George Tarabichi: Le penseur moderniste et des lumières, Voltaire de la pensée islamique

Le nom du penseur syrien GEORGE Tarabichi né à Halab en 1939 d’une famille chrétienne conservatrice- comme il le racontait lui-même dans des interviews et des écritures- et décédé dans son exil parisien en Mars 2016, ce nom  restera un symbole brillant dans l’Histoire du militantisme intellectuel et culturel en domaines de la critique littéraire, la traduction et aussi bien la critique et la réfutation du patrimoine culturel islamique .Toutes ses contributions théoriques dans ce domaine resteront un modèle d’une pensée scientifique militante soucieuse de rejoindre la modernité et ses exigences scientifiques et intellectuelles. Il est connu par une production intellectuelle prolifique et très variée, il a traduit les grands ouvrages marxistes, il nous a présenté aussi l’existentialisme de Sartre ainsi que la gauche d’Althusser  et le livre de Marcuse «l’Homme unidimensionnel» ainsi que les géants de la pensée marxiste, il s’est intéressé dans un temps donné au Freudisme en traduisant tant d’ouvrages de Freud; et il est influencé de la sorte par la psychanalyse et il  s’en servait de sa méthode dans des études critiques de plusieurs romans arabes, il a également réussi à  exploiter la psychanalyse dans des livres tels: «Orient et Occident» édité en 1977, «Masculinité et féminité: étude en crise de sexualité et de civilisation dans le roman arabe», «le nœud d’Œdipe dans le roman arabe» édité  en 1982, «Dieu dans le voyage de Najib Mahfoud»; parmi tant de livres intéressants littéraires qui inspiraient une vaste génération culturelles des années soixante dix et quatre vingt et quatre vingt dix du siècle dernier. Tarabichi a travaillé dans de grandes revues arabes qui impactaient   clairement la pensée arabe moderne comme la revue études arabes et revue de l’union. Ce penseur a pu de se libérer petit à petit des classements idéologiques en dépassant les cadres idéologiques traditionnels tels le panarabisme et le socialisme et en s’ouvrant sur l’analyse scientifique obéie seulement aux méthodes scientifiques  constructivistes et structuralistes  tout en étant influencé par ce que Bachelard Gaston nomme  la science comprise. Ce changement idéologique à l’épistémologique n’est pas dû au hasard pour Tarabich, il le faisait graduellement en poursuivant les grands changements et  bouleversements que le monde connaissait dernièrement à tous niveaux : intellectuel, politique et scientifique. En revanche un grand nombre d’intellectuels restent enfermés encore dans des discours dépassés par la réalité, raison pour laquelle Tarabichi reproche à plusieurs penseurs arabes de rester prisonniers dans la raison idéologique stéréotypée, il disait de ceux-ci: «quoique l’évolution flagrante de la science dans les derniers temps, on observe encore une absence totale de penseurs scientifiques objectifs dans la culture moderne arabe contrairement à ce qu’a été le cas à l’époque de la renaissance où  se trouvait des penseurs qui optaient pour la raison et la science au détriment de l’idéologie, et je ne m’excepte plus de ce manque dans la formation scientifique dont souffre toute l’intelligentsia arabe tout en signalant que mon ouverture- aussi bien au niveau de la traduction que l’écriture- sur la psychanalyse dans ces dernières années m’a sauvé et libéré -au moins méthodologiquement- de ma précédente raison idéologique».

George Tarabichi a travaillé dans ses derniers temps sur un énorme projet intellectuel où il a essayé d’exploiter sa critique méthodologique et scientifique des livres du défunt Mohemed Aabid Eljabiri pour parler de ce qu’il appelle le forage  archéologique de la tradition (2).  Son voyage critique du projet d’Eljabiri a duré environ 25 ans et surtout les deux ouvrages: «nous et la tradition et la formation de la raison arabe», il a de la sorte abordé le projet d’Eljabiri par une approche critique et examinatrice en commençant par les références déclarées et les références  non dits de la part de celui-ci en finissant par les conclusions et les problématiques closes considérées comme des  arrêts, Tarabichi le suivait jusqu’au bout comme il l’évoquait dans l’introduction de son livre critique de la critique de la raison arabe ( théorie de la raison).

Et on peut très brièvement résumer les critiques de Tarabichi contre Eljabiri dans trois points principaux :

1 – le penchement d’Al-jabri pour la raison occidentale fondée sur la démonstration  au détriment de la raison orientale fondée sur la rhétorique et la connaissance gnostique  , et la division de l’unité de la raison islamique en deux parties différentes au lieu de parler de  deux raisons  interactionnistes influençant l’un l’autre de telle façon que  la méthodologie scientifique communicationnelle  accumulative s’élabore, Tarabichi annonce dans l’introduction de son livre  sur la couverture du livre) «critique de la critique de la raison arabe unité de la raison islamique» ce qui suit: «le projet d’Eljabiri dans la critique de la raison arabe, se base sur la fabrication ( d’une rupture épistémologique entre la pensée de l’orient et la pensée de l’occident) et la distinction entre une école orientale gnostique et une école occidental rationnelle (Ibn Ruchd).

2 –  l’imprécision de quelques références dont se servait Eljabiri tel est le cas quand il se référait à Lalande directement sans évoquer Focquier concernant la distinction de la raison à constituante  et constituée  d’où Tarabishi insiste qu’Eljabiri se servait d’une référence cachée à savoir vocabulaire de la langue philosophique et ne lisait pas Lalande. Tarabishi déclare dans son ouvrage critique de la critique de la raison arabe (théorie de la raison) à tel point Eljabiri était effectivement Lalandien, non seulement dans son emploi de la distinction de Lalande mais aussi concernant  la compréhension et le retour effectif à l’ouvrage «la raison et les critères ??».. Tarabishi a également douté que Eljabiri a lu vraiment les lettres de «ikhwan ssafa» de telle sorte qu’Elajabiri qualifie les lettres d’obscurantisme et de ghonosisme  et lutte contre la raison et la logique alors qu’on trouve dans l’introduction des lettres une éloge de la raison et de la logique et une insistance à l’utiliser dans toutes les affaires de notre vécu.

3 – Eljabiri croit  que c’était  les mécanismes extérieurs qui manipulent la raison de démissionner et s’enfermer dans la civilisation islamique alors que Tarabichi voit que la démission et le sommeil de la raison avait des causes intérieures  caractérisées par un rétrécissement subjectif de cette raison, Tarabichi s’interroge dans l’introduction de son livre (la couverture) critique de la critique de la raison arabe : est-il utile que  le cheval de troie peut vraiment  expliquer la démission de la raison en Islam ? En  d’autres termes, peut-on renvoyer le crépuscule de la rationalité  arabo-islamique à une conquête extérieure de la part de l’irrationalité Hermésien, gnosticiste et du soufisme orientale et surtout la philosophie illuminationiste (Ichraqiya) connue par l’appel à l’utilisation de la raison et l’argumentation?  Eljabiri s’est trompé  également, selon Tarabishi, quand il réduit les productions de la science seulement aux bienfaits de trois civilisations: grecque, arabe et européenne en pratiquant ainsi un impérialisme intellectuel en qualifiant les autres civilisations de sorcellerie et la superstition et la répression de la raison  quoique ces dernières aient contribué elles-aussi dans les principes de la logique les mathématiques et l’astrologie telles : la civilisation indienne, chinoise, égyptienne et de Babylone.

Tarabishi appartient au courant rationaliste et laïc en appelant à l’utilisation de la raison dans toutes les affaires religieuses et mondaines, il n’est pas d’accord avec Eljabiri concernant le fait de  militer pour la rationalité seulement et non pour la laïcité sous prétexte que celle-ci ne peut pas réussir et est étrange dans la civilisation arabo-islamique, il y a plusieurs penseurs qui contredisent Eljabiri dans ce sens en confirmant que la démocratie et la citoyenneté  n’ont aucun sens s’elles ne se réalisent pas en parallèle avec la laïcité, on peut revenir à la position de l’historien libanais wajih kotrani  dans son livre «L’Historicité de l’Histoire» où il critique la critique d’Eljabiri de la laïcité et il le qualifie d’une obéissance au politique et à l’idéologique au détriment de la donnée épistémologique scientifique ainsi que c’est plus une conciliation avec les islamistes qu’une position scientifique solide. Le courant rationaliste de Tarabishi se veut une critique inlassable au dominant et au dogmatisme et contre toute vantardise de posséder une telle  vérité absolue. Tarabishi nous appelle à avouer que notre monde s’est réveillé angoissé devant trois grands chocs et un autre réservé à nous les peuples sous-développés  et résument ce que Tarabishi appelle la victoire de la raison créatrice contre la raison sorcière et la victoire du mondain contre le religieux ou comme disait Marcel Gauchet la sortie de la religion et non pas la disparition de la religion:

  • Le premier choc: c’est un choc cosmologique, là où l’homme a découvert avec Galili la non-centralité de l’homme et de la terre dans l’univers et cela est une attaque à la pensée religieuse qui prétendait la centralité de l’homme.
  • Le deuxième choc: est biologique, cela dit que l’homme considéré longtemps par les rilgions comme une petite image de Dieu ne l’est plus après la théorie de Darwin qui argumentait que l’homme n’est d’origine qu’animal et provient de la famille que les chimpanzés  et c’était et est encore un désespoir pour les religieux.
  • Le troisième choc: est psychologique quand Freud découvrait que c’est l’inconscient qui contrôle et guide par contrainte  les émotions et les décisions de l’homme et son sort et pas la conscience.
  • Le quatrième choc: réservé à notre monde sous-développé,  celui de la modernité là où l’homme de ce monde se rend compte de l’écart scientifique et intellectuel qui le sépare du monde occidental, surtout quand certains penseurs de la renaissance  ont visité  l’Europe et voient une autre civilisation et la comparent avec leur monde rétrograde  dégradé et sous-développé à tous les niveaux.

Ce n’est pas assez facile d’encercler toutes les écritures de Tarabishi en tant que penseur, critique et traducteur ; il a rédigé plus de 200 ouvrages et 300 articles tout en voulant peindre un trajet intellectuel clair et consolidé. Personnellement je vois que ses dernières écritures telles: «de l’islam du coran à l’islam du Hadith» et «la raison démissionnée en Islam»  ainsi que «le miracle et le sommeil de la raison en islam» sont parmi les écritures les plus révolutionnaires dans la pensée islamique qui se veulent une victoire claire à l’approche méthodologique scientifique par rapport au traitement de l’héritage culturel islamique, et parce que ces écritures portent des messages et des conclusions qui réfutent l’exploitation de la religion politiquement par toutes  les autorités politiques islamiques, et sont aussi une exhortation  à se révolter contre toute structure religieuse figée qui attend des miracles pour évoluer et changer la réalité. Le miracle ne fait qu’engourdir et paralyser la raison, le miracle n’est que la science, la technologie et la modernité intellectuelle et politique, dans la conclusion de son livre «le miracle ou le sommeil de la raison en islam» le penseur Tarabishi éclaircit: «on exagère plus si on dit qu’avoir une position rationaliste  critique radicale contre la logique du miracle peut ressembler à une révolution copernicienne. En effet, la pensée religieuse miraculeuse contribue dans la  propagation de  l’illusion dans la culture arabo-islamique en prétendant contrôler et  dépasser  la nature et l’univers sans avoir besoin de connaitre leurs lois.

Certes, le penseur Tarabishi est fils de son environnement historique, mais ses écritures est une genèse du questionnement contre toute forme de réponses disponibles et de dogmatisme. Il a une intuition philosophique comme disait Bergson d’où sa passion pour la question et sa révolte contre les réponses dominantes.

On aimerait bien avoir des hommes comme Tarabishi qui rempliront le monde de doute, de pensée et rationalité après avoir été rempli d’ignorance et d’injustice.

Ecrit par OUNGHIR BOUBAKER
Traduit par BOUKCH KHALID

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