La question amazighe entre les principes, le droit et les calendes grecques

charqui
Par: Dr.MIMOUN CHARQI

Azul felawen, wa ramadan mabrook,
Bonsoir à tous,

Avant tout je souhaite remercier l’IRCAM de l’organisation de cette table ronde et d’avoir bien voulu m’y inviter à y participer. Je souhaiterai partager avec vous quelques réflexions autour du thème de cette rencontre, à travers une communication que j’ai intitulée « La question amazighe entre les principes, le droit et les calendes grecques ».

Chacun peut se rendre compte de ce que le temps pris par l’Etat marocain pour compléter ce qui est affirmé par la constitution dénote d’une gestion élastique des revendications. Pourquoi régler un problème dans l’année, lorsque l’on peut le faire dans cinq, dix, vingt ans ou plus ?

La dernière constitution marocaine consacre un certain nombre de principes, au demeurant importants, car réclamés par une certaine frange de la société civile. Pour la plupart des principes affirmés, la constitution renvoie à des lois organiques qui devraient venir compléter la loi fondamentale. Or, aujourd’hui encore, alors que la constitution a été adoptée en juillet 2011 et que nous sommes en juillet 2014, soit trois ans plus tard, nous sommes encore entrain d’attendre et d’espérer que l’édifice juridique soit complété.

Il faut dire que les principes ne sont pas le droit et que le droit n’est pas toujours effectif. Le droit ne vaut que par l’usage qui en est fait. Une norme peut être par définition obligatoire, mais elle est sans intérêt s’il n’y a pas de sanction en cas de violation. La mise en œuvre du droit, le respect du droit ne suffit pas qu’il y ait affirmation ou reconnaissance d’une norme générale théorique.

Il ne suffit pas de reconnaître, dans la constitution, le caractère officiel de la langue et de la culture amazighes pour que le problème soit réglé. A ce jour, le gouvernement qui était censé élaborer les différentes lois organiques devant compléter la constitution ne dispose pas même de projets, excepté certains cas. Aussi, la question qui se pose est de savoir pourquoi ? Pourquoi les différents projets de lois organiques n’ont pas été élaborés ? Est-ce un problème de compétences ? Est-ce difficile ? Tout porte à croire que c’est plutôt un problème de volonté politique. La construction de l’ensemble de l’édifice juridique selon les principes affirmés par la constitution ne semble pas faire partie des priorités de l’Etat.

Les réformes juridiques et institutionnelles ne viennent pas comme par enchantement, car un beau matin le tenant du pouvoir en se rasant se dit tiens, je décide d’engager telle ou telle réforme. Le droit et les institutions sont le reflet de la société, doivent être le reflet de la société. D’ailleurs, on dit que l’institution c’est le droit et inversement. Le droit n’est que le produit de rapports sociaux et inter sociaux. Aussi, lorsque la société évolue, lorsque les rapports sociaux changent, le droit et les institutions doivent changer. Autrement, on va au devant de crises. Mais, comment est ce que l’on peut constater que la société a changée, que les rapports sociaux ont évolués ? Cela peut se constater dans les revendications, les manifestations, les différentes formes d’expressions sociales, politiques, culturelles, économiques,…

Nombreux ont été ceux qui ont pu penser que dès lors que la Loi fondamentale affirmait, reconnaissait certains principes, l’action militante avait porté ses fruits. Ils ont vite fait de déchanter. Les réunions et tables rondes de la société civile au sujet de la mise en œuvre de l’officialisation de l’amazighité ne se comptent plus. Diverses propositions ont vu le jour. Parmi ces propositions figure celle de l’Assemblée Mondiale Amazighe et d’autres. On peut comprendre qu’il y ait des périodes transitoires, des processus,… Mais la période transitoire, comme son nom l’indique, ne peut s’éterniser.

En outre, il convient de noter que le mouvement amazigh et au-delà la société civile ne doivent pas se focaliser sur une loi organique en particulier. De même que les revendications quant à la langue, à la culture et à l’identité amazighe ne sauraient être ramenée et réduites à des réclamations folkloriques. Le problème n’est pas un problème de forme. C’est un problème de fond. Au-delà de la langue amazighe et des droits culturels qui s’y rattachent, figurent les droits économiques, politiques, sociaux et civils, tels que consacrés par les pactes internationaux des droits de l’homme. Une loi organique pour la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe n’est pas la panacée pour la démocratie et l’égalité des droits entre des « citoyens » à priori dits égaux en droits. A suivre le leurre, on risque de laisser la proie pour l’ombre. Car, le problème est un problème de droits.

Par ailleurs, les différentes lois organiques prévues par la constitution se doivent elles mêmes d’être complétées par des lois ordinaires, des décrets, des arrêtés, circulaires et autres ordonnances. En sus, il faut voir ce que seront et de quoi seront fait ces différents textes. Visiblement, le « processus » risque d’être long. Au-delà de la forme, le contenu, le fonds même des textes constituant l’ensemble de l’édifice juridique est important et essentiel.
Mais voyons ce que dit la Loi fondamentale, au sujet des lois organiques. « Les projets de lois organiques font partie des attributions dévolues au conseil des ministres sous la présidence du Roi, ou le chef du gouvernement agissant en tant que délégataire du souverain ».

Selon l’article 5 de la constitution en date de 2011, « (…) l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception.

Une loi organique définit le processus de mise en oeuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle ». Il semblerait que c’est le chef du gouvernement qui ait lui-même le dossier sous le coude, alors que le ministère de la culture, quant à lui, s’occuperait du « Conseil national des langues et de la culture marocaine ». Car, ce même article 5 prévoit la création d’un «(…)Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines ». En précisant : « Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement ».

A ce jour, ces deux Lois organiques et bien d’autres, dont celle sur la régionalisation dite « avancée » font toujours défaut.

L’Etat doit être à l’écoute des voix qui s’élèvent dans la société, des réclamations, des revendications, des sentiments, des marches pacifiques, voire des actes plus ou moins violents et des violations de la loi. Le but de l’Etat doit être la recherche de la paix sociale. Les partis politiques sont sensés y contribuer, y participer, ainsi que les associations formant la société civile elles mêmes. Lorsque une grande frange de la population se considère marginalisée, non reconnue, non considérée, exclue, méprisée dans ce qu’elle est, dans ce qu’elle ressent, et que l’Etat n’y accorde pas l’attention et l’intérêt qu’il faut pour y remédier, cela peut avoir des conséquences graves à même de nuire à la paix sociale avec la radicalisation des revendications.

Les institutions étatiques ne peuvent se permettre de souffrir de la perte de crédibilité. Lorsque le discrédit est jeté sur le droit et les institutions les conséquences peuvent être lourdes pour la société.

Il est important que la société civile amazighe, les défenseurs de Tmazight aient une vision claire et commune de ce qu’ils veulent, de ce qu’il faudrait. Aujourd’hui, diverses propositions sont sur la table. Demain, l’Etat probablement aura son projet de texte. Il est important que ce dernier tienne compte de ce que la société civile réclame, comme il est important qu’il n’y ait pas seulement les lois organiques. Les autres textes de lois, les décrets, arrêtés et autres doivent aussi être prêts sans tarder. Autrement, ce serait renvoyer la question de la mise en œuvre de l’officialisation de l’amazighe aux calendes grecques.

Je souhaiterai, pour finir, rendre hommage au travail fait pour l’amazighe par l’IRCAM depuis sa création. D’aucuns certes sont très critiques voire contre l’IRCAM, alors que c’est tout le contraire qu’il faudrait. La force de l’IRCAM et son renforcement ne peuvent provenir que du soutien de la société civile et du mouvement amazigh et non le contraire.

A bon entendeur salut.

* Conférence offerte à l’occasion de la table ronde organisée par l’IRCAM le 4 juillet 2014 à l’occasion de la commémoration de la constitutionnalisation de l’amazigh le 1 juillet 2011.

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