 20 mars pour contenir la propagation de Covid-19, après que le pays ait enregistré son premier cas positif le 2 mars. Le gouvernement a très vite décidé d’une série de mesures, qui n’ont été mises en place dans les pays européens qu’au stade 2 ou 3 de la pandémie.

Mesures progressives pour lutter contre le Covid-19

Depuis l’annonce mardi 17 mars de l’apparition de foyers locaux au Maroc, le pays est passé à la vitesse supérieure en termes de mesures visant à maintenir le coronavirus sous contrôle.

Le gouvernement marocain a commencé à communiquer sur l’évolution de la pandémie depuis la fin du mois de janvier. À cette époque, les autorités ont annoncé une série de mesures visant à limiter les risques. Parmi celles-ci figurait l’introduction de contrôles sanitaires dans les ports et aéroports internationaux.

Des craintes avaient également été soulevées avec l’annonce du rapatriement des étudiants marocains bloqués dans la province de Wuhan, en Chine, en raison de la quarantaine de la ville, épicentre de la pandémie.

Le 28 janvier, le premier avion en provenance de Pékin est arrivé à Casablanca et les voyageurs ont été accueillis selon un système strict mis en place (prise de la température à l’arrivée, caméras thermiques, etc.). Les rapatriés ont été placés en quarantaine et sous surveillance médicale jusqu’au 22 février.

Covidis-19, zéro touriste au Maroc

En outre, les premiers tests au sein de la population ont été effectués début février. Le ministère marocain de la santé a ensuite commencé à publier les chiffres sur les réseaux sociaux et dans les médias. C’est dans la soirée du 2 mars que le ministère a annoncé l’enregistrement du premier cas positif sur 29 cas suspects. Il s’agit d’un Marocain résidant en Italie qui a été soigné à l’hôpital Moulay Youssef de Casablanca.

Les annonces se succèdent presque quotidiennement à partir de cette date. La population testée est passée de 33 personnes le 3 mars à 387 le 20 mars. Le premier décès a été annoncé le 12 mars.

Le 13 mars, le Maroc annonce la fermeture « jusqu’à nouvel ordre » des liaisons aériennes et maritimes avec la France et l’Espagne, ainsi que de ses frontières terrestres avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla pour empêcher la propagation de Covid-19. Pourtant, le pays est encore au stade 1 de la pandémie.

Une étape importante a été franchie le 14 mars, lorsque le nombre de cas positifs a doublé du jour au lendemain (1er mars : 7 cas confirmés, 14 mars : 18 cas, et 16 mars : 37 cas). Cependant, il est très difficile d’interpréter ces chiffres à ce jour, car seules les personnes testées sont comptabilisées et il n’y en a pour l’instant que quelques centaines.

Dans une interview télévisée, le chef du gouvernement marocain, Saad Eddine El Othmani, a tenté de rassurer la population, tout en essayant de rappeler l’importance des gestes de barrière afin de ne pas encombrer les hôpitaux.

La commission de travail conjointe entre le ministère de la santé et l’association des cliniques privées s’est réunie le mercredi 18 mars pour discuter de la mobilisation des ressources des cliniques privées au profit des hôpitaux publics.

Jusqu’au 17 mars, les autorités marocaines avaient favorisé l’enfermement volontaire des citoyens. Les appels se multipliaient de la part du ministère de la santé et du personnel soignant pour inviter les Marocains à s’isoler afin de ne pas accélérer la courbe de contamination. Le hashtag #restecheztoi est reproduit en arabe et en français sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision et de nombreuses radios publiques et privées ont été mobilisées pour éduquer la population sur la façon de se protéger.

Cependant, le pays est passé à un autre niveau d’alerte avec l’annonce, le 18 mars, de la découverte de foyers de contamination locale. L’apparition de « grappes » confirme généralement le passage au stade 2 de la pandémie. Néanmoins, le Maroc a jusqu’alors anticipé en prenant des décisions qui relèvent de l’étape 2 ou 3 alors qu’il n’était qu’à l’étape 1, comme la suspension des liaisons aériennes, par exemple.

Et le vendredi 20 mars, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré, qui est entré en vigueur ce jour-là à 18 heures, avec des mesures exceptionnelles prises pour limiter les déplacements de la population jusqu’au 20 avril, quelques jours avant le début du Ramadan, la période de jeûne musulman d’un mois. Avant que le gouvernement ne décrète l’ordre de rester à la maison, les restaurants, les cafés, les commerces non essentiels et les mosquées étaient tous fermés au public.

Certains islamistes rejettent la fermeture

Les salafistes Abou Naim, Hassan El Kettani et Omar Haddouchi se sont opposés à l’appel à la fermeture des mosquées marocaines comme mesure préventive contre la propagation du coronavirus. Des appels qui font suite à plusieurs fatwas, comme celui du Conseil supérieur des Oulémas du Maroc, qui a émis un avis favorable.

Dans une vidéo sur Facebook le 12 mars, le cheikh salafiste Abou Naim a invité le Conseil supérieur des Oulémas et la Rabita Mohammedia pour les Oulémas à « parler plutôt des lieux de jeux, de vente d’alcool et de débauche (…) où se propagent des maladies mortelles, au lieu de parler des mosquées« .  »

« C’est un scandale« , a-t-il déclaré, considérant que « l’épidémie n’a pas atteint un niveau dangereux qui nécessite la fermeture des mosquées« . « La fermeture des mosquées n’est pas une nécessité et je mets en garde le ministère et les institutions de contrôle contre cette mesure« , a-t-il poursuivi. « Le pays qui ferme ses mosquées renonce à sa religion… Ne méprisez pas la mosquée ou Dieu vous punira« , a ajouté avec insistance Abou Naim.

Par ailleurs, le 15 mars, le salafiste marocain Hassan El Kettani a contesté les appels à la fermeture des mosquées au Maroc comme mesure préventive. Sur sa page Facebook, il a cité une fatwa, qu’il a qualifiée de « majestueuse« , du cheikh koweïtien Hakem al-Mutairi, critiquant les opinions d’autres oulémas sur la fermeture des mosquées et la suspension des prières de groupe par crainte de propager le virus.

La fatwa en question considérait ces appels comme « l’effet de la culture occidentale, laïque et matérialiste qui a fait de l’homme une marchandise que nous avons peur d’endommager« . « La présence de l’épidémie ne nécessite pas de diligence ni de nouvelle fatwa« , a ajouté Hakem al-Mutairi. Il a rappelé que « l’épidémie et la peste étaient courantes à l’époque du prophète Mohammed, mais il n’a jamais autorisé la fermeture des mosquées ou la suspension de la prière collective« . « Le Prophète Mohammed a déconseillé de voyager ou de quitter les pays touchés par la peste et a conseillé d’éviter tout contact avec les personnes touchées« , conclut le rapport.

Pour confirmer sa position, Hassan El Kettani a également cité une fatwa du cheikh Mauritanien Mohamed Hassan Al Dadew, qui a déclaré le 12 mars que les mosquées ne devraient pas être fermées, en se référant à un hadith du Prophète de l’Islam autorisant la prière en groupe même si seulement trois personnes sont présentes.

Étonnamment, cependant, Al Adl wal Ihsane, le parti politique islamiste non autorisé, toujours critique envers l’establishment, avait choisi de soutenir les décisions prises par le gouvernement El Othmani pour faire face au coronavirus, mais sans le nommer.

Par la voix de son responsable des droits de l’homme, Al Adl wal Ihsane   « salue le peuple marocain pour son adhésion aux mesures de protection et de prévention pour éviter la propagation de la pandémie » et « lui demande de continuer à s’engager » sur cette voie, a-t-il déclaré dans un communiqué.

Al Adl wal Ihsane a saisi cette occasion pour rendre un vibrant hommage « à tous les professionnels de la santé, aux responsables administratifs et à tous ceux qui contribuent à protéger les citoyens, à soigner les patients, à assurer la continuité de l’activité économique et à répandre l’esprit d’unité et de solidarité entre les membres de la société« .

Al Adl wal Ihsane a appelé, aussi, en concert avec les organisations des droits de l’homme au Maroc et en Europe, à « la libération de tous les prisonniers politiques et autres dans l’intérêt public pour les protéger de la propagation de la pandémie dans leurs rangs« .

La publication de ce communiqué de presse intervient deux jours après les rassemblements de certains islamistes récalcitrants qui ont eu lieu dans certaines villes du royaume dans la soirée du samedi 21 mars, au lendemain du déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, en opposition au décret de maintien à domicile et à la fermeture des mosquées dans tout le pays pour arrêter la progression du virus.

Impact économique

L’impact économique de Covid-19 sur le Maroc peut être considérable. Néanmoins, la réponse du gouvernement pour contenir les effets attendus a été rapide. Dans une note sur les impacts économiques du Covid-19 au Maroc attribuée à la section commerciale de la délégation de l’Union européenne, cette dernière a passé au peigne fin toutes les mesures prises par l’État. Elle montre également que l’impact du Covid-19 varie selon les secteurs.

La note du 26 mars 2020 précise qu’en tant qu’économie basée sur la consommation, le commerce et le tourisme, le Maroc pourrait connaître des pertes importantes en 2020. Jusqu’à présent, les principaux secteurs touchés sont le tourisme, l’automobile et le textile. Le transport et le transit des marchandises se déroulant normalement, l’impact du Covid-19 sur le commerce semble avoir été freiné pour l’instant. Il note également qu’étant fortement dépendante de l’économie européenne, l’activité économique du Maroc sera inévitablement touchée par le déclin de la croissance européenne. En effet, l’UE représente plus de 58% des exportations marocaines, 59% du stock d’IDE, 70% des recettes touristiques et 69% des transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), souligne le document.

Le tourisme est l’un des secteurs qui ressentent pleinement l’impact de la diffusion du Covid-19. A ce titre, la Confédération nationale du tourisme (CNT) a évalué l’impact de la crise de Covid-19 à 34,1 milliards de dirhams de perte en termes de chiffre d’affaires touristique en 2020 et à 14 milliards de dirhams de perte en termes de chiffre d’affaires pour l’hôtellerie, soit une baisse globale de près de 6 millions de touristes (-98%), ce qui entraînera une perte totale de 11,6 millions de nuitées, rappelle le document en précisant que pas moins de 500 000 emplois et 8 500 entreprises seraient menacés, dont les entreprises d’hébergement touristique classé, les entreprises de restauration touristique, les agences de voyage, les entreprises de transport touristique et les entreprises de location de voitures.

Le secteur des transports souffre également. En ce sens, l’Association internationale du transport aérien (IATA) explique que la pandémie pourrait entraîner au Maroc des pertes de l’ordre de 4,9 millions de passagers en moins et un manque à gagner de 728 millions de dollars. « La perturbation du trafic aérien pourrait également mettre en danger plus de 225 000 emplois« , indique le document. Le transport routier et ferroviaire devrait également être touché par la crise suite à l’interdiction générale de circulation des véhicules de passagers à partir du 24 mars.

Covid-19 et cohésion sociale

L’opération d’indemnisation des salariés privés d’emploi en raison de la crise sanitaire due au coronavirus sera entièrement financée par le Fonds spécial pour la gestion de la pandémie. Le dernier délai pour le dépôt des déclarations des salariés sans emploi est fixé au vendredi 3 avril.

Dans une déclaration à la MAP (agence de presse officielle), le ministre du Travail et de l’Insertion professionnelle, Mohamed Amekraz, a indiqué que plus de 700 000 salariés en situation d’arrêt de travail, se sont inscrits le 1er avril à 17h00 pour recevoir la somme forfaitaire de 2 000 DH de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Le ministre a indiqué qu’un total de 113.000 entreprises ont déclaré un arrêt temporaire de travail depuis le 15 mars en raison de la crise Covid-19.

Contrôle strict aux frontières

Le nombre de salariés inscrits à ce jour sur le portail covid19@cnss.ma dépasse de loin les prévisions du Comité de veille économique (CVE) de l’état. En se référant aux secteurs touchés par les conséquences du coronavirus, le CVE avait prévu une population cible d’environ 430 000 salariés, pour un montant total d’indemnisation estimé à 4 milliards de dirhams (de la date du 15 mars 2020 à la fin du mois de juin 2020).

Selon un autre bilan établi le mercredi 1er avril à midi, 111.353 entreprises ont déclaré la cessation totale ou partielle de leur(s) activité(s), ce qui correspond à une population de 688.297 salariés. Cette évaluation a été annoncée par le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, sur les réseaux sociaux.

Dès que les premières contaminations ont été enregistrées au Maroc, le roi Mohammed VI, a lancé un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie avec 250 millions de dollars US provenant de son argent propre de son holding Al Mada, le Fonds s’élève aujourd’hui à 4 milliards de dollars US avec des dons provenant de diverses entreprises, de personnalités et de personnes en général faisant preuve d’un grand sens de la solidarité nationale et du partage en temps de crise.

Le sens des responsabilités et de la cohésion sociale se reflète mieux dans l’Internet, agora de la démocratie populaire où les opinions sont partagées sans crainte. En effet, sur le web, les gens ont montré leur appréciation de la générosité du roi et de son sens du leadership, de la gestion de la crise pandémique par le gouvernement, jusqu’à présent.

Les internautes marocains ont montré leur soutien massif aux mesures d’anticipation des autorités et au rôle moteur joué par le Ministère de l’Intérieur, la police, la gendarmerie, l’armée et surtout l’Armée blanche composée de médecins, de secouristes, de paramédicaux, de services d’urgence, de la Protection civile etc.

Le Ministère de l’Intérieur n’a jamais été aussi populaire dans le pays qu’aujourd’hui, surtout après avoir envoyé ses femmes caids parler à la population par le biais de haut-parleurs pour les encourager à respecter le confinement pour leur propre bien et celui du pays. Cela a montré que les femmes peuvent être plus convaincantes que les hommes dans leurs discours publics, un fait à prendre en considération par les autorités pour les campagnes futures de communication.

Covid-19 a rassemblé les Marocains, comme jamais au paravent, gageons que cette solidarité agissante, cette cohésion parfaite et ce sens élevé de la responsabilité continuera après cette pandémie pour donner naissance à un Maroc pluriel et démocratique. Ne ditons pas en Français : A quelque chose malheur est bon.

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