L’Algérie, des crises sans issue

Dr. Mohamed Chtatou

Introduction

L’Algérie occupe une place paradoxale dans l’imaginaire collectif du monde arabe, de l’Afrique et de la Méditerranée. Riche en ressources naturelles, dotée d’un territoire vaste et stratégique, et héritière d’une histoire marquée par un combat héroïque pour l’indépendance, elle demeure néanmoins traversée par des crises structurelles profondes. Le pays semble perpétuellement en tension entre son immense potentiel et ses fragilités internes : crise politique, instabilité sociale, dépendance économique, tensions identitaires et pressions géopolitiques. Cette contradiction fait de l’Algérie un laboratoire complexe de la modernité postcoloniale, où se rencontrent mémoire historique, autoritarisme politique, revendications démocratiques et influences régionales contradictoires. Comme le souligne Martinez (2010, septembre), « Trente ans après la nationalisation des hydrocarbures, la richesse pétrolière accumulée semble avoir disparu tant elle est absente des indicateurs d’évaluation du bien-être. En Algérie, elle a fait le bonheur d’une minorité et la tristesse de la majorité. L’absence de contrôle exercé sur la rente pétrolière a conduit à sa dilapidation » (p. 2).

Cet essai propose une analyse dense et critique des crises qui traversent l’Algérie contemporaine (Chtatou, 2018). Il s’agit non seulement de décrire les dimensions politiques, économiques, sociales et identitaires de ces crises, mais aussi de comprendre leurs origines historiques et leurs implications régionales. L’approche sera à la fois historique, anthropologique et géopolitique, afin de mettre en lumière la complexité d’un pays où le passé colonial, la rente pétrolière et la quête démocratique s’entrelacent sans cesse.

Héritage colonial et blessures de mémoire

La crise algérienne ne peut être comprise sans revenir à son passé colonial. La colonisation française, commencée en 1830, fut l’une des plus brutales de l’histoire moderne : spoliations foncières massives, destructions culturelles et marginalisation systématique des populations autochtones. Comme l’écrit Stora (2021), « l’Algérie fut le laboratoire d’une colonisation de peuplement où les colons entendaient s’installer durablement, au prix de la négation de la société indigène » (p. 58). Cette dépossession a laissé des blessures mémorielles profondes, qui irriguent encore les débats politiques et identitaires.

La guerre d’indépendance (1954-1962) fut l’apogée de ce long traumatisme. Elle se solda par une victoire des indépendantistes, au prix de centaines de milliers de morts, mais aussi par l’installation d’un pouvoir militaire qui se légitima dans la continuité de la lutte de libération. Comme l’explique Harbi (2004), « le FLN victorieux s’est transformé en appareil d’État, verrouillant la mémoire nationale autour du mythe de la révolution, excluant toute diversité mémorielle » (p. 112). Cette sacralisation de l’histoire nationale a nourri un nationalisme exclusif, qui sert encore de socle idéologique au pouvoir, mais qui empêche l’émergence d’un pluralisme politique et mémoriel.

La mémoire coloniale est donc une première matrice de crise : elle nourrit à la fois un sentiment d’identité forte et une incapacité à dépasser les logiques de domination. En ce sens, l’Algérie reste « hantée par son passé », selon l’expression de Benjamin Stora (2021, p. 64), un passé instrumentalisé autant par le régime que par les mouvements contestataires.

Autoritarisme et blocage politique

L’une des crises majeures qui caractérisent l’Algérie est le verrouillage de son système politique. Depuis l’indépendance, le pouvoir est largement dominé par l’armée et par un réseau politico-militaire, souvent désigné comme « le système ». Ce dernier a construit sa légitimité sur le sacrifice de la guerre de libération et sur la défense de la souveraineté nationale. Toutefois, ce système a progressivement dérivé vers un autoritarisme rigide. Comme le souligne Addi (2010), « l’armée demeure l’arbitre ultime du champ politique, neutralisant toute tentative de démocratisation » (p. 41).

Le multipartisme, instauré après les émeutes d’octobre 1988, fut une ouverture relative, vite refermée après la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) en 1991, qui déclencha l’interruption du processus électoral et la guerre civile des années 1990. Cette « décennie noire » fit plus de 200 000 morts et laissa une société profondément traumatisée (Martinez, 2000). Elle permit aussi au régime de justifier son autoritarisme par la nécessité de préserver la stabilité et d’éviter le retour de la violence.

La crise politique algérienne est donc celle d’une transition avortée. Le mouvement du Hirak, né en 2019, a révélé l’ampleur du rejet populaire du système. Des millions d’Algériens sont descendus dans la rue pour réclamer un changement radical, refusant le cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Ce soulèvement pacifique fut salué comme un moment historique, mais il fut rapidement étouffé par la répression et la pandémie de Covid-19 (Amarouche, 2020). Le Hirak a montré que la demande de démocratie est vivante, mais il a aussi révélé la résilience d’un système qui sait se réinventer pour se maintenir.

Crises économiques et dépendance à la rente pétrolière

L’économie algérienne illustre l’un des paradoxes les plus frappants des pays rentiers. Dotée de vastes ressources en hydrocarbures – pétrole et gaz naturel –, l’Algérie dépend presque exclusivement de cette rente pour financer son budget national. Selon le Fonds monétaire international (2023), plus de 90 % des recettes d’exportation et environ 60 % des revenus de l’État proviennent des hydrocarbures. Cette dépendance structurelle constitue à la fois une force et une fragilité : elle assure une manne financière mais rend le pays extrêmement vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux.

Diagramme conçu par Chtatou (2025)

Depuis les années 1970, le modèle de développement algérien repose sur la redistribution de la rente. Les revenus pétroliers servent à financer des subventions massives, à maintenir un secteur public hypertrophié et à acheter la paix sociale. Comme le souligne Aïssaoui (2016, p. 2). Or, ce contrat est aujourd’hui fragilisé par la baisse des cours du pétrole, la croissance démographique et la mauvaise gouvernance :

« Une raison plus urgente de s’inquiéter est le fait que la baisse des volumes d’exportation d’hydrocarbures, combinée à la chute des prix internationaux du pétrole et du gaz, a considérablement réduit les recettes publiques disponibles pour le soutien social et le développement économique. Comme on le sait et comme on le répète souvent dans de telles circonstances, l’économie algérienne reste extrêmement dépendante d’une seule source de revenus provenant des exportations d’hydrocarbures. En conséquence, le pays est extrêmement vulnérable à l’instabilité et au caractère cyclique des marchés mondiaux. Il n’est donc pas surprenant que les préoccupations du gouvernement concernant les perspectives du gaz aient suivi de près les inquiétudes beaucoup plus profondes causées par la chute spectaculaire des prix du pétrole et son impact économique et social déjà perceptible, sans parler du risque d’aggraver considérablement une transition politique déjà difficile vers un régime post-Bouteflika. »

Les périodes de crise pétrolière révèlent brutalement les limites de ce modèle. La chute des prix du baril en 1986 plongea l’Algérie dans une grave récession, qui fut l’une des causes directes des émeutes de 1988. Plus récemment, la baisse des cours en 2014 a provoqué une nouvelle crise budgétaire, obligeant l’État à puiser dans ses réserves de change et à réduire ses dépenses. La pandémie de Covid-19, en réduisant la demande mondiale d’énergie, a accentué cette vulnérabilité.

La dépendance à la rente explique également le faible dynamisme du secteur productif hors hydrocarbures. L’industrie est peu diversifiée, l’agriculture reste sous-développée et le secteur privé est entravé par la bureaucratie et la corruption. Le chômage des jeunes, qui touche près de 30 % des 16-24 ans selon la Banque mondiale (2021), est une bombe sociale à retardement. Comme le note Lowi (2009), « l’économie rentière algérienne produit un cercle vicieux : elle distribue sans créer, elle assiste sans transformer » (p. 102).

Le problème n’est donc pas seulement économique mais politique : la rente est un instrument de pouvoir. Elle alimente un clientélisme massif, où les ressources servent à consolider le régime en place plutôt qu’à développer le pays. Ce que certains chercheurs appellent « la malédiction des ressources » (Auty, 1993) trouve en Algérie une illustration exemplaire : l’abondance des hydrocarbures empêche la diversification, entretient la dépendance et bloque la démocratisation.

Crises sociales et générationnelles

La société algérienne vit une tension permanente entre aspiration au changement et sentiment d’enfermement. Plus de 70 % de la population a moins de 35 ans (Office national des statistiques, 2021), mais cette jeunesse est confrontée au chômage, au manque de perspectives et à une crise de confiance envers les institutions. Beaucoup voient dans l’émigration – la harga, fuite clandestine vers l’Europe – la seule issue possible. Comme le décrit Sayad (1999), « l’émigration est à la fois un symptôme et une solution imaginaire aux blocages de la société algérienne » (p. 84).

Le malaise social s’exprime aussi dans la contestation récurrente. Le Hirak de 2019 n’a pas surgi ex nihilo : il est l’aboutissement de décennies de frustrations accumulées. Déjà en 2001, les émeutes en Kabylie, connues comme le « Printemps noir », avaient montré l’ampleur de la colère populaire contre l’injustice, la corruption et le mépris de l’État. Plus récemment, des mouvements sectoriels (enseignants, médecins, chômeurs du Sud) ont révélé la diversité des revendications sociales.

La société algérienne vit également une crise de confiance institutionnelle. Les élections sont largement perçues comme truquées, les partis politiques comme discrédités et les syndicats comme instrumentalisés. Cette désaffection nourrit une apathie citoyenne mais aussi une contestation radicale : « Yetnahaw gaâ  يتنحاو كاع » (« qu’ils dégagent tous »), slogan phare du Hirak, exprime ce rejet global du système.

À cette crise sociale s’ajoute une fracture générationnelle. La génération de la guerre de libération, longtemps au pouvoir, peine à céder la place. La jeunesse, connectée aux réseaux sociaux et ouverte sur le monde, aspire à une autre modernité. Comme le soulignent Dris-Aït Hamadouche, Bensaâd, & Rahal (2020) le Hirak s’est manifesté de manière globale en Algérie :

 « Le vendredi 22 février 2019 avaient lieu, sur l’ensemble du territoire algérien, des manifestations — des marches — impressionnantes. Pendant plusieurs mois, tous les vendredis, elles furent suivies par d’autres, avec, en alternance, des marches étudiantes les mardis. Ce pays qui avait semblé regarder en spectateur les « printemps arabes » de 2011, marqué qu’il était par la violence civile de la « Décennie noire » des années 1990, rattrapait les pays voisins par le caractère collectif, heureux et festif des marches. La crainte d’un retour de la violence, instrumentalisée ou réelle, avait longtemps contribué à disqualifier partis politiques et initiatives citoyennes autonomes et nourri la peur de l’instabilité. Inhibitrice à l’intérieur, cette violence avait aussi agi comme repoussoir à l’extérieur, dans la région arabe et notamment dans la proximité maghrébine où elle avait servi comme argument aux autoritarismes pour mettre fin aux velléités d’ouverture qui avaient été concédées au Maroc et en Tunisie. ».

La question du pouvoir : entre continuité autoritaire et blocage politique

Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie est marquée par une centralisation extrême du pouvoir, contrôlé par une élite politico-militaire. La guerre de libération, tout en apportant la liberté nationale, a légitimé une structure politique fermée où l’armée occupe une place centrale. Cette « légitimité révolutionnaire » s’est transformée en une logique d’accaparement du pouvoir par le Front de libération nationale (FLN), qui s’est imposé comme parti unique durant plusieurs décennies (Addi, 1994).

Le système algérien repose sur un équilibre fragile entre le pouvoir civil, formel, et le pouvoir militaire, réel. Comme le note Entelis (2016), « l’armée demeure le véritable arbitre de la vie politique, intervenant directement ou indirectement dans le choix des dirigeants ». Cette dualité crée un climat de défiance chez les citoyens, qui perçoivent l’État comme opaque et déconnecté des aspirations populaires.

Entelis qualifie ainsi l’Algérie d’un hybrid system où les autorités civiles, entendues comme la Présidence et le gouvernement, sont conditionnées par le pouvoir militaire qui reprend la forme d’un État profond. Cette dualité contribue à une crise de légitimité où les citoyens jugent l’État comme obscur et étranger à leurs mobilisations : on peut citer les élections contestées de 2019, boycottées à plus de 60 %, et les demandes du Hirak en 2019 de Dawla madania. À l’appui d’analyses historiques, de données électorales et de nombreuses observations directes, Entelis montre comment l’armée accomplit son maintien en puissance tout en la déléguant et la tolérant.

La crise politique atteint un tournant en 1988, lorsque des émeutes massives secouent le pays, conduisant à une ouverture politique momentanée et à l’autorisation du multipartisme. Mais cette transition, loin d’apporter une réelle démocratisation, a débouché sur une tragédie nationale : la guerre civile des années 1990. Le processus électoral ayant permis au Front islamique du salut (FIS) de remporter les élections législatives fut interrompu par l’armée, déclenchant une décennie sanglante qui fit près de 200 000 morts (Martinez, 2000).

Depuis, l’Algérie vit dans une logique de « réconciliation nationale » partielle, orchestrée par Abdelaziz Bouteflika dans les années 2000, mais sans véritable remise en question des structures de pouvoir. Cette stabilité relative repose moins sur une adhésion citoyenne que sur une politique d’achat de la paix sociale grâce à la rente pétrolière. Lorsque cette rente se réduit, les contradictions internes ressurgissent avec force. Le mouvement du Hirak en 2019 illustre cette impasse : une mobilisation populaire massive, pacifique, réclamant la fin du « système » et la naissance d’un véritable État de droit (López García, 2020). Mais les élites en place ont répondu par une stratégie d’usure et de récupération, étouffant peu à peu cette dynamique démocratique (Chtatou, 2O22, 27 novembre).

En définitive, l’Algérie est piégée dans un cercle vicieux où l’autoritarisme perpétue les blocages institutionnels, et où l’absence de perspectives politiques nourrit la frustration sociale.

Une économie de rente en déclin : dépendance et vulnérabilité

L’économie algérienne constitue l’un des nœuds centraux des crises successives. Héritière d’un modèle de développement basé sur la rente des hydrocarbures, elle souffre d’une dépendance structurelle au pétrole et au gaz, qui représentent encore près de 95 % des exportations et plus de 60 % du budget national (International Monetary Fund, 2022). Cette dépendance rend le pays extrêmement vulnérable aux fluctuations des prix internationaux de l’énergie.

La chute des prix du pétrole en 2014 a mis en lumière cette fragilité. Le gouvernement, incapable de diversifier ses revenus, a puisé dans les réserves de change, passées de 194 milliards de dollars en 2014 à moins de 50 milliards en 2021 (World Bank, 2021). Ce tarissement progressif de la rente a réduit la capacité de l’État à financer ses politiques sociales et ses subventions, accentuant les tensions sociales.

L’économie algérienne est également marquée par une bureaucratie lourde, des rigidités réglementaires et une corruption systémique. Selon Transparency International (2023), l’Algérie se classe parmi les pays les plus corrompus de la région MENA, un facteur qui décourage l’investissement étranger et freine l’innovation.

Le chômage des jeunes reste l’une des plaies les plus profondes : plus de 30 % des moins de 30 ans sont sans emploi, alors que cette catégorie représente plus de la moitié de la population (Bessaoud, 2019). Face à ce blocage, beaucoup aspirent à l’émigration, légale ou clandestine, donnant naissance au phénomène des « harraga », ces jeunes qui risquent leur vie en mer pour rejoindre l’Europe.

En somme, l’Algérie illustre les limites d’un modèle économique rentier incapable de se réinventer. Comme le résume Henry et Springborg (2010, p. 140), « la dépendance à la rente est non seulement un facteur de stagnation économique, mais aussi un instrument de reproduction autoritaire ».

Une société fracturée : crise sociale et culturelle

Au-delà des dimensions politiques et économiques, l’Algérie connaît une profonde crise sociale qui mine son tissu national. L’aspiration à la dignité et à la justice, exprimée massivement par le mouvement du Hirak, révèle une société en quête de renouveau mais en butte à de multiples blocages.

La jeunesse en quête d’avenir

L’Algérie est un pays jeune : plus de 70 % de la population a moins de 35 ans (Office national des statistiques, 2022). Pourtant, cette jeunesse, censée être un moteur de développement, se trouve marginalisée. Le chômage massif, la rareté des perspectives professionnelles et la fermeture politique créent un sentiment d’étouffement. Comme l’a déclaré Bessaoud (2023, juin 23) en disant que la jeunesse algérienne est : « instruite et connectée, mais sans perspective d’avenir, revendicative mais confrontée à la répression. »

Ce décalage nourrit une profonde désillusion et une tentation de départ. Les jeunes ne se reconnaissent ni dans les institutions politiques, jugées corrompues, ni dans les modèles sociaux traditionnels, perçus comme contraignants. Leur révolte silencieuse s’exprime par des formes de résistance informelles : art urbain, musique raï et rap, usage massif des réseaux sociaux, autant d’espaces où s’invente une contre-culture critique du système.

Les fractures identitaires et linguistiques

La société algérienne est également travaillée par des tensions identitaires. La question amazighe, longtemps marginalisée, a été un sujet central de contestation. Ce n’est qu’en 2002 que le tamazight a été reconnu langue nationale, puis langue officielle en 2016. Mais, comme le rappelle Chaker (2017), cette reconnaissance symbolique peine à se traduire par une véritable égalité linguistique et culturelle.

« Toute mise en œuvre dilatoire ou restrictive du principe d’officialité sera immanquablement perçue par les Berbérophones comme un déni de justice, une violation d’un engagement constitutionnel, avec toutes les conséquences politiques que l’on peut imaginer. »

De plus, le rapport à l’arabité et à l’islamité, hérités des politiques d’arabisation postindépendance, reste conflictuel. Une partie de la population revendique une identité plurielle, ouverte sur la Méditerranée et l’Afrique, tandis qu’une autre, influencée par les courants islamistes, insiste sur une homogénéisation culturelle et religieuse. Cette tension identitaire fragilise la cohésion sociale et alimente les discours de méfiance mutuelle.

La crise de confiance et la désagrégation du lien social

L’un des symptômes majeurs de la crise sociale algérienne est la perte de confiance : confiance envers les institutions, envers les élites, mais aussi envers les solidarités traditionnelles. L’urbanisation accélérée et la crise économique ont affaibli les structures familiales et communautaires, créant un climat d’individualisme contraint et de précarité généralisée (Chtatou, 2019).

Le Hirak, par sa dimension pacifique et inclusive, a toutefois révélé l’existence d’un désir profond de refondation collective. Comme l’écrit López García (2020), « la société algérienne a montré une remarquable maturité en privilégiant la non-violence, en affirmant une conscience civique et en esquissant les contours d’une citoyenneté active ». Mais face à la répression, cette dynamique peine à se maintenir, et la démobilisation risque de laisser place à un sentiment d’impuissance généralisé.

En résumé, la crise sociale algérienne est le reflet d’une tension permanente entre désespoir et espoir, entre délitement et résistance créative. Elle montre que, malgré les blocages, une vitalité sociale existe, prête à se déployer si l’espace politique venait à s’ouvrir.

Les crises géopolitiques et régionales

La fragilité interne de l’Algérie ne peut être comprise indépendamment de son environnement régional. L’État algérien, fort de sa position géographique au carrefour de la Méditerranée, du Maghreb et du Sahel, est directement exposé aux instabilités régionales. Mais loin de s’affirmer comme un acteur stabilisateur, il se retrouve lui-même pris dans des dynamiques de crise qui accentuent ses vulnérabilités internes.

Le conflit du Sahara occidental : une impasse stratégique

Depuis 1975, l’Algérie est le principal soutien politique, militaire et diplomatique du Front Polisario dans son combat pour l’indépendance du Sahara occidental, au détriment de ses relations avec le Maroc. Cette position, qui se veut de principe au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est en réalité une source d’isolement régional.

Comme le souligne Zoubir (2020, p.10), « l’obsession sahraouie constitue l’un des principaux handicaps de la politique étrangère algérienne, mobilisant des ressources considérables sans offrir de perspectives de règlement ». Le blocage du dossier sahraoui nourrit une hostilité chronique avec le Maroc, empêchant la construction d’un Maghreb uni, pourtant indispensable à l’intégration économique et politique régionale.

La rivalité algéro-marocaine

Les tensions avec le Maroc, exacerbées par la fermeture des frontières depuis 1994, symbolisent la faillite du rêve d’un Maghreb intégré. Cette rivalité se nourrit d’un double paradoxe : d’un côté, une proximité culturelle et historique évidente ; de l’autre, une méfiance politique ancrée dans les logiques de puissance et de leadership régional.

L’Algérie considère son rôle comme celui de « puissance révolutionnaire » héritée de sa guerre d’indépendance, tandis que le Maroc s’appuie sur sa monarchie stable et ses partenariats internationaux pour s’imposer. Cette compétition nourrit une diplomatie de blocage, où chaque pays tente de contrer l’autre sur les scènes africaine et internationale.

La dimension sahélienne et sécuritaire

Au sud, l’Algérie est directement exposée à l’instabilité chronique du Sahel, notamment au Mali, au Niger et en Libye. Ces zones sont devenues des foyers de terrorisme, de trafic de drogues et de migration clandestine. Officiellement, l’Algérie se veut un acteur incontournable de la médiation régionale, comme en témoigne son rôle dans les accords de paix d’Alger au Mali en 2015.

Cependant, sa capacité d’action est limitée par ses propres fragilités internes et par une méfiance croissante de ses voisins, qui voient dans sa diplomatie un mélange d’ingérence et d’inefficacité. En outre, l’armée algérienne, bien que puissante, peine à assurer une stratégie régionale cohérente, oscillant entre une logique défensive et des ambitions hégémoniques mal assumées (Sur, 2016).

L’enjeu méditerranéen et les rapports avec l’Europe

Au nord, la Méditerranée constitue à la fois une ouverture et une source de dépendance. L’Algérie est l’un des principaux fournisseurs de gaz de l’Europe du Sud, en particulier de l’Espagne et de l’Italie. Cette rente énergétique, longtemps perçue comme un levier de puissance, est devenue une vulnérabilité avec la transition énergétique européenne et la concurrence accrue d’autres fournisseurs.

De plus, les relations avec l’Union européenne oscillent entre partenariat et crispation. L’UE critique le manque de réformes démocratiques et la mauvaise gouvernance en Algérie, tandis qu’Alger accuse l’Europe d’ingérence et de néocolonialisme. Cette ambivalence illustre la difficulté de l’Algérie à définir une stratégie claire vis-à-vis de son voisinage nord-méditerranéen.

La crise de légitimité internationale

Enfin, l’Algérie souffre d’une image brouillée sur la scène internationale. Malgré son passé prestigieux de leader du tiers-monde et du mouvement des non-alignés, elle est aujourd’hui perçue comme un acteur paralysé, enfermé dans des postures idéologiques dépassées. Sa diplomatie, jadis flamboyante, apparaît en retrait face à l’activisme de puissances émergentes comme le Maroc, la Turquie ou encore le Qatar.

En somme, la dimension géopolitique des crises algériennes montre un pays prisonnier de ses contradictions : puissance régionale sur le papier, mais marginalisée par ses blocages internes et ses choix stratégiques rigides.

Dessin de Carole Hénaff

La crise institutionnelle et militaire

La crise institutionnelle en Algérie constitue l’un des éléments structurants de l’instabilité chronique du pays. Depuis l’indépendance en 1962, le système politique s’est organisé autour d’un équilibre fragile entre pouvoir civil et pouvoir militaire, où l’armée joue un rôle central, parfois même hégémonique, dans la régulation de la vie politique. Cette réalité, souvent qualifiée de « pouvoir réel » (Institut de Gouvernance et d’Hégémonie (IGH), 2025), a engendré une crise de légitimité durable des institutions civiles.

L’histoire récente illustre cette dynamique. La présidence de Houari Boumédiène (1965-1978) avait déjà consacré la suprématie de l’armée sur le politique, avec un modèle autoritaire reposant sur le parti unique et la centralisation. Après sa mort, Chadli Bendjedid tenta d’introduire un début de libéralisation politique à la fin des années 1980, notamment après les émeutes d’octobre 1988. Mais l’interruption du processus électoral de 1991, suite à la victoire annoncée du Front islamique du salut (FIS), marqua le retour en force de l’armée sur la scène politique. Ce coup d’arrêt à l’expérience démocratique plongea le pays dans une décennie sanglante, connue sous le nom de « décennie noire », où l’armée se posa comme garante de la survie de l’État, au prix d’une guerre civile meurtrière.

Ce traumatisme collectif continue d’influencer les dynamiques institutionnelles actuelles. L’armée demeure l’acteur décisif de toute succession présidentielle. Les transitions de Chadli Bendjedid à Liamine Zéroual, puis d’Abdelaziz Bouteflika à Abdelmadjid Tebboune, ont toutes été négociées et encadrées par les élites militaires. Comme l’affirme Martinez (2000, p. 45), « en Algérie, le vote des urnes pèse moins que celui des casernes ». Cette omniprésence, perçue comme une confiscation du pouvoir politique, alimente une profonde crise de confiance entre le peuple et ses institutions.

Le mouvement du Hirak (2019-2020) a mis en lumière ce fossé. En exigeant un véritable État civil et non militaire, les manifestants dénonçaient la tutelle de l’armée sur la vie politique et réclamaient une refondation constitutionnelle. Si les élections présidentielles de 2019 ont porté Abdelmadjid Tebboune au pouvoir, elles ont été largement contestées comme une reconduction du système, orchestrée par l’armée. Cette perception contribue à nourrir une légitimité érodée du régime, incapable de se régénérer en profondeur.

De plus, l’armée, tout en exerçant son influence politique, conserve un rôle central dans l’économie. Par ses entreprises parapubliques, ses participations dans les hydrocarbures et les infrastructures, elle constitue un acteur économique incontournable, renforçant son poids dans le jeu institutionnel. Cette imbrication entre pouvoir militaire, intérêts économiques et institutions civiles bloque l’émergence d’un État de droit transparent et fonctionnel).

En somme, la crise institutionnelle et militaire algérienne ne se limite pas à une simple rivalité de pouvoir entre civils et militaires ; elle reflète une incapacité chronique à construire un système politique équilibré, démocratique et autonome. L’armée, garante de la stabilité, est également paradoxalement l’un des principaux freins à la démocratisation. Tant que ce paradoxe structurel persistera, l’Algérie demeurera prisonnière d’une instabilité institutionnelle, minant ses perspectives de réforme et de développement.

La crise institutionnelle et militaire à l’ère post-Hirak (2021-2023)

Depuis l’essoufflement du mouvement du Hirak en 2020, en raison de la pandémie de COVID-19 et d’une répression accrue, l’Algérie est entrée dans une nouvelle phase de consolidation autoritaire où l’armée continue de jouer un rôle pivot. L’élection d’Abdelmadjid Tebboune en décembre 2019 n’a pas suffi à restaurer la confiance populaire. Au contraire, de larges segments de la société considèrent encore cette transition comme une manœuvre institutionnelle orchestrée par l’appareil militaire pour perpétuer l’ordre existant (Benchikh, 2021).

En 2021 et 2022, les manifestations du Hirak ont repris sporadiquement dans plusieurs villes, mais elles ont été confrontées à une stratégie sécuritaire renforcée : arrestations massives, lois restrictives sur les associations et la presse, et surveillance accrue des réseaux sociaux. L’armée, en coordination avec les forces de sécurité, a joué un rôle déterminant dans le maintien de cet ordre coercitif. Cette approche a consolidé l’image d’un pouvoir militaire méfiant vis-à-vis de toute contestation populaire, préférant la répression à l’ouverture politique.

Par ailleurs, sur le plan régional, le rôle militaire algérien s’est accentué à travers la réforme constitutionnelle de 2020, qui autorise désormais l’armée à intervenir au-delà des frontières nationales. Cette évolution traduit une volonté d’affirmer le poids géopolitique de l’Algérie dans un contexte instable, marqué par la guerre en Libye, les tensions au Sahel et le regain de tensions avec le Maroc au sujet du Sahara occidental. Toutefois, cette extension de mission met également en lumière la priorité donnée à l’appareil militaire au détriment du renforcement des institutions civiles.

En 2022-2023, l’armée est restée un acteur incontournable dans la gestion de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. L’Algérie, en tant que fournisseur clé de gaz pour l’Europe, a vu sa position internationale renforcée. Mais cette manne énergétique, gérée en grande partie par un système où l’armée et les élites politico-économiques restent imbriquées, n’a pas été traduite en réformes structurelles profondes. Cela accentue le sentiment d’une captation des ressources par le sommet et d’une absence de redistribution équitable, alimentant la défiance populaire.

Enfin, la crise institutionnelle algérienne se manifeste aussi par l’absence d’une opposition politique structurée et autonome. Les partis sont marginalisés, les figures de la société civile criminalisées, et les élections, tant législatives que locales (2021-2022), se sont tenues dans un climat d’abstention record. Ce vide politique est comblé par l’omniprésence de l’armée, qui reste l’ultime arbitre des grandes orientations nationales.

Ainsi, l’Algérie de l’ère post-Hirak illustre un paradoxe : malgré une volonté affichée de réformes constitutionnelles et institutionnelles, la centralité de l’armée dans la vie politique et économique perdure, limitant l’émergence d’un État civil crédible et accentuant une crise de légitimité structurelle. Comme le résume Addi (2016) :

 « Pour comprendre cette situation, il faut rappeler que les militaires se considèrent comme dépositaires du nationalisme, se posant comme les plus nationalistes parmi la population, toutes catégories confondues. Ceux d’entre eux qui auront été éprouvés dans le temps, graviront les échelons hiérarchiques et se rapprocheront de la norme idéale de l’individu nationaliste. La prétention de l’officier supérieur à détenir la légitimité politique se fonde sur cette croyance selon laquelle il est le plus près de la norme de l’individu national. »

La crise démographique et sociale : jeunesse, chômage et désespoir migratoire

L’une des dimensions les plus aiguës de la crise algérienne réside dans le déséquilibre démographique et social. Avec une population de plus de 45 millions d’habitants, dont près de 70 % ont moins de 35 ans, l’Algérie est confrontée à une jeunesse nombreuse, éduquée mais désabusée (Boubekeur, 2021). Ce potentiel démographique, qui aurait pu constituer un atout pour le développement, se transforme en facteur d’instabilité face à l’incapacité du système politique et économique à offrir des perspectives crédibles.

Le chômage des jeunes dépasse officiellement 30 % dans certaines régions, un taux qui masque une réalité encore plus sombre si l’on prend en compte le sous-emploi et l’économie informelle. Les diplômés de l’enseignement supérieur sont particulièrement touchés, ce qui alimente un profond sentiment d’injustice sociale. La dissonance entre les aspirations d’une jeunesse connectée au monde via les réseaux sociaux et la rigidité d’un système politique verrouillé engendre frustration et radicalisation des positions (Fondation Friedrich Ebert (FES), 2023).

Ce malaise social s’exprime aussi à travers le phénomène massif du harga — l’émigration clandestine. Des milliers de jeunes Algériens risquent leur vie chaque année en traversant la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Cette fuite illustre non seulement l’absence de confiance envers les institutions nationales, mais aussi la conviction que l’avenir est ailleurs. La harga est devenue, pour une partie de la jeunesse, un acte de contestation silencieuse contre un État perçu comme incapable d’assurer dignité et opportunités.

Parallèlement, la dégradation des services publics — santé, éducation, logement — alimente le ressentiment. Les hôpitaux souffrent de pénuries chroniques, révélées de façon dramatique durant la pandémie de COVID-19. Le système éducatif, longtemps considéré comme un pilier de l’État-nation, est accusé de reproduire des inégalités et de ne pas répondre aux exigences du marché du travail. Quant à la crise du logement, elle continue de nourrir tensions et frustrations dans les grandes agglomérations.

Hirak (2019-2021)

Le rapport entre l’État et la jeunesse est marqué par une rupture générationnelle. Alors que les élites politiques se réfèrent encore au récit fondateur de la guerre de libération, une majorité de jeunes nés après les années 1990 ne s’identifient plus à cet héritage. Ils demandent un récit national renouvelé, fondé sur des droits, des libertés et une participation citoyenne réelle. Or, le refus du pouvoir de repenser ce pacte social contribue à accentuer le fossé.

En somme, la crise démographique et sociale en Algérie traduit un paradoxe douloureux : un pays riche en ressources naturelles et humaines, mais incapable de transformer ce potentiel en moteur de développement. Cette fracture entre un État verrouillé et une jeunesse en quête d’avenir constitue l’une des menaces les plus sérieuses pour la stabilité à moyen terme.

Les fractures sociales et culturelles : identités et revendications

L’Algérie est un pays pluriel, marqué par une diversité identitaire et linguistique qui fait sa richesse mais aussi sa fragilité. La question amazighe en constitue un révélateur essentiel. Longtemps niée par le pouvoir central, l’identité berbère a trouvé, au prix d’âpres luttes, une reconnaissance progressive, notamment avec la constitutionnalisation du tamazight comme langue nationale et officielle (Bektache, 2018). Toutefois, cette reconnaissance reste en grande partie symbolique, tant les politiques publiques peinent à promouvoir une véritable égalité linguistique et culturelle. Cette fracture nourrit une défiance persistante envers l’État, notamment en Kabylie.

Par ailleurs, la jeunesse algérienne, qui représente plus de la moitié de la population, vit une situation paradoxale : éduquée, connectée, mais confrontée au chômage et à la précarité (Meraihi, 2018). Son aspiration à la dignité, à la mobilité et à la liberté se heurte à un système verrouillé, ce qui alimente des vagues migratoires massives, qualifiées de harga. Cette fuite des énergies jeunes traduit la crise d’un contrat social incapable de retenir ses propres forces vives.

La crise environnementale et climatique : une menace silencieuse mais existentielle

Au-delà des crises politiques, économiques et sociales, l’Algérie fait face à une crise environnementale et climatique qui constitue un défi structurel majeur. Situé en grande partie dans une zone aride et semi-aride, le pays est particulièrement exposé aux effets du changement climatique. La raréfaction des ressources en eau, la désertification, la pollution urbaine et industrielle, ainsi que la déforestation mettent en péril non seulement la durabilité du développement, mais aussi la sécurité nationale (Benjaminsen & Hiernaux, 2019).

La crise hydrique est sans doute la plus pressante. Les barrages peinent à couvrir les besoins croissants d’une population en forte augmentation, tandis que les nappes phréatiques sont surexploitées. Les sécheresses répétées, aggravées par le dérèglement climatique, entraînent une baisse dramatique de la disponibilité de l’eau potable. Dans certaines wilayas, les coupures d’eau quotidiennes sont devenues un problème chronique, alimentant le mécontentement populaire et renforçant la perception d’un État incapable d’assurer un bien aussi vital.

La désertification progresse rapidement dans les Hauts Plateaux et menace directement l’agriculture, secteur déjà fragilisé par des politiques publiques incohérentes. La dépendance croissante aux importations alimentaires, combinée aux impacts du climat, accentue la vulnérabilité alimentaire du pays. Par ailleurs, la pollution atmosphérique dans les grandes villes comme Alger, Oran ou Annaba atteint des niveaux préoccupants, conséquence d’une industrialisation mal maîtrisée et d’un parc automobile vétuste.

Les incendies de forêts de l’été 2021 et 2022, particulièrement meurtriers en Kabylie, ont révélé l’ampleur de la fragilité écologique du pays. Au-delà des pertes humaines et économiques, ces catastrophes ont mis en lumière les déficits en matière de prévention, de coordination et de gestion des risques. Beaucoup d’Algériens ont vu dans ces drames la preuve d’un État défaillant, incapable de protéger ses citoyens face à des menaces prévisibles.

La dimension climatique a aussi une forte dimension géopolitique. L’Algérie, dépendante de ses exportations d’hydrocarbures, se trouve face à un dilemme : comment concilier une transition énergétique indispensable avec un modèle économique fondé sur le pétrole et le gaz ? Le retard accumulé dans le développement des énergies renouvelables contraste avec le potentiel solaire exceptionnel du Sahara, qui pourrait faire du pays un acteur régional majeur dans la production d’énergie verte.

Enfin, la crise environnementale nourrit un sentiment d’injustice sociale : les populations les plus pauvres sont celles qui subissent le plus directement les conséquences de la dégradation écologique, tandis que les élites politiques et économiques parviennent à se protéger. Cette inégalité environnementale accentue encore le fossé entre gouvernants et gouvernés.

Ainsi, la crise écologique en Algérie n’est pas seulement un enjeu technique ou environnemental. Elle constitue une menace existentielle pour le pays, susceptible de déclencher de nouvelles vagues de contestation sociale si elle n’est pas intégrée dans une stratégie nationale de développement durable et équitable.

Les enjeux environnementaux et climatiques

La crise algérienne n’est pas seulement politique, sociale ou géopolitique : elle est également écologique. Le pays, largement aride, est exposé à des sécheresses chroniques, à l’avancée du désert et à une gestion précaire de l’eau (Benmessaoud, 2020). Le dérèglement climatique aggrave les vulnérabilités agricoles et menace la sécurité alimentaire. À cela s’

ajoutent des incendies de forêts récurrents, dont la gestion inefficace a accentué le ressentiment populaire envers l’État.

Le défi environnemental met en lumière la faiblesse de la gouvernance et l’absence de stratégies durables. Alors que les pays voisins développent des politiques énergétiques diversifiées, l’Algérie reste prisonnière de son modèle extra-activiste basé sur les hydrocarbures. Cette dépendance renforce la fragilité structurelle du pays, incapable de préparer un avenir post-pétrolier.

Conclusion

L’Algérie, « pays de toutes les crises », apparaît comme un paradoxe permanent : riche en ressources mais appauvrie dans sa gouvernance, peuplée d’une jeunesse dynamique mais exilée, héritière d’une histoire glorieuse mais empêtrée dans les blocages du présent. Les crises politiques, sociales, économiques et géopolitiques s’entrelacent pour former une toile complexe, où chaque tentative de réforme se heurte à la résilience d’un système ancré dans l’immobilisme.

Cependant, le pays n’est pas condamné à l’échec. Le mouvement du Hirak a montré qu’il existe, au sein de la société, une capacité d’auto-organisation, une conscience politique et une exigence démocratique capables de bousculer les certitudes du pouvoir. De même, la richesse culturelle et identitaire de l’Algérie peut constituer une force d’unité si elle est assumée et valorisée plutôt que niée.

Le défi est immense : inventer un modèle politique fondé sur la transparence, un modèle économique tourné vers l’innovation et la diversification, et une diplomatie capable de dépasser les antagonismes stériles. L’avenir de l’Algérie dépendra de sa capacité à transformer ses crises en opportunités, à renouer avec l’idéal émancipateur de son indépendance et à donner à sa jeunesse les moyens d’espérer et de bâtir.

L’Algérie se présente aujourd’hui comme un pays pris dans un enchevêtrement complexe de crises structurelles. La crise politique est marquée par la domination persistante de l’armée, l’érosion des institutions et l’incapacité des élites à offrir une vision démocratique partagée. La crise économique résulte d’une dépendance excessive aux hydrocarbures et d’une absence de diversification, ce qui expose le pays aux fluctuations du marché mondial et empêche la création d’un développement durable. Sur le plan social, les inégalités, le chômage massif des jeunes et la marginalisation de certaines régions, notamment la Kabylie et le Sud, entretiennent un sentiment de frustration et d’exclusion qui alimente la contestation.

À cela s’ajoutent les crises géopolitiques, notamment la rivalité avec le Maroc, le dossier du Sahara occidental, ainsi que les instabilités régionales au Sahel, qui placent l’Algérie dans une position défensive permanente. L’environnement, quant à lui, constitue une menace silencieuse mais non moins préoccupante, car la raréfaction des ressources en eau, la désertification et la dépendance aux hydrocarbures compromettent à terme la sécurité et la souveraineté nationale. Enfin, la crise institutionnelle, fruit de la mainmise de l’armée sur la vie politique, empêche l’émergence d’un véritable contrat social.

Ces multiples crises révèlent une vérité profonde : l’Algérie souffre d’un blocage systémique où chaque tentative de réforme est freinée par la crainte d’un effondrement de l’ordre établi. Pourtant, le pays possède d’énormes ressources humaines, naturelles et culturelles qui pourraient en faire un acteur régional majeur. La jeunesse, en particulier, incarne une force de renouvellement et d’innovation, mais elle reste prisonnière d’un système verrouillé.

L’avenir de l’Algérie dépendra de sa capacité à rompre avec ce cycle de crises répétitives et à construire un modèle de gouvernance inclusif, durable et participatif. Cela nécessitera une réforme en profondeur des institutions, une diversification économique tournée vers les énergies renouvelables et l’économie de la connaissance, ainsi qu’une reconnaissance effective des diversités culturelles et régionales. Sans un tel sursaut, l’Algérie risque de rester prisonnière de ses contradictions internes et de ses blocages historiques.

Ainsi, l’Algérie apparaît bien comme le « pays de toutes les crises », mais aussi comme celui de toutes les potentialités, si ses ressources sont mises au service d’un projet collectif capable de rallier ses citoyens et de réconcilier le pays avec lui-même (Chtatou, 2021, 30 août).

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