Nous sommes à quelques semaines du triple scrutin du 25 mai 2014 en Belgique. Ces élections ont un enjeu énorme pour l’avenir de la Belgique fédérale, des trois régions «la région de Bruxelles-Capitale, la région Wallonne et la région flamande» et de l’Europe.
Pour rappel, la 6ème réforme institutionnelle de l’Etat a été bouclée avec la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvoorde et bien des réformes dans divers domaines de la vie de l’Etat belge.
La stabilité actuelle ne doit pas occultés que la Belgique avait traversé une crise grave qui a paralysé l’appareil de l’Etat durant plus de 500 jours.
Aujourd’hui, force de constater que l’enjeu de demain reste :
– La solidarité entre belges
– La croissance des trois régions
– La cohabitation entre communautés
– Le mieux vivre ensemble entre Autochtone et Allochtone.
La population d’origine marocaine, particulièrement amazigh de la région du Rif, de Belgique se sent concernée par ces élections et s’interroge à propos des questions existentielles d’emploi, de l’école et de culture.
Votre journal « Le Monde Amazigh » tribune démocratique a voulu prendre le pool de ces enjeux électoraux en interrogeant trois personnalités bruxelloises issues des partis de droite (MR), de gauche (PS) et (ECOLO) pour connaitre les projets de leurs formations respectives face aux interrogations des citoyens concernant ces problématiques.
Il s’agit donc, de Madame Françoise Schuepmans du Mouvement Réformateur (MR), Bourgmestre de la commune de Molenbeek Saint-Jean, députée régionale et 2ème sur les listes aux fédérale ; de Monsieur Ahmed Laaouej du Parti Socialiste (PS), Sénateur et 4ème sur les listes au fédérale et de Madame Zakia Khattabi du parti écologiste (ECOLO), Sénatrice et 1re sur les listes au fédérale.
Françoise Schepmans est une femme d’engagement, sincère et tenace née à Berchem-Sainte-Agathe le 18 juin 1960. Ancienne Présidente du Parlement de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. En 2011 devienne la seule et unique femme Bourgmestre de toute la région de Bruxelles Capitale. A plusieurs reprises elle a soutenu des initiatives pour la promotion et la défense de la langue et la culture Amazigh (Berbère). Impossible n’est pas Françoise est le slogan choisi pour sa campagne électorale.
Françoise Schepmans est 2ème sur les listes du parti Libéral pour l’élection fédérale du 25 mai 2014.
1. Madame Schepmans, en tant que Bourgmestre de Molenbeek Saint-Jean, et membre influent du parti du Mouvement Réformateur, vous savez ce que représente la communauté belge d’origine rifaine, pourriez-vous nous entretenir du programme de votre parti pour faire face aux contraintes, difficultés et aspirations des belges d’origine rifaine, aux fins d’une meilleure intégration ?
J’aime comparer Bruxelles à une mosaïque de cultures avec des gens provenant aussi bien du Maroc, dont beaucoup sont originaires du Rif, que de Turquie, de pays sub-sahariens… Ce foisonnement de cultures est bien sûr une richesse pour autant que les règles de la vie en société, ce qu’on appelle ces derniers temps le « Vivre Ensemble », soient partagées. Je parle ici d’un socle de valeurs communes dans le respect de chacun. Une fois ce décor planté, il faut favoriser l’épanouissement de toutes ces communautés. Les Rifains de Belgique, qui sont les héritiers de très anciennes et riches civilisations nord-africaines, ont tout à gagner à être reconnus. Je sais qu’ils aspirent à cette reconnaissance car ils sont, à juste titre, fiers de leur diversité au sein du Maroc. La bonne connaissance de leurs origines, traditions et culture leur permettra aussi de mieux s’épanouir en Belgique. Peut-être même avec un degré de liberté plus élevé que dans d’autres pays !
Mais je le souligne : ce ne doit pas mener à un repli identitaire. Au MR, on lutte contre toutes les formes de communautarisme qui conduirait à une différenciation. C’est fondamental : il n’y a rien de pire qu’une juxtaposition de communautés qui ne communiquent pas, qui ne partagent rien, qui ne se comprennent pas. Il faut combattre la ghettoïsation communautaire.
Concrètement, cela se traduit dans notre programme par un soutien au développement culturel de ces communautés, en ce y compris bien sûr celle des Amazighs, une prise en compte des besoins en termes d’emploi, de soutien à la formation, d’émancipation économique et sociale.
2. Quelle place pensez-vous accorder à l’identité, à la culture, à la langue et à la religion d’origine de cette communauté ? L’intégration signifie-t-elle pour vous l’abandon de l’identité d’origine ou inversement une meilleure place à l’identité et à la culture d’origine dans la vie et dans la réalité belge ?
Comme je vous l’ai dit : l’identité et la culture de la communauté Amazigh ont toute leur place à Bruxelles, à l’instar d’autres communautés. Je connais les difficultés auxquelles elle a été confrontée et ses aspirations à davantage de reconnaissance notamment culturelle.
L’intégration n’est évidemment pas l’abandon de son identité d’origine. On ne peut pas demander à des gens de choisir entre une identité rifaine et une identité belge. Renier ses origines, celles de ses parents, c’est comme déraciner un arbre.
Que du contraire : pour moi, l’intégration repose sur deux pieds. Le premier, c’est l’identité de ses racines, de ses origines, qu’il faut connaître et cultiver. Le deuxième, c’est l’identité bruxelloise, cosmopolite qu’il faut s’approprier en apprenant la ou les langues, en s’insérant sur le marché du travail, en participant à la vie sociale et culturelle. Pour être épanoui, en phase avec la société d’accueil, il faut que nos jeunes, Amazighs ou autres, campent solidement sur leurs deux pieds.
3. S’agissant, tout particulièrement, de la religion, vers quel Islam la Belgique serait-elle inscrite, celui de l’Islam marocain, de l’Islam oriental ou d’un Islam proprement local tolérant et ouvert issu de l’immigration musulmane belge? Un islam Belge ?
C’est une question importante qui ne touche d’ailleurs pas uniquement la Belgique ou même l’Europe. Ce débat, qui ne date pas d’hier, existe déjà dans de nombreux pays musulmans. L’Islam est une religion se voulant à vocation universelle : un message pour tous les hommes. L’unicité du Coran est un fondement clé. Même si l’Islam est traversé par différents courants d’interprétation, on ne peut pas parler d’un Islam belge ou d’un Islam français. Dans la pratique, cela ne pourrait voir le jour sans qu’il y ait une participation de toutes les composantes de la communauté musulmane de Belgique. Or, celle-ci est multiple et diversifiée, avec des sensibilités variées.
Toutefois, il faut évidemment encourager un Islam d’ouverture à toutes les communautés musulmanes (marocaine, turque, pakistanaise…). C’est toute la mission de l’Exécutif des Musulmans et des nombreuses associations qui organisent les mosquées. Il faut, par exemple, régler la question fondamentale de la formation des imams. Plutôt que de les faire venir de l’étranger, il serait préférable que ces imams soient formés en Belgique. Le contact avec les jeunes générations serait meilleur. On éviterait aussi certains discours radicaux qui n’ont pas leur place dans certaines mosquées.
4. Le taux de la discrimination à l’embauche, à l’enseignement et au logement est toujours très élevé au sein de la communauté d’origine marocaine, ne pensez-vous pas qu’il faudrait une discrimination positive de cette communauté de façon à lui assurer une meilleure insertion et intégration ?
Le travail pour tous les Bruxellois, c’est ma priorité au MR. Je connais bien les problèmes du chômage et de la discrimination à l’embauche : comme bourgmestre de Molenbeek, je reçois très souvent des habitants vivant ces situations. Dans ma commune, le taux de chômage des jeunes avoisine les 40% ! Malheureusement, les jeunes d’origine étrangère sont souvent les premiers confrontés. Pour certains, il s’agit d’un manque de qualification mais pour d’autres c’est effectivement une question de discrimination.
Plutôt que de faire la morale au secteur privé, les pouvoirs publics devraient montrer le bon exemple. Dans les administrations régionales et fédérales, chez les policiers, chez les pompiers,… il y a beaucoup trop peu de travailleurs bruxellois. Il ne suffit pas de bonnes intentions : il faut agir en offrant aux jeunes une formation adéquate pour accéder à ces emplois ! Le MR propose le renforcement des moyens pour la formation, des primes à l’embauche en tenant compte des besoins dans les quartiers les plus frappés par le chômage à Bruxelles.
Concernant l’attribution des logements sociaux, je ne suis pas favorable à l’instauration d’une « discrimination positive ». Il y a des règles très strictes en cette matière afin d’assurer, au contraire, l’égalité entre tous les candidats (et ils sont des milliers à Bruxelles !). Beaucoup de familles bruxelloises vivent en effet dans des conditions inacceptables et méritent d’obtenir un logement social. Les attribuer sur base d’une origine ethnique n’est pas imaginable. Par contre, il est impératif de veiller à l’égalité de traitement de tous les citoyens. C’est ce que nous faisons désormais à Molenbeek !
5. Quid du partenariat entre la Belgique et le Maroc et du rôle des belges d’origine rifaine ?
En cette année où nous fêtons les 50 ans de l’immigration marocaine en Belgique, nous devons saisir cette occasion pour fructifier davantage les partenariats entre les deux pays. Cela passe par l’augmentation des échanges culturels mais ce n’est pas suffisant. Il est important d’agir aussi sur le plan économique. Les besoins du Maroc sont croissants alors qu’en Belgique, les investisseurs cherchent de nouvelles opportunités. Il faut les encourager car les opportunités existent au Maroc. Je pense notamment au secteur du tourisme qui se porte très bien cette année. Il faut l’admettre que la région du RIF du pays ne profite pas assez de ce potentiel touristique. La mise en valeur de son patrimoine, culturel et artistique, offrirait un nouvel atout au tourisme du pays.
6. Quel est votre regard sur la situation des droits de l’homme au Maroc ?
Depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir, plusieurs avancées ont été enregistrées sur le sujet. La création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe, en 2001, fut, par exemple, un premier pas pour la reconnaissance attendue par les Rifains. D’autres devraient suivre… En Belgique, où nous avons trois langues nationales, on sait ô combien ce processus est long et semé d’embûches.
En tant que femme, je suis également très sensible à la condition féminine dans ce pays. La Moudawana, qui régit le droit de la famille, fut, en 2005, une avancée en termes de droits pour les femmes marocaines. Un observatoire national destiné à combattre la violence contre les femmes a aussi vu le jour. Près de 10 ans plus tard, on peut espérer un nouveau train de réformes. Les femmes marocaines le réclament ardemment.
7. Que pensez-vous du printemps des peuples et des indignés ?
Le printemps arabe a donné des résultats bien mitigés selon les pays. En 2010, lorsque le peuple tunisien s’est soulevé contre Ben Ali pour finir par le chasser du pouvoir, beaucoup d’observateurs se sont emballés en prédisant la fin des dictatures dans le monde arabe. Quatre ans plus tard, certains printemps se sont transformés en hiver cauchemardesque. La situation en Syrie est particulièrement préoccupante. La guerre a provoqué plusieurs dizaines de milliers de morts et de réfugiés. L’Egypte vit toujours sous tension avec l’éjection de Housni Moubarak puis de Mohamed Morsi en attendant de nouvelles élections. La Lybie est, pour le moins qu’on puisse dire, en proie à une grande instabilité politique. Bref, ce qui au départ étant perçu de l’Occident comme des mouvements de protestation, menés par des jeunes, pour davantage de libertés, ont engendré des conflits très meurtriers.
8. L’intégrisme religieux fait que de jeunes issus de l’immigration marocaine partent pour le Jihad en Syrie, quelles mesures pourraient être prises afin d’enrayer ce problème?
A Molenbeek, nous avons créé une cellule radicalisme au sein de la zone de police Bruxelles-Ouest. Sa mission est de détecter les signes avant-coureurs de toute forme de radicalisation et de rassembler les informations recueillies sur le terrain par la police, les agents de prévention, les éducateurs, etc. Ces derniers sont par ailleurs vigilants par rapport à la question. Toutefois, il faut être modeste : au niveau communal, nos moyens sont assez limités. Nous relayons bien évidemment nos préoccupations aux jeunes de Molenbeek afin qu’ils soient sensibles au danger de l’intégrisme. Il faut leur expliquer ce qui se passe en Syrie, les groupes et intérêts qui sont en jeu, les implications des pays voisins,… La lutte contre le radicalisme doit être un sujet de préoccupation au niveau fédéral. Et pas seulement lorsqu’on apprend que des gens partent en guerre. C’est un travail de longue haleine, à mener de concert avec les mosquées, les associations, les écoles et tous les acteurs concernés.
Cela dit, je ne pense pas que tous les départs en Syrie soient motivés par le djihad. Certains individus semblent animés par un sentiment de révolte par rapport à ce qui se passe là-bas. D’autres, ce sont tout simplement des têtes brûlées.
Ahmed laaouej est belge d’origine rifaine (marocaine), âgé de 45 ans, père de famille, il a des convictions socialistes bien trempées.
Il est président de la section ps de koekelberg et sénateur étiqueté socialiste. A son actif, de nombreuses propositions sur des questions économiques et fiscales.
Défenseur de la cause rifaine, il poursuit des combats contre l’exclusion sociale menant à la précarité des groupes-cibles d’origine allochtone.
Ahmed laaouej est 4ème sur les listes du parti socialiste pour l’élection fédérale du 25 mai 2014.
C’est dans ce cadre que nous l’avons rencontré à son domicile pour nos lecteur pour un entretien à cœur ouvert et il nous a ouvert son cœur.
1. Monsieur Laaouej, en tant que Sénateur, et membre influent du Parti Socialiste, vous savez ce que représente la communauté belge d’origine rifaine, pourriez-vous nous entretenir du programme de votre parti pour faire face aux contraintes, difficultés et aspirations des belges d’origine rifaine, aux fins d’une meilleure intégration ?
En effet, nos concitoyens belges issus du Rif sont très nombreux et c’est une richesse pour la Belgique. Le Parti Socialiste propose de poursuivre et d’amplifier les efforts dans le domaine de l’interculturalité et du « vivre ensemble ». Il y a bien sûr la lutte contre le racisme et la xénophobie, mais aussi le soutien aux initiatives associatives et culturelles, notamment Amazigh. C’est une civilisation millénariste et il serait dommage de ne pas lui réserver la place qu’elle mérite. A côté des aspirations culturelles, il y a bien sûr aussi l’intégration sociale et économique. Au PS, nous misons sur l’enseignement et l’éducation. L’objectif est d’assurer à tous un bon niveau d’enseignement et de formation pour que chacun trouve sa place dans la société. Il est essentiel aussi de lutter contre toute forme de discrimination à l’emploi et d’encourager celles et ceux qui développent une activité économique.
2. Quelle place pensez-vous accorder à l’identité, à la culture, à la langue et à la religion d’origine de cette communauté? L’intégration signifie-t-elle pour vous l’abandon de l’identité d’origine ou inversement une meilleure place à l’identité et à la culture d’origine dans la vie et dans la réalité belge ?
La culture touche à l’universel. Elle permet aux personnes de mieux se connaître et de se rapprocher. Notre conception de l’intégration ne conduit pas à demander à chacun de se dépouiller de sa culture ou de son identité d’origine. Au contraire, la Belgique gagne à s’enrichir de tous ces apports venus d’ailleurs, en veillant bien sûr à éviter le repli sur soi. C’est tout l’enjeu de l’interculturalité : vivre ensemble, se connaître, échanger et porter ensemble la Belgique, notre Belgique.
3. S’agissant, tout particulièrement, de la religion, vers quel Islam la Belgique serait-elle inscrite, celui de l’islam marocain, de l’Islam oriental ou d’un Islam proprement local tolérant et ouvert issu de l’immigration musulmane belge? Un Islam Belge ?
La liberté de culte est inscrite dans la Constitution. C’est l’histoire de la Belgique et l’Islam s’inscrit dans cette histoire dès le moment où les travailleurs venus du Maroc, de Turquie, d’Afrique subsaharienne ou d’ailleurs ont apporté avec eux leur spiritualité. Si l’on excepte la position de quelques organisations notoirement xénophobes qu’on peut classer à l’extrême droite, la légitimité de l’Islam en Belgique est aujourd’hui un fait. Il est vrai que l’Islam n’a pas, à proprement parler, de clergé. Il appartient dès lors aux musulmans de Belgique en collaboration avec les autorités publiques et de la manière la plus appropriée, de trouver les modalités d’organisation permettant de gérer au mieux les aspects temporels et administratifs du culte. Je suis pour ma part optimiste sur la conscientisation grandissante d’un grand nombre d’acteurs de la société civile musulmane. C’est un processus qui portera ses fruits. Sur la question de la tolérance, je ne vous étonnerai pas en vous disant que je suis évidemment partisan d’un Islam qui, respectueux de ses traditions, est ouvert sur le reste de la société. Que les choses soient claires : l’immense majorité des musulmans de Belgique vivent leur spiritualité de manière ouverte et tolérante. Seuls quelques énergumènes extrémistes (notamment ceux qui envoient des jeunes en Syrie) ternissent l’image de la religion qu’ils prétendent pratiquer et créent ce faisant des tensions dans la société belge. Ce faisant, ils renforcent l’extrême droite raciste et xénophobe. C’est au fond l’alliance des extrêmes. Il faut la déplorer et ne pas la laisser s’enraciner.
4. Le taux de la discrimination à l’embauche, à l’enseignement et au logement est toujours très élevé au sein de la communauté d’origine marocaine, ne pensez-vous pas qu’il faudrait une discrimination positive de cette communauté de façon à lui assurer une meilleure insertion et intégration ?
La discrimination à l’emploi et au logement est un mal qui ronge la cohésion sociale en Belgique, vous avez raison de le souligner. Il faut évidemment redoubler d’efforts pour combattre ce phénomène et le Parti Socialiste en fait une priorité de son programme politique.
5. Quid du partenariat entre la Belgique et le Maroc et du rôle des belges d’origine rifaine ?
La Belgique et le Maroc ont des liens étroits à tous les niveaux. Il y a bien sûr la présence d’une grande population d’origine marocaine en Belgique et il y a aussi la Francophonie. Il est capital que le Maroc et la Belgique renforcent leur partenariat à tous les niveaux, au plan culturel mais aussi au plan économique. Soyons visionnaires : l’avenir de l’Europe, de la Belgique en particulier, ne pourra pas se faire sans un renforcement des liens avec les pays du pourtour méditerranéen, avec le Maroc en particulier. Une chose est cependant importante et de ce point de vue « le belgian spirit » est un atout : ce partenariat doit se faire sur pied d’égalité. Dans ce cadre, il est clair que les belges d’origine rifaine ont un rôle capital à jouer. Le Rif, c’est le balcon du Maroc sur la Méditerranée !
6. Quel est votre regard sur la situation des droits de l’homme au Maroc?
J’observe que des militants très engagés au Maroc dans ce domaine, et j’en ai rencontré, considèrent que s’il y a encore beaucoup à faire – mais c’est vrai dans d’autres pays, en Europe notamment – il y a aussi des évolutions qu’il faut acter. D’un autre côté, il y a encore des choses à améliorer. Il appartient bien sûr aux marocaines et aux marocains de porter cette question et de faire évoluer les choses de manière optimale. J’ai beaucoup de respect pour celles et ceux qui s’engagent dans cette voie, dont on sait à quel point elle est difficile et semée d’embûches.
7. Que pensez-vous du printemps des peuples et des indignés ?
La démocratie est quelque chose de dynamique. Il y a bien sûr les institutions (les élections, le Parlement, …) mais il y a aussi la société civile. Et il faut se réjouir de voir une société civile réactive. Le contraire traduirait un manque de vitalité de la démocratie ou des processus démocratiques. Je déplore cependant la récupération, parfois, de ces mouvements citoyens par des groupuscules dont l’objectif est d’installer la violence…les exemples sont hélas nombreux.
8. L’intégrisme religieux fait que de nombreux jeunes issus de l’immigration marocaine partent pour le Jihad en Syrie, quelles mesures pourraient être prises afin d’enrayer ce problème ?
Le Gouvernement belge s’est attelé au problème et a développé une approche combinant prévention et mesures de police. Tous les services de l’Etat sont mobilisés pour endiguer le phénomène et gérer (si l’on peut dire) le retour de ces jeunes, le plus souvent manipulés. Je pense pour ma part qu’il faut agir en amont et bien voir que certains groupuscules ont une activité nocive et délétère tant pour les jeunes que pour la société belge en général. Nous avons besoin de toutes et de tous pour lutter contre ce phénomène, d’abord par l’éducation et l’information. Certains profitent du désarroi d’une partie de notre jeunesse et de leur manque de connaissance en matière religieuse, pour les convaincre d’aller mourir à des milliers de kilomètres de leurs foyers. C’est révoltant. Ce sont des vies gâchées et des familles plongées dans le désespoir. Vous l’aurez compris, je suis très en colère dans ce domaine. Selon moi, les organisateurs de ces filières doivent répondre de leurs actes devant la Justice.
Zakia Khattabi est députée bruxelloise et députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, Sénatrice de communauté. Militante féministe et consultante diversité, passionnée pour les questions de gouvernance et plus précisément sur l’évaluation des politiques publiques.
Zakia Khattabi est 1er sur les listes du parti Ecologique pour l’élection fédérale du 25 mai 2014.
1.Madame El Khattabi, en tant que parlementaire au parlement fédéral et membre influent du Parti ECOLO, vous savez ce que représente la communauté belge d’origine rifaine, pourriez-vous nous entretenir du programme de votre parti pour faire face aux contraintes, difficultés et aspirations des belges d’origine rifaine, aux fins d’une meilleure intégration ?
De nombreux citoyens issus de l’immigration – en ce compris les Rifains – subissent plus que les autres le chômage, la précarité et les discriminations de tous genres. En tant que tête de liste Ecolo aux élections fédérales, je porte le projet écologiste pour une société où chacun peut trouver sa place. Les leviers politiques pour permettre à chacun de trouver sa place dans nos sociétés et faciliter ensuite la rencontre avec l’autre sont nombreux : l’émancipation par l’éducation et l’école, l’accès à un emploi décent, l’accès au logement, le partage et l’accès à la culture, etc.
Ils sont la base de tout travail de lutte contre le rejet de l’autre et le repli sur soi. Tous ces aspects doivent donc être prioritaires lorsqu’il s’agit de démontrer que chacun peut trouver sa place dans notre société. Travailler pour une société ouverte, inclusive, qui s’enrichit des complémentarités, cela passe aussi par un accès à l’égalité des droits pour chaque femme et homme vivant dans notre société. Le respect de l’égalité de chacun, des libertés fondamentales et de la non-discrimination sont les prérequis de toute communauté qui veut organiser le vivre ensemble de manière positive. Les différentes formes de racisme doivent donc être combattues.
Les lignes de force du projet d’Ecolo pour une société interculturelle sont les suivantes :
– Favoriser la diversité culturelle
– Lutter contre les discriminations et agir pour l’intégration
– Renforcer la lutte contre toutes les formes de racisme
– Organiser l’exercice du droit de porter un signe religieux ou philosophique et l’égalité de traitement entre les cultes et mouvements philosophiques.
2. Quelle place pensez-vous accorder à l’identité, à la culture, à la langue et à la religion d’origine de cette communauté ? L’intégration signifie-t-elle pour vous l’abandon de l’identité d’origine ou inversement une meilleure place à l’identité et à la culture d’origine dans la vie et dans la réalité belge ?
L’histoire de ma famille, des centaines de milliers de femmes et d’hommes d’origine marocaine la partagent à Bruxelles. Ces femmes et ces hommes dont on célèbre les 50 ans de présence en Belgique, ont participé à la construction de Bruxelles et ont contribué à en faire une grande capitale multiculturelle. Cette histoire commune célébrée cette année, faite de rêves et de sacrifices, d’efforts, de réussites et d’échecs, a façonné plusieurs générations de Bruxellois. Certains pensent que l’immigration et la diversité culturelle sont un danger pour notre société. Certains se plaisent pour des raisons électoralistes à monter les Bruxellois les uns contre les autres. Moi, je pense que l’immigration et la diversité culturelle est une grande opportunité pour Bruxelles. Je pense que la diversité des cultures, des langues, des origines, des appartenances est une fantastique chance pour Bruxelles. Le projet que je défends privilégie l’inclusion et vise à permettre à chacun de choisir sa vie comme il ou elle l’entend. L’intégration signifie avant tout la fin des exclusions. Dans mon travail de députée je me suis battue pour que les enfants issus des milieux populaires puissent avoir accès à l’université. Je me suis battue pour que les femmes qui ont fait le choix de porter un foulard puissent avoir accès à l’enseignement supérieur francophone parce que je crois que le savoir est le premier droit, la première liberté, la première dignité ! Le projet que je défends vise à lutter plus fortement contre les discriminations, à valoriser les cultures et soutenir les associations communautaires citoyennes et à favoriser les espaces d’échanges pour faire reculer les peurs et les replis.
3. S’agissant, tout particulièrement, de la religion, vers quel Islam la Belgique serait-elle inscrite, celui de l’Islam marocain, de l’islam oriental ou d’un Islam proprement local tolérant et ouvert issu de l’immigration musulmane belge? Un Islam Belge ?
Nous voulons que nos concitoyens de confession musulmane puissent organiser leur culte de manière autonome sans aucune ingérence ni de l’Etat ni des ambassades étrangères. Nous voulons leur donner les moyens d’organiser un véritable « islam DE Belgique » en phase avec leurs besoins et leurs réalités quotidiennes et non « un islam EN Belgique », piloté à distance. Je veux que les différents cultes reconnus dans notre pays puissent bénéficier d’un financement plus équitable, c’est-à-dire au prorata de leurs réalités démographiques. La situation actuelle est de ce point de vue particulièrement injuste ! Il faut y remédier.
4. Le taux de la discrimination à l’embauche, à l’enseignement et au logement est toujours très élevé au sein de la communauté d’origine marocaine, ne pensez-vous pas qu’il faudrait une discrimination positive de cette communauté de façon à lui assurer une meilleure insertion et intégration ?
Accéder à un emploi ou un logement quand on porte un nom à consonance étrangère, entrer et réussir à l’université quand on est issu d’un milieu modeste, toucher un salaire équivalent à celui de ses collègues masculins quand on est une femme, quelle attente plus légitime ? Ce sont pour beaucoup de Bruxellois des attentes déçues. L’égalité des chances n’est pas suffisamment une réalité, malheureusement Bruxelles est plus que jamais la capitale des discriminations. Le projet que je défends inscrit la lutte contre les discriminations au premier rang des priorités ! Je veux développer un outil de mesure de la discrimination liée à l’origine et non à la nationalité pour mieux la connaître et donc mieux la combattre. Je veux rendre plus efficace le traitement et le suivi des plaintes pour rompre avec le sentiment d’impunité en matière de traitements discriminatoires. A Bruxelles, un magistrat doit être exclusivement chargé du traitement des plaintes de discriminations. Il faut concevoir et mettre en œuvre un plan de lutte contre l’islamophobie en partenariat avec les acteurs associatifs de la problématique. En matière de discrimination l’Etat doit montrer l’exemple ! A ce titre, je veux que l’égalité citoyenne pour nos ressortissants à l’étranger soit un fait. L’égal accès à la jouissance des droits – y compris celle à une assistance consulaire – et des libertés doit être une réalité pour tous les citoyens indépendamment de leur origine, de leur religion ou de leur conviction philosophique. Ce sont autant de combats que j’ai mené ces dernières années, et que je souhaite continuer à mener dans les années à venir !
5. Quid du partenariat entre la Belgique et le Maroc et du rôle des belges d’origine rifaine ?
Les Marocains et les Belges d’origine marocaine sont nombreux en Belgique. Pour nombre d’entre eux, ils gardent un attachement affectif fort avec leur pays d’origine. Cette situation donne une résonnance particulière aux relations entre la Belgique et le Maroc. Je veux que ce partenariat à l’instar des autres soit fondés sur l’amitié et sur ce que toute véritable amitié implique : la sincérité. Je veux à ce titre que la double-nationalité constitue un pont et non une prison. Aujourd’hui, plusieurs de nos concitoyens belges voient leurs droits fondamentaux bafoués pour des raisons politiques ou parce que ce sont des femmes. Le cas d’Ali Aarass, indépendamment du fond de l’affaire, est particulièrement emblématique. Des générations entières nées et socialisées en Belgique et qui ne gardent plus qu’un lien affectif, mais ô combien précieux, avec le Maroc se voient refusé l’effectivité de leur droit en tant que citoyen belge. Un partenariat fondé sur l’amitié et la considération mutuelle exige, selon moi, de dire que cette situation est inacceptable.
6. Quel est votre regard sur la situation des droits de l’homme au Maroc ?
A bien des égards, la situation des droits de l’homme au Maroc m’interpelle évidemment. La problématique des droits culturels dans un pays si fortement marquées par la diversité des langues et des traditions attire particulièrement mon attention. Toutes proportions gardées, en tant que sénatrice membre de la commission justice, j’ai pu me rendre compte que la situation des droits de l’homme dans notre pays posait égalent question quand il s’agit, par exemple, des prisonniers et des réfugiés politiques. Il est important de ne pas perdre ces réalités de vue lorsqu’on s’exprime sur la situation des droits de l’homme dans un pays étranger aussi proche soit-il.
7. Que pensez-vous du printemps des peuples et des indignés ?
Le printemps arabe est l’un des faits géopolitiques les plus marquants de ce début de XXIe siècle. Quand on aborde cette question, il faut garder à l’esprit que l’on parle d’une histoire en cours. Aujourd’hui, le formidable élan des peuples arabes a abouti à des situations très différentes : de la plus encourageante en Tunisie (où j’ai eu la chance d’effectuer une mission en mai 2012) à la plus tragique en Syrie. Malheureusement, force est de constater que l’appel des jeunesses arabes à plus de liberté, de justice et de dignité est loin d’avoir été entendue.
8. L’intégrisme religieux fait que de nombreux jeunes issus de l’immigration marocaine partent pour le Jihad en Syrie, quelles mesures pourraient être prises afin d’enrayer ce problème ?
La problématique des Belges partis combattre en Syrie est inquiétantes à bien des égards. C’est un drame humain pour de nombreuses familles qui ont vu leurs enfants partir combattre en Syrie et pour certains d’entre eux y perdre la vie. Je refuse que cette problématique soit utilisée pour stigmatiser une communauté ou la jeunesse de nos quartiers populaires. Nous devons répondre aux enjeux sécuritaires (notamment en agissant à l’encontre des filières de recrutement) que ces départs posent mais nous devons surtout, aujourd’hui, permettre aux associations et aux pouvoirs communaux de faire de la prévention au plus près du terrain, d’accompagner les familles et de réinsérer les jeunes qui reviennent du champs de bataille. Nous avons la responsabilité d’offrir à nos jeunes ce qu’ils semblent chercher, et croient qu’ils vont trouver en partant.
* Dossier réalisé par Mohamed El Hamouti