ÉTAT DES DROITS CULTURELS EN ALGÉRIE

Par: Lila MANSOURI

Les droits humains représentent les droits octroyés à chaque individu par le biais de traités et de textes internationaux. Leur émergence vise à protéger les citoyen.ne.s contre l’emprise et l’arbitraire de certains États, remettant en question la souveraineté absolue des nations grâce à ces textes supranationaux.

La Déclaration Universelle des Droits Humains (DUDH), adoptée le 10 décembre 1948, demeure le texte le plus célèbre en la matière. Elle assure à chaque personne un ensemble de droits dont les valeurs, inscrites dans ce texte fondateur du droit international, sont universelles. Ces valeurs cherchent à concrétiser un idéal commun à l’échelle de chaque communauté humaine. Avec une traduction dans plus de 500 langues, la DUDH témoigne de son universalité.

Ces droits sont inaliénables, indivisibles, inhérents à chaque être humain, indépendamment de son genre, de sa couleur, de sa religion, de son opinion, de son origine ethnique et/ou culturelle. Les trente articles qui composent la déclaration abordent chacun un aspect des droits fondamentaux.

À titre d’exemple, l’Article 27 de la DUDH qui traite des droits culturels des peuples : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ».

Tous les  droits humains participent au développement car ils permettent de garantir l’accès à divers droits. Parmi ces droits, les droits culturels.

Définition des droits culturels :

«Les droits culturels peuvent être définis comme les droits d’une personne, seule ou en groupe, d’exercer librement des activités culturelles pour vivre son processus, jamais achevé, d’identification. La réalisation de ces droits permet à chacun de se nourrir des œuvres et activités culturelles comme de la première richesse sociale ; ils constituent la matière de la communication, avec autrui, avec soi-même, par les œuvres».

Selon la même source, les droits culturels désignent les droits, libertés et responsabilités pour une personne, seule ou en groupe, avec et pour autrui, de choisir et d’exprimer son identité, et d’accéder aux références culturelles, comme à autant de ressources nécessaires à son processus d’identification. [1]

Dans certains pays, tels que l’Algérie, où les droits culturels des peuples autochtones sont bafoués, ces droits sont utilisés de manière détournée, en opposition à l’universalité, et deviennent des motifs pour diviser et dresser les peuples les uns contre les autres.

La répartition de ce peuple, couvre près de cinq millions de kilomètres carrés et compte près de 40 millions de locuteurs. Cependant, il est difficile de fournir des statistiques précises sur le nombre exact de locuteurs de la langue amazighe et de ses variantes pour chaque pays, en raison de l’absence de recensements linguistiques fiables. Le tableau ci-dessous illustre la répartition de ce peuple en Afrique :

En Algérie, environ un quart de la population, soit 27 %, parle la langue amazighe. Depuis l’indépendance le 5 juillet 1962, le pays a adopté une politique linguistique basée sur l’arabisation. Malheureusement, Tamazight est victime d’une politique d’occultation ou d’exclusion explicite de la part du système depuis cette période.

La législation linguistique

Lors de l’indépendance en 1962, seule la langue arabe a obtenu le statut de langue nationale et officielle en Algérie. Les responsables du pouvoir en Algérie semblent avoir négligé le fait que la population autochtone constitue, selon le droit international, une minorité linguistique. Paradoxalement, le 4 juillet 1976, l’État algérien a participé au débat sur les locuteurs de l’amazigh en adoptant la Déclaration universelle des droits des peuples.

Article 13

Tout peuple a le droit de parler sa langue, de préserver, de développer sa culture, contribuant ainsi à l’enrichissement de la culture de l’humanité.

Article 19

Lorsqu’un peuple constitue une minorité au sein d’un État, il a droit au respect de son identité, de ses traditions, de sa langue et de son patrimoine culturel.

Article 20

Les membres de la minorité doivent jouir, sans discrimination, des mêmes droits que les autres ressortissants de l’État et participer avec eux à la vie publique, à égalité.

Article 21

L’exercice de ces droits doit se faire dans le respect des intérêts légitimes de la communauté prise dans son ensemble et ne saurait autoriser une atteinte à l’intégrité territoriale et à l’unité politique de l’État, dès lors que celui-ci se conduit conformément à tous les principes énoncés dans la présente Déclaration.

Depuis 1962 jusqu’à aujourd’hui, le Journal Officiel de la République algérienne recense un nombre très limité de textes juridiques portant sur les Amazighs et la langue amazighe. En revanche, plus d’une trentaine de lois liées à l’arabisation ont été adoptées, comme en témoigne la chronologie suivante :

Ben Bella (1962-1965)

le décret du 22 mai 1964, le premier décret portant sur l’arabisation de l’administration.

décret n° 64-147 du 28 mai 1964 relatif à l’exécution des lois et règlements (1964) imposant l’arabe dans la rédaction des lois et règlements ainsi que, à titre provisoire, une édition en langue française.

Ces décrets découlaient naturellement de sa déclaration à l’aéroport de Tunis en juillet 1963, où il proclamait avec insistance : « Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes ». Bien qu’il s’adressait aux Français, ce message visait également les militants berbéristes et les dirigeants du Proche-Orient, officialisant ainsi son engagement envers le « monde arabe ».

Houari Boumédiène (1965-1978) :

– l’ordonnance n° 66-155 du 8 juin 1966 portant code de procédure pénale (1966);
– l’ordonnance n° 68-92 du 26 avril rendant obligatoire, pour les fonctionnaires et assimilés, la connaissance de la langue nationale (1968);
– l’ordonnance n° 70-20 du 19 février relative à l’état civil (1970);
– l’ordonnance n° 73-55 du 1er octobre relative à l’arabisation des timbres nationaux (1973);
– le décret n° 74-70 du 3 avril 1974 portant arabisation de la publicité commerciale (1974);
– l’ordonnance no 76-35 du 16 avril, portant organisation de l’éducation et de la formation (1976);
– le décret n° 76-66 du 16 avril relatif au caractère obligatoire de l’enseignement fondamental (1976);
– le décret n° 76-67 du 16 avril 1976 relatif à la gratuité de l’éducation et de la formation (1976);
– le décret n° 76-70 du 16 avril portant organisation et fonctionnement de l’école préparatoire (1976);
– l’arrêté du 21 avril 1976 relatif à la publicité des prix (1976);
– la Déclaration universelle des droits des peuples (1976).

Chadli Bendjedid (1979-1992),

Mohamed Boudiaf

Ali Kafi (1992-1994) succéda à Boudiaf le 2 juillet 1992,

Liamine Zeroual (1994-1999)

La politique d’arabisation à tout prix joue contre nous les amazighs, car aucun profit n’en est retiré , bien au contraire elle supprime nos droits linguistiques.

Depuis 1980, une série d’actions et de manifestations a eu lieu à Tizi-Ouzou, Béjaïa et Alger pour protester contre des lois discriminatoires et revendiquer les droits linguistiques et culturels du peuple Amazigh en Algérie. Ces revendications englobaient divers domaines, mettant particulièrement l’accent sur l’éducation et la reconnaissance de notre langue dans la Constitution ainsi que dans les institutions de l’État.

En réponse, le gouvernement algérien a fixé au 5 juillet 1998 (date anniversaire de l’indépendance) comme échéance pour l’arabisation totale de la vie en Algérie (administration, justice, affaires, médias, éducation, etc.). En 1991, suite à l’adoption de la loi n° 05-91 sur la généralisation de l’utilisation de la langue arabe, des dizaines de milliers d’Imazighen ont descendu dans les rues, donnant lieu à la plus grande manifestation que la capitale n’ait jamais connue, scandant des slogans tels que «Halte à l’intolérance» et «Non au racisme».

La loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe :

Une loi qui :

impose l’unicité de la nation algérienne

impose l’usage unique de la langue arabe,

vise À accélérer et intensifier le processus d’arabisation, mais surtout de supprimer définitivement le tamazight comme langue de plus du tiers de la population.

interdit toute « langue étrangère » et prévoit pour les contrevenants de fortes amendes

exclu l’usage et la pratique du français dans l’administration publique, la justice, le monde de l’éducation (incluant les universités), les hôpitaux, les secteurs socio-économiques, etc.

évincer l’élite francisée formée essentiellement dans les écoles d’administration publiques algériennes et représentant l’encadrement technique et scientifique de tous les secteurs d’activité.

La loi no 91-05 fut modifiée par la loi du 21 décembre 1996, mais en réalité elle ne vient que confirmer le contenu de la loi précédente.

En 1994, le refus d’intégrer tamazight dans le système d’éducation engendra la « grève du cartable », un boycott scolaire massivement suivi en Kabylie qui dura une année.

À la suite de cette action réussie, le gouvernement algérien engagea, en mars-avril 1995, des négociations avec certains représentants Kabyles. Ce n’est qu’en 1995 qu’apparait le premier texte juridique sur la langue amazighe avec le décret présidentiel n° 95-147 du 27 mai 1995 portant création du Haut-Commissariat chargé de la réhabilitation de l’amazighité et de la promotion de la langue amazighe, qui  À son article 1er définit ce  qu’est l’organisme du Haut-Commissariat À l’amazighité, comme une « structure » chargée de la réhabilitation de l’amazighité et de la promotion de la langue amazighe. Les articles 4 et 5 énumèrent les missions de l’organisme.

Suite aux mutations politiques et juridiques d’octobre 1988, plusieurs associations culturelles amazighes ont vu le jour, à la fin de 1988 et au début de 1989, Depuis, ces associations se sont multipliées et il en existerait  quelques centaines. C’est uniquement grâce à ces associations qu’il y a eu un investissement régulier dans l’enseignement de la langue amazighe en Algérie (cours d’alphabétisation).

Ces associations sont victimes des amendements de la loi effectués depuis celle du 14/06.

Depuis le début des années 1990, des projets de loi visant À faire reconnaître tamazight comme langue nationale au même titre que l’arabe, ont été présentés par des députés Amazighs, sans moindres chance d’être adoptés, mais les gestes restent significatifs et marquants.

En 1991 un Département de langue et de culture amazighe a été créé À l’université de Tizi-Ouzou.

L’introduction de la langue amazighe dans le système éducatif durant l’année scolaire 1995-1996, est le fruit d’un long combat de plusieurs générations de militant.e.s.

Le lancement de l’enseignement a démarré dans 16 wilayas, durant l’année scolaire 95-96. Un collectif de 233 enseignants, formés par le HCA, assurait des cours pour 37 690 élèves. Sauf que cette expérience n’a pas été une réussite. L’enseignement a connu un recul progressif d’année en année jusqu’À son extinction totale dans certaines wilayas. ÀEl-Bayadh, par exemple, l’enseignement s’était estompé en 1997. Deux ans plus tard, il connaîtra le même sort À Tipasa. En 2000, c’était le tour de la wilaya de Ghardaïa de voir l’enseignement de tamazight s’éteindre. Il reprendra en 2003 pour s’arrêter une seconde fois en 2009. La même oscillation a été enregistrée dans la wilaya de Batna. Un arrêt en 2001, et une reprise en 2005. Cet enseignement en ligne brisée affectera également Oran (2002) et Biskra (2010). Cette extinction a touché d’autres wilayas, même si une reprise a été signalée dans certaines d’entre elles. Il faut souligner que la Kabylie représente, À elle seule, plus de 80% de cet enseignement. Sur 343 725 apprenants, Tizi Ouzou en compte 137 483, Béjaïa 68 341, Bouira 26 756 et Boumerdès 7 045. Pour le nombre d’enseignants, sur 2 757, 1 100 exercent À Tizi Ouzou, 850 À Béjaïa, 205 À Bouira et 56 À Boumerdès. Sans oublier Bordj Bou-Arreridj o√π 2 100 élèves suivent les cours de tamazight assurés par 16 enseignants.

Depuis son élection en avril 1999, le défunt président de la République algérien Abdelaziz Bouteflika, a toujours écarté l’éventualité de reconnaître officiellement le Tamazight, sauf À l’issue d’un référendum national.  À l’occasion de sa campagne pour le référendum (du 16 septembre 1999) sur « la concorde civile », il avait déclaré, le 3 septembre 1999, À Tizi-Ouzou, que « tamazight ne sera jamais langue officielle et, si elle devait devenir langue nationale, c’est tout le peuple algérien qui doit se prononcer par voie référendaire ».

Une provocation qui a choqué et consterné le peuple amazighophone, émanant d’un chef d’État, qui démontre son arrogance et le mépris qu’il cultive vis-À-vis de son peuple ».

L’officialisation de Tamazight, en tant que seconde langue officielle, son statut facultatif,  conditionné À la demande sociale, assujetti À une autorisation paternelle, o√π des parents ont eu recours aux services des P/APC pour « dispenser » leurs enfants des cours de tamazight, a fait de l’enseignement de tamazight un cas marginal au sein de l’école algérienne. Toutes ces réactions de rejet de tout ce qui est amazigh est d’abord d’ordre politique.

En 2013, on comptait quelque 1000 enseignants et quelque 340 000 élèves qui suivaient des cours en langue amazighe au niveau national.

Un enseignement précaire, avec une régression continuelle de l’effectif scolaire.

L’horaire hebdomadaire par discipline pour l’enseignement primaire et moyen est le suivant:

Article 15 de la loi 91-05

L’enseignement, l’éducation et la formation dans tous les secteurs, dans tous les cycles et dans toutes les spécialités sont dispensés en langue arabe, sous réserve des modalités d’enseignement des langues étrangères.

L’arabe demeure obligatoire. Tamazight n’est qu’une option facultative dans les lycées avec un passage d’examen en fin d’année .

L’État civil :

Le décret n° 81/26 du 7 mars 1981 portant établissement d’un lexique national des prénoms Édicte les normes de transcription des prénoms en «langue nationale» (l’arabe) :

Le ministère de l’Intérieur était chargé de produire une «liste nationale» comprenant, par ordre alphabétique, tous les prénoms recensés et autorisés en Algérie. Cette ordonnance octroyait un pouvoir considérable aux fonctionnaires, leur permettant de refuser, pour diverses raisons, des prénoms… qu’ils soient Amazighs ou français. Pendant des décennies, les municipalités ont ainsi rejeté des prénoms Amazighs sous prétexte qu’ils n’étaient pas «de consonance algérienne».

Article 64

1) Les prénoms sont choisis par le père, la mère ou, en leur absence, par le déclarant.

2) Les prénoms doivent être de consonance algérienne ; il peut en être autrement pour les enfants nés de parents appartenant à une confession non musulmane.

3) Sont interdits tous les prénoms autres que ceux consacrée par l’usage ou par la tradition.

L’article 37 du Code civil du 10 février 1970 : Les actes doivent être rédigés en langue arabe.

Il stipule de manière explicite que «les actes doivent être rédigés en langue arabe», tout en précisant qu’à titre transitoire, «les actes de l’état civil pourront continuer  à être rédigés en langue française».

Article 127

À titre transitoire et nonobstant les dispositions de l’article 37 de la présente ordonnance, les actes de l’état civil pourront continuer, dans les communes qui seront déterminées par arrêté conjoint du ministre de la justice, garde des sceaux et du ministre de l’intérieur, à être rédigés en langue française.

La presse écrite

En matière de publication périodique, l’article 11 de la loi organique n° 12-05 du 12 janvier 2012 relative à l’information précise que «l’édition de toute publication périodique est libre» :

Article 11

1) L’édition de toute publication périodique est libre.

2) L’édition de toute publication périodique est soumise aux dispositions d’enregistrement et de contrôle de véracité de l’information au dépôt d’une déclaration préalable signée par le directeur responsable de la publication auprès de l’autorité de régulation de la presse écrite prévue par la
présente loi organique. Un récépissé lui en est immédiatement remis.

En même temps, l’article 20 de la loi organique n° 12-05 du 12 janvier 1212 relative à l’information énonce que les publications périodiques d’information générale doivent être éditées en langues nationales ou l’une d’entre elles, ce qui suppose en arabe ou en tamazight :

Article 20

Les publications périodiques d’information générale créées à compter de la promulgation de la présente loi organique sont éditées en langues nationales ou l’une d’entre elles.

Toutefois, les publications périodiques destinées à la diffusion et à la distribution nationale ou internationale et les publications périodiques spécialisées peuvent être éditées en langues étrangères après accord de l’autorité de régulation de la presse écrite.

L’affichage commercial et la vie économique

Que dit la Circulaire administrative de 1976 ?

3) arabiser totalement toutes les enseignes extérieures des administrations et sociétés publiques, et les écrire en lettres apparentes, de grande dimension, d’écriture belle et élégante, et interdire absolument toute inscription en langue étrangère;

4) utiliser seulement l’écriture en arabe pour les divers services, bureaux et guichets internes, et pour les diverses inscriptions, panneaux d’indication ou d’orientation, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions.

L’opération a été parfois exercée dans une certaine précipitation; par exemple, à Alger, en une nuit, on a remplacé presque toutes les inscriptions françaises. L’objectif sera atteint dans l’ensemble du pays, avec des résultats inégaux il est vrai: les zones rurales ont été presque complètement arabisées, mais les villes du Nord ont résisté davantage.

À l’heure actuelle, alors que notre pays traverse une période cruciale marquée par des atteintes aux droits humains, tous les progrès dans ce domaine sont remis en question, en particulier les libertés d’expression et d’édition.

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[1] https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2008-1-page-9.htm

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