Interview de « le monde amazigh » avec M. Lahoucine BOUYAAKOUBI anthropologue et professeur

Anthropologue et Professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Ibn Zohr-Agadir

Dans l’entretien qu’il nous accorde l’anthropologue Lahoucine BOUYAAKOUBI, il nous a parlé de l’anthropologie et son intérêt primordial pour les Amazighes, le mystère de l’amazighe qui a pu résister à nos jours, le processus de l’arabisation et la soumission culturelle jusqu’à la reconnaissance officielle de tamazight par l’état, comme il a met l’accent sur le projet de loi organique sur l’amazighe, pour lui, ce projet n’était pas au niveau des attentes !

Pour commencer M. BOUYAAKOUBI, tout d’abord pourquoi l’anthropologie? et comment peut-on bénéficie de l’anthropologie en tant que peuple Amazighe?

Pourquoi l’anthropologie? c’est une question qui revient de temps à autre même au sein de la communauté scientifique pour chercher l’utilité d’une science sociale qui a à son âge aujourd’hui un peu plus d’un siècle, sans compter ses prémisses qui ont commencé bien avant. Son objet d’étude est tout simplement l’Homme, dans sa diversité.

Pour la culture amazighe, l’intérêt de l’anthropologie est sans égal. D’abord, c’est grâce à l’évolution du discours anthropologique, que les cultures sont vues au même titre d’égalité, sans discrimination car elles appartiennent toutes à la Culture, comme trait distinctif de l’être humain. De ce point de vu, toutes les cultures (ex. la culture amazighe) ont le droit d’exister, de se développer et de se transmettre aux générations futures. Ensuite, les analyses anthropologiques permettent de dévoiler les différents niveaux de domination, notamment symbolique, dont l’amazighe par exemple est victime depuis plusieurs siècles. De même, l’anthropologie comme science permet de montrer les différentes facettes de la culture amazighe, et notamment sa valeur en tant que culture orale, sa richesse, ses dimensions symboliques et ses non-dits. Et enfin, l’anthropologie montre les défaillances des politiques culturelles des pays et les dangers des discours discriminatoires qui catégorisent les cultures en «culture supérieure» et «culture inférieure».L’importance de l’anthropologie est qu’elle donne la parole à ceux qui ne l’ont jamais eu.

Nous comprenons un peu mieux comment la domination arabe s’est peu à peu mise en place. Mais comment expliquer la soumission millénaire des Amazighes à cette situation qui perdure dans tout les pays nord africains?

D’abord le fait que tamazight, dominée par l’oralité, soit vivante jusqu’à aujourd’hui est un mystère en soi, alors que d’autres langues avec qui elle était voisine pendant des siècles (le latin ou le Pharaon…) n’existent plus, malgré qu’elles étaient des langues écrites et de grandes civilisations. Il faut également reconnaître que les Amazighs, notamment l’élite, ont toujours été attirés par la langue des autres (d’Apulée qui a écrit en latin jusqu’à Mohamed Kheir Eddine qui a écrit en français en passant par Mohamed Mokhtar Soussi qui a écrit en arabe, entre autres).

Tout cela n’a pas empêché l’utilisation de tamazight dans ses différentes variantes, même s’elle a perdu beaucoup de ses territoires et de sa vivacité. Or, depuis l’arrivée de la France sur le sol nord africain, à partir de 1830, les structures sociale, politique, économique et culturelle de la région ont subi des changements profonds dont le désenclavement des régions amazighes est l’un des résultats majeurs. Par conséquent, l’arabisation s’est accéléré, en profitant de la mise en place de l’Etat nation centralisé qui a imposé sa politique linguistique fondée sur l’arabisation et l’exclusion de l’amazighe dans tous les domaines notamment l’enseignement et les médias. Il faut reconnaître également qu’une bonne partie des Amazighs eux-mêmes, dans le contexte de la colonisation et après les indépendances, ont adopté cette idéologie. Le fait que l’arabe soit la langue du Coran lui a donné un statut particulier et une confusion totale est mise en place entre l’islam et l’arabe et cela a largement contribué pour que l’arabe domine. Il faut attendre plus d’un demi siècle après le départ des Français pour que les choses commencent à changer.

Pourrait-on dire alors que l’ethnie et la culture arabe -en exploitant la religion islamique- sont obligatoirement un frein qui empêche les Amazighes d’avancer ?

Parlons plus de culture et évitons des concepts très problématiques et très chargés idéologiquement comme «l’ethnie» ou «la race». Historiquement, et au niveau numérique, les Arabes, qui sont venus de l’Orient en plusieurs étapes (notamment 7e siècle et 11e siècle) n’étaient pas nombreux au point de changer la base démographique de l’Afrique du nord. Mais leur impact culturel est très visible, en témoigne la présence de la langue arabe, classique ou ses dérivés après le contact avec tamazight «les darijas maghrébines». Ce sont les Amazighs qui s’arabisent, par un long processus historique qui nous a donné «une arabisation historique» et non pas le résultat d’une politique.

C’était le cas jusqu’à l’arrivée des Français, qui ont favorisé une arabisation via une stratégie politique suivie par les Etats après leur indépendance. Pour que tamazight se développe il faut d’abord changer son image qui a été imposée au fil des siècles comme langue orale, donc inférieure à l’arabe langue écrite et du Coran et, cela ne pourra se faire que via une politique linguistique des Etat nord africains en faveur de tamazight. Le premier pas est sa reconnaissance officielle dans les constitutions de ces pays.

Cinq ans après l’officialisation de tamazight, quels ont été les impacts de cet événement sur la population Amazighe? quels leçons les Amazighes ont-ils pu tirer?

Le fait de reconnaître tamazight comme langue officielle au Maroc (et aussi en Algérie) est un acquis. C’est le résultat d’un long combat sur tous les plans. Politiquement, il ne faut pas le sous-estimer. Son impact sur les Amazighs est d’abord psychique car pour la première fois leur langue a un statut juridique, ce qui lui donnera plus de valeur dans le marché des biens symboliques. Cette reconnaissance est aussi un engagement de l’Etat pour prendre en charge la promotion de la langue et la culture amazighe et la traiter en tant que «langue officielle de l’Etat». Après cinq ans de cette reconnaissance, l’amazighe trouve petit à petit sa place dans l’espace public mais les lois organiques relatives à sa mise en œuvre ont beaucoup tardé.

Dernièrement le projet de loi organique sur l’Amazigh a été transmis au secrétariat général du gouvernement. Quelles sont vos premières observations? et quoi faire en tant que mouvement amazighe?

Malheureusement le projet n’était pas au niveau des attentes des militants et des associations amazighes et de tous les démocrates qui attendaient un projet plus avancé et qui donnera vraiment à l’amazighe les outils juridiques pour sa mise en application comme langue officielle. Un projet qui contient des phrases très vagues, il ne reconnaît guère tous les acquis des années précédentes en matière de tous les niveaux de l’enseignement (du primaire à l’Université) et tous le travail de l’IRCAM, son lexique utilisé est très loin du jargon juridique et en plus il n’engage personne. Mais ça reste un projet, il peut être modifié au sein du parlement et au sein du Conseil des ministres devant le Roi. Mais cela, à coté de la pression que le mouvement amazighe doit mener, nécessite des plaidoyers des spécialistes en la matière pour montrer que ce projet de loi va à l’encontre du texte constitutionnel qui stipule que «l’amazighe est une langue officielle de l’Etat». Elle doit être traitée en tant que telle au même titre que l’arabe. L’article 5 de la constitution veut garantir l’égalité entre les citoyens, mais le projet de loi organique de l’amazighe tel qu’il est présenté actuellement veut instaurer une discrimination entre les citoyens marocains sur la base de leur langue.

Quel est à votre avis le rôle des individus, des associations, et des organisations amazighes dans la défense des droits et la légitimité de la cause amazighe?

Le rôle des individus est primordial. D’ailleurs c’était eux qui ont tout commencé depuis la fin des années 1960. La conscience amazighe était d’abord individuelle avant qu’elle soit collective. La création des associations était dans l’objectif de conjuguer les efforts des individus avant de penser ultérieurement à créer des coordinations des associations au niveau local et national et ensuite créer des structures internationales. Aujourd’hui chacun doit assumer sa responsabilité selon ses moyens et ses champs d’intervention. Tamazight a besoin de tous ses enfants (écrivains, artistes, chercheurs, homme politique, poète, romancier, acteur, homme d’affaire,…), chacun dans son domaine.

Un ouvrage d’anthropologie intéressant à lire?

Monder Kilani, l’anthropologie, du local au global.

Entretien réalisé par Mustapha MEROUAN

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