Enseignement au rabais pour les démunis

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Par: Azergui Mohmed – Professeur Universitaire retraité

« Nous sommes frères par la Nature, étrangers par l’Education » Confucius

Nous avons vécu dans nos villages des monts, vallées, et plaines avec peu, dans la dignité. Chaque famille avait sa demeure, ses lopins de terre, une vache, un âne, des poules et coqs Le riche du douar, un Hajj, avait un peu plus de terres, un petit cheptel, une mule et un puits. Pour nous à l’époque la solidarité était un devoir naturel, et parmi nous pas de mendiants. Ensemble en Tiwizi nous faisions nos travaux , ensemble nous fêtions mariages et baptêmes. Nous avons quitté nos villages pour l’Ecole de nos enfants, nous subsistons en parias de cité. Dans les villes, les riches vivent à part dans de beaux quartiers chics au milieu de verdures . Bientôt comme cela se fait en. Orient arabe, ces quartiers seront barrés d’enclos anti pauvres. Ces bénis de Dieu sont dans des villas, en petites familles servies par les esclaves modernes :Caméras, chiens, gardiens, jardiniers, chauffeurs, et jeunes bonnes à tout faire.

Ils quittent leurs paradis dans de grandes voitures et nous regardent à travers vitres teintées. Ils sont nourris de produits onéreux bio, habillés à la dernière mode, et soignés en Europe.. Ils vont en maîtres dans leurs usines, sociétés, entreprises, bureaux de manitou de Makhzen. Leur progéniture est cajolée à la maison et choyée dans les crèches et maternelles de riches. Elle fréquente les Ecoles privées, ne connaît pas la misère de l’Ecole publique et sa populace.

L’Ecole d’antan était unique pour tous que l’on soit fils ou filles de pauvres ou de riches. Petits gamins nous avions tous affronté et enduré en toute égalité la férule du vicieux fquih. J’ai côtoyé dans une Ecole communale de l’Atlas (Tanalt) au début des années 50 les fils de nantis de la tribu et ceux des pauvres. A l’époque nous avions même avec nous une petite française, fille du directeur de l’Ecole un alsacien. Plus tard dans un petit collège de la plaine du Souss (Biougra) nous étions dans la même classe fils de pauvres, de riches paysans , fils de l’Amghar et même je m’en souviens très bien la fille du super caïd (ma voisine de pupitre). Arrivé au lycée My Youssef de Rabat c’est de même du moins à l’intérieur de l’établissement. Nous les fils de démunis venant de la Médina nous coudoyions sans complexe les fils des bourgeois citadins et les fils des grands paysans et notables de la région tous internes.

Pour plus d’égalité nous étions en blouses (grises pour les garçons et blanches pour les rares filles). Nous avons travaillé fort avec des profs forts. En groupes nous avons discuté, et dialogué.. Nous nous sommes réalisés par l’Ecole publique la même pour tous et certains sont arrivés. L’’ascenseur social par l’Ecole fonctionnait encore disait le regretté A Bilal. Mais par la suite nos destins se sont séparés (le népotisme du grand parti de l’époque fonctionnait à fond). L’Ecole unique d’alors permettait aux générations de bien se connaître des années durant Elle a donné à tous les mêmes possibilités d’enseignement apprentissages et de formation. Elle a permis aux meilleurs d’arriver mêmes issus de milieux démunis, l’Etat en avait besoin. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’Ecole n’assume plus son rôle social d’égalité des chances. De fait dès le départ il y a un enseignement public au rabais et gratuit pour les défavorisés à côté d’un enseignement privé de qualité, payant, pour les favorisés.

A) Préscolaire :

Les petits chérubins des riches vont dans de belles maternelles entourées de beaux jardins. Ils se retrouvent avec d’autres petits venus d’autres familles nanties du quartier et environs. A midi, en cantine, ils ont une nourriture équilibrée et suffisante suivie d’une bonne sieste.. Dans la cour ils courent, crient, rient, jasent, rivalisent, sous l’œil vigilant de leurs maitresses Elles veillent à leur donner les manières, les us, les mots, le langage élaboré de leur milieu. Ils ne sont pas nombreux en classe tout au plus une quinzaine et dans un espace agréable. Ils enrichissent leur vocabulaire, s’initient aux langues (français, arabe, anglais, et tamazight !?). Ils s’expriment par leur corps (sport), par le dessin, par la musique, les chants et le théâtre. Ils explorent le monde merveilleux des nombres et dénombrent. Ils font des travaux manuels et développent les sens et la dextérité de la main (jeux, bricolage, puzzle,
pâte à modeler). Ils font des sorties dans la nature, ils observent ainsi les êtres vivants. Ils apprennent à les aimer. Ils font ensemble leurs fêtes (anniversaire et autres) Ils partagent leurs joies en petit groupe. Au bout de 3 ans ils sont initiés à lire et écrire en français, arabe (pourquoi pas en tifinagh ! ?). Leur socialisation conformiste est assurée, ils s’habituent à leur futur statut d’élèves. Ils sont ainsi prêts à engager sans inquiétude le long cursus scolaire qui les attend avec plaisir, joie. Ils sont dès le début bien partis.

Au village nos petites filles restent près de leur mère, font le ménage, et aident aux champs. Les garçons sont envoyés dans l’Ecole coranique pour les initier aux éléments de la Religion. Dans les bidons-villes, ils sont entassés dans des cagibis malsains à la merci du bâton de fquih. Ils passent la journée à ânonner les mêmes versets saints sans en comprendre la signification. Les grands arrivent avec peine à les transcrire sur des tablettes en bois ou sur des cahiers. Au bout de trois ans ils sont initiés à faire les ablutions et prières, et réciter des versets rituels. Dans les quartiers populaires dortoirs des classes moyennes les petits sont en «maternelles ». Il s’agit souvent au mieux d’un petit rez-de-chaussée avec quelquefois une arrière-cour. Elles sont tenues par des voilées en blouses blanches sans formation adéquate aucune. En fait ce sont des lieux de garde des enfants dont les parents travaillent de la journée. Ils laissent là leurs petits le matin à peine réveillés avec juste de quoi les nourrir. Ils les récupèrent le soir fatigués prêts à s’endormir. Les petits ont vécu dans de petites salles encombrées d’enfants au milieu des cris et pleurs. Ils sont assis toute la journée car il n’y a pas de jardins et ils ne peuvent pas se détendre faute d’espace. Les siestes reposantes pour les tout petits sont impossibles dans ce milieu restreint et bruyant. Ils se disputent se battent et pleurent sous l’œil indifférent des « maîtresses ». Ce qui est visé ici c’est d’abord de garder les enfants. Ensuite les parents s’attendent à ce que leur progéniture soit initiée à l’alphabet arabe. Enfin ils voudraient qu’ils sachent compter en arabe et en français au mieux jusqu’à cent. Ils sont satisfaits si leurs petits arrivent à écrire les chiffres et dire quelques mots en français. Au bout de trois ans ces enfants ne sont jamais sortis dans la nature, n’ont pas développé leur corps et leurs sens. Ils ont contracté quelques parasites, microbes et virus. Ils ont été, grondés, punis voire frappés. Ils ne sont pas prêts à entamer le cursus scolaire qui les attend Dès le début ils sont mal partis

B) Primaire

Les fils et filles des nantis passent de leurs maternelles aux classes du primaire souvent dans le même bel et grand établissement. Rien ne change, mêmes lieux et personnel connu. Ce sont des enfants (6ans) épanouis et enchantés de passer la journée dans leur Ecole. Les salles de classes sont propres, aérées, décorées, le mobilier entretenu et tables individuelles. Jamais plus de vingt élèves dans chaque groupe classe. Les enseignants sont triés parmi les jeunes chômeurs diplômés (langues, maths, et sciences). Ils s’adaptent vite aux didactiques. Le matraquage islamiste est mal vu. Les programmes de base sont ici ceux du MEN mais avec nuances et surplus. Ainsi la langue française a une grande place dès le CP. Les manuels utilisés sont ceux utilisé en France (lectures, grammaire, conjugaison, illustrés.) Les sciences et surtout les mathématiques sont enseignées avec force en arabe mais aussi en français. Les enseignants disposent du matériel didactique pour initier les enfants aux sciences. Les activités parallèles d’éveil et d’art sont fréquentes, les livres, l’audiovisuel, NTIC disponibles. L’ensemble fonctionne bien sous le contrôle des parents d’élèves, le directeur et l’inspecteur. Les parents sont contactés illico au moindre problème (absences, scores bas, malaises). Au bout de six ans les élèves de ces Ecoles sont performants en français, maths et sciences. Ils passent les examens de fin de cycle avec brio. Pour eux l’épreuve de français, hautement pondérée est une bagatelle. Ils obtiennent de hauts scores de passage dans le secondaire. Ils vont dans les collèges privés avec joie et assurance de réussir

Les enfants des démunis laissent le mssid du coin, et les maternelles de rabais sans regrets. Ils vont dans les Ecoles primaires publiques proches qui sont en villes de grandes bâtisses. Les salles de classes sont sales, vitres cassées, murs sans décorations et le mobilier détérioré. Les effectifs des groupes classes en villes dans les quartiers surpeuplés sont pléthoriques. Les petits enfants se sentent abandonnés perdus et désorientés dans cette masse de gosses. Les bandes; les insultes, les gros mots, les disputes, les bagarres, les vols, sont ici de mise. Les enfants se donnent vite un discours violent de pairs, dissimulé aux parents et aux maîtres. Les enseignants de l’Ecole publique sont certes choisis après concours, subissent une bonne formation pédagogique, mais ils sont dans un contexte peu propice à l’exercice de leur art (horaires lourds, classes surchargées, zéro matériel didactique, contraintes administratives.). Ils travaillent dans des classes surchargées et qui sont des foires de chahuts, d’indisciplines. Certains vétérans tentent de créer des situations propices de vrais apprentissages, en vain. Ils se contentent dès lors au meilleur des cas de transmettre un ensemble de connaissances. L’enseignement du français est négligé celui de tamazight abhorré, celui des sciences bâclé. Certains enseignants de l’Ecole publique sont de plus en plus aliénés à l’arabo-islamisme. Ils font l’apologie de la religion officielle, dénigrent sans remord les autres croyances humaines. Au bout de 6ans ou plus passés à l’Ecole publique les enfants marocains sont : bons en éducation religieuse, médiocres en arabe, faibles en maths et les sciences, nuls en français. Mais ils passent presque tous dans l’enseignement secondaire et évacuent ainsi leurs bancs. Les parents sont devenus par la force des choses démissionnaires et fatalistes. Ils savent que leurs enfants admis aux collèges et lycées vont soit abandonner ou échouer à terme

C) Secondaire

Les boîtes d’enseignement secondaire pour riches (lycées privés, et Missions culturelles) sont bien situées, et accueillantes. Les classes sont propres, le mobilier en très bon état, des tables individuelles et effectifs réduits (une vingtaine). Le matériel didactique est abondant les NTIC sont disponibles à titre collectif et surtout individuel. Les professeurs des terminales surtout sont triés (vétérans, retraités, jeunes surdiplômées. Les programmes de base sont ceux du MEN mais bien fortifiés par les manuels français. Les cours sont axés sur les langues vivantes (français et anglais), les mathématiques et les sciences Les élèves ont devant eux en six ans d’enseignement Secondaires trois examens cruciaux 1). A la fin du collège ces élèves obtiennent le maximum en français et maths ils traversent sans problèmes les examens de passage au lycée. 2). Ils ont deux ans après l’examen régional dont la matière principale est la langue française. (Boite à merveilles de Sefrioui, Antigone d’Anouilh, le dernier jour d’un condamné V Hugo) Ils ont de scores forts à l’épreuve de français à haut coefficient. Cet examen compte pour 25% au bac. Ils se trouvent pour la plupart ainsi avec un fort bonus. En terminale l’évaluation continue compte aussi pour 25%. Les élèves des Ecoles de riches sont privilégiés : enseignement de qualité et suivis scolaires. Là aussi Ils ont de très bonnes notes. 3). Donc à la veille de l’examen national ils sont proches de 50% du score final. Avec peu de travail ils ont des mentions. Ils vont dans les grandes Ecoles. Un bel avenir leur est assuré. Le système d’évaluation marocain est forgé à la mesure des élèves des lycées de riches .

Les établissements publics de l’enseignement secondaire (collèges et lycées) sont de grandes bâtis aux environs louches (délinquance, tabac, drogues, dragues, violences, vols, et racket,). Les salles de classes sont sales, vitres brisées, tables délabrées, tableau noir à même le mur. Peu ou pas de matériel didactique pour les cours SVT ou sciences physiques et géographie (Les élèves n’ont jamais touché un microscope, un tube à essai, un appareil de mesure, pas d‘expérimentations, pas de sortie dans la Nature, tout se fait à la craie et au tableau noir) 1)Les élèves des collèges publics galèrent pour passer au lycée à cause du français, et maths 2) Les lycéens ont un examen régional crucial axé sur l’étude de 3 œuvres en français. (Ils ne saisissent pas les subtilités de Sefrioui, le sens des Mythes de Sophocle et les thèses d’Hugo). Ils ont de très basses notes qui comptent pour 25% ce qui les handicape fort en Terminale Les effectifs des classes du bac dépassent parfois la cinquantaine (terminales en villes). Les enseignants des lycées publics sont de plus en plus agressés dans et alors ils s’absentent. Ils transmettent des connaissances, les élèves les enregistrent.3) Ils les restituent mal lors des contrôles continus qui comptent pour 25% (mauvais scores pour la plupart) et à l’examen Résultats: mauvais scores à l’examen régional, faible note en évaluation continue.

Ils doivent ramer fort à la veille de l’examen national pour espérer réussir au bac (bachotages forcés). A peine 50% de ces candidats aura le bac. Illettrés ils iront dans les ISTA et Fac de Relégation. Le système d’évaluation du pays n’est pas forgé à l’aune des élèves des lycées des pauvres Les barbus au Pouvoir crient que tous les élèves marocains passent les mêmes examens. Mais les fils et filles de fortunés y sont préparés dans des conditions idéales de longue date. Les marocains démunis sont bien conscients de cette fausse Démocratie en Education.

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