Après l’indépendance du Maroc en 1956, le gouvernement a offert à la population pauvre du Rif la possibilité d’aller travailler en Europe en pleine construction après la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui avait besoin de bras solides pour reconstruire son économie. [i] Les femmes, véritables gardiennes de la culture orale amazighe et des bibliothèques ambulantes, sont restées sur place. Malheureusement, comme peu de jeunes Amazighs de la région allaient à l’école, la recherche en langue traditionnelle et du savoir coutumier était d’une importance secondaire pour eux, car seule une poignée d’entre eux avaient atteint l’enseignement supérieur. Peu à peu, ces dépositaires « vivants » du savoir traditionnel ont commencé à mourir de vieillesse et, avec eux, est disparu, pour toujours, un patrimoine oral aussi important autant pour le Rif, en particulier, que pour le Maroc, en général.
Les institutions nationales de recherche et les organisations internationales telles que l’UNESCO sont donc appelées à sauver immédiatement ce savoir humain immatériel en fournissant des fonds pour mettre en place des programmes de recherche afin d’encourager les chercheurs en sciences sociales à entreprendre des recherches sur le terrain pour enregistrer audio/vidéo ce savoir et sauvegarder cet important héritage pour l’humanité.
Le présent travail est le résultat de plus de quarante ans de recherche sur le terrain dans la région du Rif. Il a été réalisé avec des informateurs féminins par le biais d’entretiens sur le terrain menés sur de longues périodes de temps afin de vérifier et de revérifier les informations utiles reçues. Ces discussions, menées en dialecte local tamazight dans la région du clan Iharrassen de Gzennaya, dans les environs des village d’Ajdir, d’Ain Hamra et de Boured, ont porté sur des sujets tels que : l’histoire orale, la technologie locale, la médecine traditionnelle, les connaissances anthropologiques et la littérature orale. [ii]
Le résultat direct de cet humble travail est que le savoir traditionnel amazigh est illimité, instructif, sophistiqué et extrêmement utile, ce qui a été fidèlement reflété dans les ouvrages d’anthropologues américains renommés du siècle dernier, à savoir Carleton S. Coon dans Tribes of the Rif (Harvard African Studies, 1931) [iii] et David Hart dans The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif : An Ethnography and History (University of Arizona Press, 1976). [iv]
La culture du peuple amazigh au Maroc, avec toutes ses influences méditerranéennes, arabes, africaines, orientales, européennes et internationales, est particulièrement caractérisée dans le Royaume par :
– un lien indéfectible avec la terre ;
– Un lien fort avec le sacré ; [v]
– Une grande convivialité et une hospitalité chaleureuse ; et
– Un sens aigu de la communauté…
La culture amazighe et la reconnaissance officielle
Les Amazighs, considérés comme les descendants et les ancêtres de la plupart des tribus nomades et sédentaires du Maroc, ont une histoire qui fait la fierté du Royaume, caractérisée catégoriquement par la promotion des arts phonétiques, la richesse idéologique et culturelle de leur communauté, l’amour inconditionnel de la terre et de ses récoltes, et la maîtrise des outils de transmission et de préservation du patrimoine traditionnel, matériel et immatériel, qui perdure et survit depuis des milliers d’années, probablement 8000 ans. [vi]
La transcendance de la civilisation amazighe au Maroc est également démontrée par la pratique linguistique quotidienne de cette langue maternelle par de nombreux Marocains aujourd’hui, reflétant leur attachement idéologique et culturel à la civilisation amazighe millénaire. Du point de vue des citoyens et des usagers, elle reste un attribut primordial de leur valeur identitaire centrale.
C’est pourtant l’engagement du Royaume depuis le discours royal d’Ajdir du 17 octobre 2001, par lequel l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) a été créé via le dahir n°1-01-299 [vii] pour promouvoir la démocratisation de l’amazighité et la promotion de sa culture dans toutes ses expressions aux niveaux national, régional et local. Cette tendance se traduit par la remise à plat des différentes facettes du développement humain du citoyen, qui n’est nullement censé ignorer l’émancipation culturelle et linguistique, laquelle ne peut se réaliser sans la mise en place d’un arsenal social, juridique et idéologique efficace, répondant nécessairement aux obstacles culturels auxquels font face, avec résilience, les Marocains d’aujourd’hui.
Avec l’avènement du nouveau millénaire, la langue amazighe est devenue un élément du patrimoine culturel national, car elle concerne tous les Marocains. Le processus d’intégration de l’amazigh dans le patrimoine marocain nécessite un ensemble d’actions concertées pour intégrer progressivement et pleinement la langue dans le courant linguistique marocain.
Cependant, concernant l’objectif de citoyenneté et d’authenticité pour lequel se battent les Amazighs du Maroc, Marguerite Rollinde écrit : [viii]
‘’L’objectif essentiel est la promotion de la langue et de la culture amazighes dans l’espace social marocain, mais il s’agit, à travers cela, de transformer le statut des Berbères dans l’espace étatique, notamment dans l’administration et l’enseignement et de casser le discours arabe qui minorise la berbérité. A travers le discours sur le pluralisme et la démocratie apparaît une demande de « citoyenneté » nouvelle qui ne met plus de côté les masses au profit de l’élite. C’est aussi une recherche d’identité qui met en avant l’africanité du Maghreb, plutôt que son arabité. Derrière le droit à la reconnaissance du peuple amazighe se cache le droit à. la démocratie, impossible tant que toute une partie de la société marocaine reste privée de ses droits. La lutte pour la cause amazighe fait alors partie de la lutte pour les droits de l’Homme.’’
Ce cadre général a été renforcé par le référendum du 1er juillet 2011 approuvant la constitution de la même année, qui stipule dans son 5e article que l’amazigh, [ix] après l’arabe, est une langue officielle de l’État et le patrimoine commun de tous les Marocains. Cette position confirme la volonté du Royaume d’ancrer la prééminence de la culture amazighe pour les générations futures.
Pour accélérer le processus d’institutionnalisation de l’amazigh, deux lois organiques ont été promulguées. La première est la loi 26-16, visant à définir le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazigh, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique, rendue publique le 12 septembre 2019 (BO n°7000 du 01 juillet 2021). [x] Le second concerne la création du Conseil National des Langues et de la Culture Marocaine via la loi 04-16. [xi] Il est dédié à la protection et au développement des langues arabe et amazighe et des différentes expressions culturelles et linguistiques marocaines, à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale, à l’enseignement et à la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde.
L’entrée en vigueur de ces deux lois organiques est primordiale, car elle institutionnalise le bagage culturel et ancestral du peuple amazigh, en incitant tous les acteurs de la scène sociale, éducative et politique à accélérer la mise en œuvre de ces lois, consacrant ainsi une véritable institutionnalisation de la culture et de la civilisation amazighes.
Sur la question de la citoyenneté démocratique et des langues, Ahmed Bououd argumente : [xii]
‘’Les citoyens , pour bénéficier de leurs droits, de leurs libertés fondamentales et d’une égalité juridique et politique doivent être protégés de toute discrimination linguistique, afin de jouir de la liberté d’expression et de la liberté du choix de la langue ; ce qui leur permettra d’avoir le droit de s’exprimer, de transmettre leurs informations et d’écrire dans la langue de leur choix ; toute personne arrêtée ou détenue doit nécessairement être informée « dans une langue qu’elle comprend » ; aussi ,pour pouvoir participer à des associations, des mouvements culturels et des partis politiques et aux débats politiques en matière d’enseignement et d’apprentissage des langues dans leur pays plurilingue.’’
La trinité culturelle amazighe
Quelle que soit la manière dont on explique, ou croit, que les Amazighs d’Afrique du Nord sont arrivés dans la région, une chose est sûre : leur présence au Maroc est très ancienne et a eu une influence considérable sur le mode de vie et le sentiment d’identité et d’appartenance des Marocains contemporains (Tamaghrabit), [xiii] sans parler de toutes les croyances païennes ou monothéistes à travers les âges.
Il existe spécifiquement et exclusivement trois thèmes principaux dans la culture amazighe qui sont définis comme une trinité importante et primordiale dans son système de valeurs et qui sont facilement identifiables dans la culture marocaine et nord-africaine d’aujourd’hui. Ces thèmes ont transcendé la culture amazighe et ont été largement acceptés comme concepts de base de l’identité marocaine.
La trinité amazighe s’articule autour des notions suivantes : [xiv]
– L’importance de la langue en tant que véhicule de la culture et principal marqueur de l’identité (tamazight/awal) tant sur le plan de la communication que sur celui de la perpétuation de l’histoire et de la culture ;
– L’omniprésence du système fort et indivisible de la parenté et de l’appartenance à la famille élargie (tamount/ddam) qui s’exprime par la solidarité (twiza) et la coexistence (Ramân), ainsi que ;
– le lien étroit avec la terre et l’identification à ses bienfaits, ainsi que la croyance en son caractère sacré (tammourt/tamazirt/akkal), qui est également fort chez d’autres peuples du pourtour méditerranéen.
Dans le Rif, la trinité amazighe a toujours été un bouclier contre l’arabisation, l’européanisation et la mondialisation et elle a préservé non seulement la production matérielle, mais surtout la littérature orale et le mode de vie rifain. Dans les années 1950 et 1960, des milliers d’hommes jeunes et valides ont traversé l’eau, zwân amân, vers l’Europe pour aider à la reconstruction économique avec les fonds américains (Plan Marshall) après la Seconde Guerre mondiale, les femmes sont restées sur place pour perpétuer la culture amazighe sacrée, avec beaucoup de fierté, comme l’indique ce poème du clan Iharassen de la tribu Gzennaya rapporté par l’experte de l’histoire orale Nounja n-Abdesram [xv]: [xvi]
Argazen zwân amân a yemma / Les hommes ont traversé l’eau O mère
Thimgharin qimend dherrif zeffa / Les femmes sont restées en arrière
Nathnin khedmen sambra dhmenna / Ils travaillent dur sans attendre de glorification
Nshin ntegg rcezz swawar dher macna / Nous, les femmes, nous faisons la gloire avec des mots et un sens profond (culture)
Ces trois piliers (trois T culturels) de la culture amazighe originelle, et par extension de la culture marocaine d’aujourd’hui dans son ensemble, constituent indéniablement le socle de la notion très forte de tamaghrabit (appartenance à un Maroc multiculturel, diversifié et tolérant) qui lie les Marocains entre eux. En effet, si les Marocains d’aujourd’hui ne sont pas déchirés par des conflits ethniques, religieux, linguistiques et culturels, comme c’est le cas au Moyen-Orient depuis l’avènement du printemps révolutionnaire, c’est parce que l’on retrouve dans leur ADN les traces de cette trinité qui amplifie leur appartenance multiple et indivisible : [xvii]
– Appartenance amazighe ; [xviii]
– appartenance arabo-musulmane ;
– appartenance hébraïque ;
– appartenance méditerranéenne ; et
– appartenance africaine.
Ceci a été fortement reflété dans le texte de la constitution de 2011, qui se lit comme suit : [xix]
‘’État musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen.’’
Aujourd’hui, le dialecte arabe (dârija) parlé par les Marocains est très différent de celui du Machrek, compte tenu de la forte influence de Tamazight sur ses aspects phonétiques, phonologiques, syntaxiques et sémantiques. [xx] En un mot, lorsque les Amazighs sont entrés en contact avec l’Arabe, ils l’ont amazighisé de fond en comble, [xxi] et c’est pourquoi les Arabes du Moyen-Orient sont incapables de comprendre la dârija, alors que les Marocains comprennent leur idiome et le parlent avec aisance.
Les Marocains, eux aussi, grâce à l’influence de Tamazight, dont le registre phonétique est riche en sons divers, parviennent à apprendre et à parler les langues internationales avec un bon accent et une grande facilité. [xxii]
La tradition littéraire amazighe dans le Rif
Les femmes rifaines, en particulier celles qui sont pré-alphabétisées, [xxiii] préservent Tamazight en tant que langue vivante, en insufflant une certaine oralité aux formes artistiques traditionnelles afin de transmettre les traditions linguistiques de génération en génération. En musique et en poésie, les femmes amazighes du Rif utilisent leurs vers pour tenir la communauté informée des mouvements des membres individuels, pour raconter et enregistrer pour l’histoire orale les événements importants de la communauté, pour faire respecter les codes moraux et sociaux, et pour rappeler aux membres de l’ensemble de la communauté les liens qui les unissent. [xxiv]
Cependant, pour Terri Brint Joseph, [xxv] l’utilisation de la poésie par les femmes de la région du Rif est une stratégie de pouvoir, par laquelle elles montrent à la société dans son ensemble qu’elles possèdent le savoir culturel et qu’elles l’utilisent adroitement pour informer la communauté et orienter les jeunes sur le bon chemin.
En effet, Terri Brint Joseph, nous apprend par l’entremise de sa recherche sur les femmes dans le Rif entreprise durant les années 1965-66, que bien que les études anthropologiques sur le Moyen-Orient reconnaissent généralement le faible statut des femmes islamiques, la « mosaïque » complexe d’organisations sociales nationales, ethniques et tribales rend difficile toute déclaration précise et significative sur la région dans son ensemble. Même lorsqu’ils se concentrent sur un seul pays, les récits anthropologiques aboutissent à des conclusions contradictoires sur le rôle des femmes. [xxvi]
Les ethnographes du Maroc comme Westermarck, Coon, Hart et Gellner se sont concentrés sur l’exercice du pouvoir public formel et ont ainsi souligné l’hégémonie des hommes sur les femmes. Cette notion de domination masculine monolithique et d’asservissement féminin a été quelque peu modifiée par des études récentes de la capacité des femmes à influencer les décisions masculines, une théorie du « pouvoir derrière le trône ». Certains anthropologues ont également soutenu que les femmes exercent un certain pouvoir direct grâce à des systèmes féminins de réseaux et d’alliances. [xxvii]
Les femmes rifaines et le pouvoir de la poésie
Les femmes rifaines, dans la société traditionnelles et coutumières ont toujours eu le pouvoir le ‘’pouvoir du mot’’ jahdh n-awâr. Un pouvoir certes discret, mais très pertinent craint par les hommes. Durant les festivités des clans de Gzennaya, les hommes se mettent avec diligence à écouter les chants de Ralla Bouya pour s’informer sur les différents clans et tribus.
Au fait, c’est quoi Ralla Bouya ? D’après la poétesse Dhamimount n-Siher d’Iharrassen, c’est une grande poétesse de la tribu de Temsaman qui était non seulement très belle mais aussi très éloquente et avait une belle voix. Les gens venaient de tout le Rif pour l’écouter chanter. Elle a vécu entre 1807 et 1837. Elle morte jeune lors d’un conflit tribal entre Gzennaya et Temsaman. Depuis, tous les izrâns du Rif portent son nom en hommage à sa poésie et son chant mielleux. [xxviii]
Toujours d’après Dhamimount n-Siher, l’âme et l’ardeur de cette grande poétesse a habité depuis le cœur de tout aspirant chanteur et poète dans le Rif à tel point qu’on a appelé tout chant rifain Ralla Bouya et toute festivité qui ne débute pas par ce chant n’a pas de valeur artistique et culturelle. En effet beaucoup d’izrân dans Gzennaya et tout le Rif célèbre la grande dame Ralla Bouya :
Ralla Bouya, Ralla yemma inou icazzen /Dame Bouya, ma chère dame estimée
Dhjidhaneghd izrân dh rcazz inafdhen/ Tu nous a légué des couplets pleins de vie
Awar inem igga am dhammand n-raghna/Tes paroles et tes chansons sont mielleuses
Yawadh snnaj gha dhqichet oujnna/ Elles sont montées en flèche au sommet du monde
Ntrah gha dhimourani gi ibacdhen/Nous voyageons dans les contrées les plus éloignées
Awarinem a ralla inou yawwedh ghasen/et nous avons trouvé que tes paroles leur sont arrivées
Toutefois, Terri Brint Joseph, un ethnologue américain, qui a travaillé sur le sujet de : ‘’La poésie comme stratégie de pouvoir : le cas des femmes berbères rifaines / Poetry as a Strategy of Power: The Case of Riffian Berber Women’’ [xxix] durant la période 1965-1966 écrit :
‘’Extrêmement brève, la chanson berbère est constituée d’un seul couplet. Chacune des deux lignes compte environ douze syllabes, bien que certaines n’en contiennent que neuf et d’autres jusqu’à quinze. Chaque chanson est introduite par un chœur traditionnel qui peut être répété aussi souvent que les chanteurs souhaitent :
Ayah-rala boyah-ayah rala boya
Ayah-rala boyah-ayah rala boya
Ayah-ra (la) boyah etc.
La plupart des Rifains interrogés dans le cadre de cette étude considèrent ce chœur comme une série de sons sans signification. On dit qu’on l’utilise parce que « c’est la coutume ». Plusieurs informateurs ont cependant rapporté que le ‘’a’’ initial est un vocatif comme le « oh » anglais ; on disait que yah-rala était une forme de madame ou lady, dans ce cas, la mère de la mariée ; et boyah une forme de baba, père. Un récit anthropologique a traduit le refrain par « Oh regarde, oh regarde la mariée. »’’
Production poétique contemporaine
Un bon signe aujourd’hui est que la production poétique emprunte des voies et des approches modernes, comme l’a déclaré Mohamed Daoudi : [xxx]
‘’L’un des thèmes récurrents de la poésie contestataire rifaine, comme on peut le constater dans ces poèmes, est le thème de la patrie et de la terre. Ce thème est également reflété de manière symptomatique dans les trois nouvelles incluses dans les textes rifains, bien que chacune d’entre elles ait un point de vue différent. ‘’Aliens in their Own Land » d’Ayned, l’histoire d’un jeune homme au chômage (très probablement un diplômé universitaire) qui vit à la campagne et visite la ville comme passe-temps, reflète la façon dont le chômage et l’absence d’opportunités exacerbent les tensions sociales au sein d’une famille patriarcale. Le sentiment qu’il ne se passe jamais rien au village et le désir de voir le monde extérieur anticipent la recherche d’alternatives. Dans une atmosphère de difficultés économiques et de répression politique, l’une de ces alternatives pourrait être le voyage périlleux vers l’Europe à travers la Méditerranée, sujet de la nouvelle d’El-Oualid Mimoun « La Mouette » (« Rɣawiyyeth »). Dans « Le béton qui a défiguré le hameau » (« Tsima iccin udem i dcar »), Saïd Belgharbi déplore la transformation progressive du paysage des villages rifains et l’urbanisation chaotique qui scelle le destin du système agricole relativement autonome d’autrefois, une idée qui est également sous-entendue dans la nouvelle d’Ayned à travers la charrue en bois cassée et l’incapacité ou le refus du protagoniste de suivre les traces de son père et de travailler dans les champs. Ironiquement, le béton dans la nouvelle de Belgharbi, une référence aux maisons nouvellement construites, est l’un des impacts directs de la nouvelle richesse des familles dont les membres ont émigré en Europe (Lazzar 1987 ; 2013).’’
Ces voies modernes empruntées par les Rifains lettrés sont un ajout bienvenu à la production littéraire dans la région, mais malheureusement, cela ne préserve en rien la tradition orale ancestrale dans le Rif, en général, et Gzennaya, en particulier. En fait, les Rifains vivant en Europe doivent accorder une grande attention à la préservation de la littérature orale par le biais d’un travail de collecte sur le terrain, de l’étude du matériel et de sa publication par la création d’un fond pour la recherche sur les savoirs traditionnels.
Production culturelle : Les femmes dans les arts matériels
Les femmes amazighes jouent également un rôle dans la production culturelle de leurs sociétés, mais elles sont aussi des acteurs clés dans la préservation de la culture et de la vie traditionnelles amazighes, même aujourd’hui. Leur travail dans les arts matériels est si riche et prolifique que Cynthia Becker, spécialiste des arts africains et de la culture amazighe, affirme sans équivoque que « les femmes berbères sont des artistes« . [xxxi] Leurs œuvres reflètent non seulement les thèmes de l’identité amazighe, mais aussi ceux de la féminité et de la maternité, qui rappellent le statut élevé des femmes dans cette société.
Selon Fadhma n-Azrou Aqchâ, [xxxii] artisane locale, les femmes amazighes du clan Iharrassen tissent souvent des tapis pendant leur grossesse, en utilisant des figures et des motifs qui symbolisent la vie, la fertilité et l’enfant dans le ventre de sa mère. Ces tapis servent ainsi de calendrier pour tenir compte de la durée de la grossesse. Une fois terminés et sortis du métier à tisser, ils ne sont pas géométriquement parfaits : larges en haut pour symboliser la création de la vie dans l’utérus par la copulation et étroits en bas pour exprimer la naissance de l’enfant. La maîtrise artistique des femmes d’Iharrassen va même plus loin en créant 9 motifs dans le tapis pour exprimer les 9 mois de la grossesse. Ces tapis ne sont donc pas seulement une production artistique, mais aussi un langage artistique maîtrisé par ces femmes amazighes pré-alphabétisées et un calendrier pictural. [xxxiii]
Becker a même observé la personnification des textiles amazighs sur le métier à tisser pour symboliser le rôle essentiel des femmes dans la transmission de la vie et la préservation de l’identité amazighe : [xxxiv]
« Dans certaines régions du Maroc, les tisserands chevauchent physiquement les fils de chaîne et les ensouples du métier à tisser avant de les soulever, symbolisant ainsi la naissance du textile. Les femmes ont le pouvoir de vie sur un textile, et lorsque la tisserande l’achève, elle le coupe sur le métier, et l’on dit que le textile meurt. Cette personnification du textile souligne les pouvoirs de reproduction et de création des femmes et, en assimilant le textile au passage de l’homme dans le cycle de la vie, renforce le rôle des femmes dans la propagation de l’identité amazighe ».
Les femmes amazighes, véritables gardiennes de la tradition orale
L’oralité des femmes pré-alphabétisées d’Iharrassen est un facteur majeur de la survie de Tamazight, car elles utilisent la langue pour la communication domestique, l’éducation des enfants et la répétition des histoires populaires, des poèmes, des proverbes, des chansons et des récits familiaux et culturels. Comme la langue maternelle, le Tamazight et les langues amazighes apparentées, n’est pas la langue d’enseignement dans l’éducation formelle, c’est aux femmes amazighes qu’il incombe de transmettre la connaissance de la langue maternelle aux générations suivantes. En tant que premières responsables des enfants, les femmes sont le premier lien de ces derniers avec Tamazight, ce qui confère à la langue son statut de langue maternelle et consolide sa longévité en dépit de son manque de représentation dans la sphère publique. [xxxv]
Une autre raison pour laquelle les femmes d’Iharrassen peuvent être considérées comme des acteurs clés dans la préservation de Tamazight réside dans leur rôle de gardiennes de la culture. En plus de s’occuper de leur foyer et d’élever leurs enfants, les femmes jouent un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine artistique et culturel amazigh grâce à leur travail dans des domaines tels que le textile, la musique, la poésie et la danse. [xxxvi]
Là encore, les femmes pré-alphabétisées sont particulièrement importantes, car elles imprègnent ces arts de traditions orales transmises de génération en génération de leur savoir-faire traditionnel. Par exemple, les femmes donnent des noms en Tamazight aux motifs de leurs textiles et les transmettent à leurs filles. [xxxvii] Les noms varient en fonction de la ressemblance que la tisseuse imagine entre le motif et les objets environnants ou le monde naturel, de sorte qu’un même motif peut porter une multitude de noms descriptifs en Tamazight pour différents artistes et familles. [xxxviii] Le chant et la danse sont des traditions bien ancrées.
Le chant et la danse ont des traditions orales similaires dans le clan Iharrassen : les mouvements spécifiques ont également des noms amazighs descriptifs en fonction des actions qu’ils invoquent, et les paroles des chansons ne sont jamais écrites mais plutôt transmises oralement sur plusieurs générations. [xxxix]
Les recherches de Katherine Hoffman sur la participation des femmes amazighes aux chants et à la musique illustrent le fait que le maintien de leurs traditions culturelles sert un objectif plus important que la préservation de la langue. En fait, elles sont le ciment même de la société à une époque où de nombreuses familles amazighes sont séparées géographiquement. Hoffman utilise l’exemple des femmes Ida-ou-Zeddout pour expliquer cet argument. [xl]
Les femmes rifaines d’Iharrassen utilisent des couplets rimés connus sous le nom d’izrân. Ces paroles ne sont pas simplement destinées à divertir, mais à informer sur les migrations et les voyages des membres de la famille, ainsi que sur les événements sociaux à venir, tels que les mariages ou les festivals. Ainsi, même lorsqu’elles les chantent, les femmes amazighes servent à lier les membres disparates de leur communauté, en maintenant un sentiment d’unité malgré les difficultés liées à la séparation géographique (surtout l’immigration en Europe). L’importance particulière des couplets pour les communautés locales est illustrée par le fait que ce genre n’a jamais été commercialisé pour une consommation plus large, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres dans les festivals de musique.
La deuxième fonction des izrân est de raconter et d’enregistrer pour l’histoire orale les événements qui rassemblent la communauté. [xli] Tout comme ces vers sont souvent chantés pour annoncer l’arrivée des mariés lors des mariages locaux. Les izrân sont entendus chaque jour de ces célébrations qui durent plusieurs jours, et servent à recueillir dans la mémoire collective de la communauté les marques importantes de ces événements festifs.
Le troisième impact important des izrân sur la force des communautés amazighes est son rôle dans la création de liens de confraternité et le comblement des fossés entre les différents groupes tribaux, et donc dans la médiation des conflits potentiels. Là encore, cette fonction, comme les autres, illustre l’utilisation particulière des traditions orales et linguistiques des femmes dans le maintien de l’unité des communautés amazighes dans la région du Rif. Les rassemblements publics, tels que les mariages, peuvent prendre d’immenses proportions dans la culture amazighe ; les invités aux mariages, par exemple, peuvent être plusieurs centaines venues de différents clans ou même différentes tribus.
Ces événements sont l’occasion pour les différents groupes familiaux et tribaux de se réunir, les invités devant parcourir de longues distances pour y assister. Les conflits passés ou présents et les divergences d’opinion sont donc susceptibles de donner lieu à des discordes lors de ces grands rassemblements. L’un des rôles des izrân est de créer des liens entre les gens en articulant des normes morales et sociales collectives, étouffant ainsi le conflit dans l’œuf avant même qu’il ne commence en rappelant aux gens leurs points communs et en créant un sens de l’unité de la communauté tamount (un des aspects de la trinité amazighe mentionnée ci-dessus) et de la famille.
En général, la responsabilité de faire respecter les codes moraux dans les communautés rifaines d’Iharrassen incombe aux femmes mariées les plus âgées. Elles encouragent l’unité en cas de conflit en jouant le rôle de médiatrices entre les différentes factions. Leurs chants servent à peu près le même objectif, avec des paroles qui parlent de la sécurité (ramân) mutuellement bénéfique que l’on trouve lorsque les villages et les groupes sociaux travaillent et vivent ensemble dans la paix.
Oh, mon doux lait, fille de grande beauté
Souviens-toi de l’honneur, du respect et de la tradition
Fais de la ceinture de la pureté et de la sainteté ton idéal
Et mets-la autour de ta taille d’abeille pour toujours
Souris et sois gentille avec tous ceux qui t’entourent
Mais garde-toi pour toi, toujours propre
Demain, les habitants du village parleront de toi en bien
Et père, mère, frères et sœurs se réjouiront
Une autre raison pour laquelle les femmes des Iharrassen peuvent être considérées comme des acteurs clés dans la préservation de Tamazight réside dans leur rôle de gardiennes de la culture. [xlii] En plus de s’occuper de leur foyer et d’élever leurs enfants, les femmes jouent un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine artistique et culturel amazigh grâce à leur travail dans des domaines tels que le textile, la musique, la poésie et la danse. [xliii] Là encore, les femmes analphabètes sont les principales gardiennes de la culture de Tamazight. [xliv]
Là encore, les femmes pré-alphabétisées rifaines d’Iharrassen sont particulièrement importantes, car elles imprègnent ces arts de traditions orales transmises de génération en génération. Par exemple, les femmes donnent des noms en tamazight aux motifs de leurs textiles et les transmettent à leurs filles. [xlv] Les noms varient en fonction de la ressemblance que la tisseuse imagine entre le motif et les objets environnants ou le monde naturel, de sorte qu’un même motif peut porter une multitude de noms descriptifs en tamazight pour différents artistes et familles. [xlvi]
La poésie de résistance dans le Rif
La guerre du Rif
En 1860, le Maroc fut vaincu par l’Espagne à Tétouan. C’était le début de la dégringolade de l’empire marocain. [xlvii] L’Espagne coloniale avait en vue l’occupation du Rif pour redorer son blason impérial sachant qu’elle était déjà présente dans les présidios de Ceuta et Melilla depuis des siècles (1640).
Pour s’accaparer du Rif elle lança en 1880 une campagne de déstabilisation par l’introduction d’armes à feu à partir de Melilla. Elle encouragea les tribus rifaines à s’armer et ainsi commença une période d’instabilité appelée rifublik ou ripublik (1898-1921) [xlviii] qui voulait dire ère d’insurgence et de désordre social. [xlix] Une période qui s’est caractérisée par une anarchie alimentée par la prolifération des armes à feu vendues par des agents européens et surtout espagnols directement à la population locale pour préparer le terrain au colonialisme européen qui allait débuter en 1912 avec le partage du Maroc entre la France et l’Espagne et sa colonisation. [l]
Le Rif a toujours été une zone indépendante et autonome malgré une partie occupée. Dans cette région, ils ont résisté à plusieurs reprises et farouchement à divers occupants, tels que le Portugal, et l’Espagne. Au fil du temps, plusieurs États souverains furent fondés par les Rifains, comme l’État de Nekkour (710–1019) ⵜⴰⴳⵍⴷⵉⵜ ⵏ ⵏⴽⴽⵓⵔ. [li]
Lorsque l’Espagne tenta d’occuper le Rif au début du siècle dernier, elle se heurta à une farouche résistance de la part des Rifains. Les Espagnols avaient un certain nombre de défaites à encaisser, aboutissant à la défaite finale à la bataille d’Anoual, qui joua donc un rôle important dans la création de la République du Rif en 1921. [lii]
Le 18 septembre 1921, sous la direction de Mohammed Abdelkrim al-Khattabi (1882-1963), [liii] l’État du Rif est proclamé. Un État avec son propre gouvernement, son parlement, son hymne, sa monnaie, son armée, etc. [liv]
Les puissances coloniales européennes voyaient dans ce jeune État une menace car la proclamation d’un État indépendant par les Rifains pouvait être considérée comme un exemple par les autres peuples occupés et comme une source d’inspiration.
C’est pour cette raison que l’Espagne, l’Allemagne et la France ont formé une coalition internationale. L’Allemagne a fourni des gaz toxiques et la France, avec l’Espagne, a envoyé environ un demi-million de soldats dans le Rif. [lv]
Durant cette guerre qui dura de 1921 à 1927, cette coalition n’hésita pas à utiliser des gaz toxiques contre des civils non armés. Le président du Rif, Mohammed AbdelKrim al-Khattabi, s’est adressé à la communauté internationale, mais celle-ci n’a pas réagi. [lvi]
C’est pourquoi il fut contraint de se rendre à la France en 1926, qui le bannit ensuite à la Réunion, une île de l’océan Indien. Le Rif tombait en grande partie sous la domination espagnole et en partie sous la domination française. [lvii]
Cette épopée glorieuse est célébrée par la poésie, la conteuse Fettouch n-ibâqayen née en 1899 et décédée en 1980 se rappelle que durant la guerre du Rif alors que les hommes se battaient sur le front les femmes composaient des chants pour les encourager à défendre leur pays contre les occupants iroumiyen (chrétiens venus d’Europe). [lviii] Ces chants étaient des izrân de résistance :
Yamaynou icazzen nggya rbaroudha agou spanyou/Ma chère mère, on a fait la guerre aux Espagnols
Yawthaneghd sbôqi gi isammem aman nwanou/Ils nous a bombardé avec des armes chimiques qui ont empoisonnées nos puits
Aroumi aspanyou izwad aman ikhis adhyawi dhmoth/Les chrétiens espagnols ont traversé les eaux (la Méditerranée) pour spolier nos terres
Isachmedh dhaddath ywwi aghroum ndinoth/Ils ont brûlé nos maisons et volé notre pain de four
Afransis akidhes fous g fous ichathed zi snej/Avec à leur côté les Français qui nous bombardaient d’en haut
Nchin njahadh s dhakhmasechth dhou ghnej/Nous on combattait avec le fusil et les chants de résistance
Iroumiyen snayen ikad ghansen moulay mohand/Les deux pays chrétiens ont dû faire face à la résistance farouche de Moulay Mohand (Ben Abdelkrim al-Khattabi)
S rbaroudh nirifiyen kamren zi taf ndmoth usind/Les Rifains sont venus de partout résister aux envahisseurs
Ces chants remarquables de résistance ont les doit pas aux hommes mais aux femmes poétesses qui les ont composés durant la guerre du Rif contre les envahisseurs européens pour encourager leurs hommes au front et qui nous ont été transmis par d’autres femmes conteuses comme exemples de l’histoire orale du peuple du Rif. [lix]
Malheureusement ces femmes, au fil du temps, disparaissent de maladie ou de vieillesse et avec elles disparait la riche histoire orale et le savoir coutumier des Gzennaya, en particulier, et des Imazighen, en général, sans que les autorités ne se rendent compte que le patrimoine culturel et l’héritage civilisationnel du pays est perdu pour toujours.
Les Imazighen à travers le temps ont commis leur savoir coutumier à la mémoire collective de l’homme et cette mémoire n’est aucunement transférable, à travers le temps, de façon infaillible. [lx]
Il va sans le dire que l’histoire orale du peuple amazigh, aussi grandiose qu’elle soit, est condamné par le temps. [lxi] Toutefois, pour Etienne François, l’histoire orale est très féconde, a plus d’un titre : [lxii]
‘’L’histoire orale serait d’abord novatrice par ses objets, puisqu’elle porte en particulier son attention sur les « dominés », les silencieux et les exclus de l’histoire (femmes, prolétaires, marginaux etc.), sur l’histoire du quotidien et de la vie privée (dans une optique se situant aux antipodes de la tradition française de l’histoire de la vie quotidienne), sur l’histoire locale et enracinée ; elle serait ensuite novatrice par ses approches, donnant la préférence à une « histoire vue d’en bas », (« Geschichte von unten », « Geschichte von innen ») attentive aux manières de voir et de sentir, et redonnant face aux structures « objectives » et aux déterminations collectives la priorité aux visions subjectives et aux parcours individuels, dans une perspective résolument « micro-historique ».’’
Les poèmes de résistance
Rqsiyath est une forme poétique très ancienne, souvent de très longs poèmes au rythme et à la rime réguliers, que les Berbères ont emprunté aux Arabes. La qasîdah arabe remonte à la période préislamique. [lxiii] Les Berbères ont emprunté cette forme poétique aux Arabes mais ils ont réussi d’une manière ou d’une autre à lui donner une nouvelle forme, une forme après tout qui convient à la poésie berbère et à l’esprit des Berbères.
La durée de rqsiyath peut varier selon le ou les thèmes qu’elle traite. [lxiv] En fait, elle doit souvent traiter d’un thème particulier et contrairement aux couplets rimés izrân qui prennent des libertés tant dans le contenu que dans l’expression, rqsiyath est une poésie très sérieuse qui exalte des qualités telles que : le courage, la liberté, la solidarité, la générosité, etc. et aborde en profondeur les problèmes philosophiques auxquels sont confrontés les êtres humains étant donné que la plupart des rqsiyath sont composées par des érudits religieux plutôt que par des poètes populaires.
Ces longs poèmes tentent souvent d’avoir une sorte de saveur mystique rappelant le bon vieux temps où le mysticisme atteignait son apogée. Dans ces poèmes, le langage est très formel dans le sens où les mots sont choisis avec beaucoup de soin, les métaphores sont très abondantes et les images sont très complexes et magnifiquement construites selon les croyances religieuses et la mythologie locale. Le rythme du poème est lui-même très expressif et hautement suggestif.
Dans rqsiyath n-umanghi (le poème de guerre) le poète inconnu fait l’éloge d’Iharassen, pour le courage dont ils ont fait preuve sur le champ de bataille en combattant les envahisseurs français et espagnols sous la bannière de Ben Abdelkrim al-Khattabi pendant la guerre du Rif 1921-26. Selon la conteuse Fadhma imnadhen, [lxv] le long poème en question est l’œuvre de la poétesse Fettouch Dhachemratch originaire d’Imrabdhen n-Iharassen, elle est née en 185O et décédée en 1937, tué par les occupants français pour son militantisme contre l’occupation française. [lxvi]
Mchehar dhramhayn, mchehar dhracdhab
Ighzā iharassen dhini qiwqac arhāb
Nous avons souffert d’ennuis, nous avons souffert de troubles
C’est dans la rivière d’Iharassen qu’a eu lieu la guerre
Ici la poétesse semble défier quelqu’un, peut-être un clan rival, qui doute de ses prétentions et à mon avis c’est pourquoi elle a recadré tout le poème à partir de ce couplet, après avoir défendu avec véhémence sa communauté et déclaré clairement son identité clanique.
Elle entre dans le vif du sujet :
Qa nash awar-inu s-rmizan dracbā
Qa Ben cAbdekrin wa yacqib gha dhffā
Ikafah kh dhmoth-inas amjjirath am nhā
Nach qagh manaya chkek fham ou fkkâ
Souviens-toi que tout ce que je dis est significatif et sage
Je dis que Ben Abdelkrim n’a jamais fait de retraite
Il s’est battu pour son pays jour et nuit
Moi, je dis cela mais toi réfléchis et analyse
Elle, la poétesse, bien sûr, affirme qu’elle ne dit jamais de bêtises, elle est la voix de la sagesse. Ici, indirectement, elle se compare au héros national Ben Abdekrim, l’homme qui a vaincu les armées de deux pays coloniaux puissants : la France et l’Espagne, ce qui laisse également penser qu’elle aussi vaincra ses adversaires du clan, mais verbalement.
Elle poursuit en décrivant les Rifains comme des guerriers intrépides qui ont écrasé les espagnols et les ont jetés à la mer, mais, par contre, elle estime que les Français étaient plus difficiles à vaincre car ils attaquaient par derrière quand personne ne les attend. C’est un manque flagrant de courage car elle admet qu’il faut toujours faire face à son ennemi et qu’un Rifain n’attaquerait jamais son ennemi par derrière.
La poétesse atteint un stade où elle relève elle-même le défi avec dignité et fierté et, tout comme dans les temps anciens, ses vers, en plus d’être des vers, deviennent un fusil et ses mots des balles pour se battre farouchement et mourir en martyr. Mais on peut mourir et être glorifié comme martyr non seulement en combattant l’ennemi mais aussi en se sacrifiant pour l’être cher. En effet, on meurt, souligne indirectement la poétesse, pour deux êtres chers : dhamôth (son pays) et racmâ (son amour).
Qanech tmattigh kha-Rif dh chchek aracmā
Ksi lklata ayuma dh kkadh kh rafjâ
ksi aqatas ayuma wari gha wadhrā
mara dhakhsadh ataqdhidh kh bnadhm aghddâ
Je meurs pour le Rif et toi mon adoré
Réveille-toi mon frère à l’aube et prends ton arme
Prends aussi les munitions mon frère et monte à la montagne
Combattre et écraser l’ennemi
La poétesse continue avec son poème épique passant de la louange à la lamentation et de la lamentation à la nostalgie. Elle est très nostalgique, elle se souvient avec tristesse du bon vieux temps, de son village et des siens. Les hommes de sa famille sont tous au front, combattant l’ennemi fusil à la main tandis qu’elle elle combat avec la plume et les mots pour défendre ses principes et ceux des siens. Il s’agit d’un combat sur deux fronts et la poétesse accepte le défi avec plaisir et joie et son courage est certainement à la hauteur de sa popularité dans le sens où ses compétences en poésie sont égales à ses compétences en guerre sur le front de l’information.
Mais son anxiété et sa nostalgie se dissipent soudain et la joie retrouve son cœur ; l’ennemi français est vaincu et l’indépendance est obtenue grâce aux gens de son pays et la poétesse berbère fidèle à la tradition termine son qsiyath sur une note d’éloge et invite les prochaines générations à manifester leur indépendance et à vivre libres ou à mourir libres. La poétesse est très modeste, contrairement à la plupart des poètes arabes, le mérite revient à sa tribu et non à elle-même.
Imchoumen n-irifiyen Kharqan dhi rawcâ
Hta cha n-rgans wa rasen izemmâ
Les Rifains ont été élevés durement
Aucune nation ne peut les vaincre
Et ses éloges envers les membres de sa tribu sont sans aucun doute spéciaux, voire uniques :
Chek inid s-uqamum nech s-zamâ
Rqsiyath n-umanghi ntath cadh dhmghâ
Dis tes louanges en mots, je dis les miennes en musique
Le poème de la guerre est encore très long
Les derniers versets de ce poème sont un conseil au goût moraliste et sont destinés aux générations à venir.
Ttarix qa dhwa wǝn ixisǝn athyighâ
Nachin qa nigya maymi kh nzmmâ
Ima chek ayuma ima ruxa dbbā
bnatǝm ahori uri-nǝs adhinwâ
C’est de l’histoire à qui veut la lire
Rappelez-vous que nous avons fait ce que nous pouvions
C’est à toi mon frère de faire ce que tu veux
Mais souviens-toi que celui qui vit libre vit heureux
Awaren n-rmacna : proverbes
L’organisation structurelle du proverbe
Il est vrai que les proverbes sont parmi les formes les plus complexes et les plus compliquées de la tradition populaire. Dans la littérature rifaine d’Iharrassen, ils sont appelés awaren n-rmacna ; les mots de sens ou les mots pleins de sens, mais la question est de savoir si ces proverbes ont un sens pour tout le monde.
Bien sûr que oui ; le locuteur non natif, tout comme le locuteur natif dans de nombreux cas, les trouvent significatifs pour deux raisons principales :
- Le proverbe tel qu’il est et la culture qu’il représente sont deux choses qui vont ensemble, un corps indivisible qui ne peut en aucun cas être analysé séparément ; et le proverbe lui-même est une structure énigmatique, si énigmatique que même une bonne connaissance de la langue dans laquelle il est composé s’avère inefficace ; et
- Le proverbe est un genre qui transgresse les règles phonologiques, syntaxiques et sémantiques de la langue et, bien entendu, cette transgression malheureuse conduit à la création de nouvelles structures grammaticales qui brouillent complètement le champ de signification des proverbes parfois.
D’après Mina n-imnadhen, [lxvii] conteuse, il semble que la tendance dans l’élaboration des proverbes soit à l’économie de mots. Les proverbes sont censés transmettre un message de sagesse et, en fait, la sagesse encourage l’économie de mots. Dans la société rifaine, le sage est celui qui parle le moins, mais lorsqu’il le fait, il ne dit que des choses sensées. Il y a des chances que ses paroles deviennent à l’avenir des proverbes bien établis.
La littérature rifaine est d’ailleurs riche en adages populaires qui font l’éloge de l’économie de mots et de ceux qui disent le sens avec le moins de mots possibles.
Les proverbes en question
Voyons un peu ces proverbes/adages populaires et leurs portées culturelles. D’après la conteuse Mina, les Rifains sont connus au Maroc pour leur courage et témérité à tel point qu’ils sont surnommés chlouh al-cazz : Les Imazighen de la dignité. Ce courage se reflète sur le langage dans les proverbes adages ;
Dhichthi sou char wala dhawra
Il faut se battre avec des mottes de terre que de battre en retraite
Certains proverbes, tout comme les devinettes, utilisent soit des mots onomatopéiques, soit des éléments lexicaux qui ont complètement disparu du lexique berbère, mais il est parfois très difficile, lors de l’analyse de certains proverbes, de faire la part des choses. En effet, le proverbe suivant pose toutefois cette difficulté :
Mara ysikhth twuh, mara jikhth twuh
Ma chas gha ggakh awihwuh
Si je le soulève, c’est un problème (twuh), Si je le laisse, c’est un problème (twuh)
Que puis-je faire face à ce dilemme (awihwuh) ?
Cette linguistique pose de nombreux problèmes dans la mesure où les opinions divergent quant à l’analyse du sens des mots soulignés. Certains insistent sur le fait que ces mots sont sortis de l’usage depuis longtemps et que personne n’en connaît leur vrai sens. Bien sûr la question est de savoir pourquoi utiliser un proverbe que personne ne comprend ; quel est l’intérêt de répéter quelque chose qui n’a pas de sens. Un proverbe n’est-il pas censé nous enseigner une leçon de morale, comment peut-il remplir sa mission dans ce cas ? La réponse est que dans toutes les langues les poètes et les créateurs de sens on la liberté de création pour la sauvegarde du rythme et de la rime.
L’autre hypothèse, aussi logique que la première en question donné ci-dessus, ne sont pas dépourvus de sens ; ce sont des mots onomatopéiques et, dans ce cas, ils signifient ce que le bruit qu’ils représentent a un sens. Ainsi, selon cette hypothèse, ce proverbe signifie ce qui suit :
‘’La personne à laquelle le proverbe fait référence est un tel fardeau que le soulever me demande beaucoup de force et beaucoup de bonne volonté. Dans ce cas, il s’agit du bruit que l’on fait lorsqu’on accomplit une tâche qui demande de l’énergie musculaire. Mais d’un autre côté, je ne peux pas le laisser faire le clown et c’est aussi difficile que de le soutenir.’’
Dhuri ! dhuri
Ce proverbe en grande utilisation chez les Rifains s’avère, toutefois, difficile à traduire, voire impossible, car il s’agit d’une sorte de réduplication qui n’a pas d’équivalent en Français. En principe la traduction littérale veut dire : ‘’elle est montée ! elle est montée !’’. Lorsqu’un Rifain dit turi ou turyayi, il veut dire que quelque chose l’énerve et que cela fait monter inexorablement sa tension.
Dans le Rif central, cette expression est attribuée à la tribu des Aith Waryaghal. En effet, pendant la période de la Rifublik ou Ripublik (1898-1921), lorsque les tribus du Rif étaient divisées par des guerres de sang internes, tout le Rif était un blâd sîba, c’est-à-dire que le gouvernement chérifien et le sultan lui-même n’avaient aucun pouvoir sur cette partie du Maroc. Et bien que le gouvernement central n’ait épargné aucun effort pour prendre le contrôle de cette région, il a toujours été confronté à une résistance féroce de la part des tribus et ses troupes ont toujours été écrasées par les forces combinées des tribus rifaines qui formaient des liffs (alliances militaires) pour se défendre. [lxviii]
La plupart des habitants du Rif étaient armés pour se défendre de toute attaque externe comme internes. Un Rifain des Aith Waryaghal qui attendait devant sa maison pour repousser toute attaque de ses ennemis a vu quelqu’un manger ses figues. Il le regarda avec colère et dégoût et dit :
Dhuri ! Dhuri !
Ach nghagh wakha dhmammi
Je suis énervé et ma tension a monté au maximum
Je te tuerai même si tu es mon vrai fils
Il prit son fusil et se dirigea vers le figuier mais, à sa grande déception, le voleur qui se régalait de ses figues n’était autre que son propre fils et il lui tira dessus et pleura sa mort par la suite. Ainsi, ce fameux dicton est devenu un proverbe et les gens continuent à l’utiliser même de nos jours pour monter leur énervement et détermination à agir quelles que soient les circonstances.
Les contes
La narration est universelle et aussi ancienne que l’humanité. Avant l’écriture, il y avait la narration. Cela se produit dans toutes les cultures et à tous les âges. Il existe (et a existé) pour divertir, informer et promulguer les traditions et les valeurs culturelles.
La narration orale dhajît consiste à raconter une histoire à travers la voix et les gestes (s wawar dhi fassen). La tradition orale peut prendre de nombreuses formes, notamment des poèmes épiques, des chants, des comptines, des chansons, etc. Toutes ces histoires ne sont pas historiquement exactes ni même vraies. La vérité est moins importante que la cohésion culturelle. La narration peut englober des mythes, des légendes, des fables, des religions, des prières, des proverbes et des instructions.
Comme tous les Imazighen de Tamazgha, les Gzennaya ont une tradition de narration orale qui remonte à plusieurs générations. Leurs récits étaient destinés à préserver l’histoire de la tribu et à éduquer les jeunes. De plus, la tradition orale comprend l’histoire ainsi que des leçons de vie ou des enseignements moraux. [lxix]
Concernant l’utilisation de l’ostension dans la narration orale, Michelle Scalise Sugiyama écrit dans Frontiers in Psychology : [lxx]
‘’Pour enseigner, un individu doit signaler une intention pédagogique : le comportement de l’individu doit être marqué comme un acte pédagogique afin que le(s) destinataire(s) y prêtent attention. Cela peut être accompli par des moyens visuels, auditifs et/ou gestuels (Csibra et Gergely, 2006, 2009). Ces trois modes sont utilisés dans la narration orale, mais ont échappé à l’attention des chercheurs impliqués dans le débat sur la pédagogie naturelle. Cela peut être dû à l’insularité disciplinaire entre les spécialistes des sciences sociales basés sur la biologie et les ethnolinguistes, aggravée par leur lexique différent : ce que les psychologues cognitifs appellent communication ostensive est appelé les caractéristiques paralinguistiques de la communication des ethnolinguistes.’’
Chez les Gzennaya, après le dîner, la famille se réunit autour d’un feu central pour écouter le conteur. Souvent le conteur est une grand-mère (yemma hanou) ou une femme âgée (dhamghath dhamqrand). Comme dans d’autres cultures, le rôle du conteur est de divertir et d’éduquer.
La narration orale est une tradition séculaire dans laquelle un conteur raconte une histoire à quelqu’un d’autre. Cela fait partie d’une histoire traditionnelle et d’un type de narration. Lorsqu’une histoire est racontée oralement, elle peut être modifiée pour l’adapter aux besoins du public ou du lieu. Les auditeurs ont le sentiment de faire partie du processus créatif et c’est attrayant et admirable.
Plusieurs caractéristiques uniques différencient la narration orale dhajit des autres formes de communication. Certains d’entre eux incluent :
- Les narrations orales peuvent être réelles ou imaginaires.
- L’artiste et le public ont un contact face à face. Cela peut aider à avoir un impact plus important et à en être affecté. Le niveau de connexion qu’ils ont pu atteindre est inégalé par d’autres formes de communication.
- Rythme et répétition : L’un des aspects les plus importants de la narration orale est le rythme et la répétition. L’utilisation du rythme et de la répétition sont des techniques de narration courantes pour créer une impression de fluidité, ce qui est important à la fois pour le conteur et pour ceux qui écoutent.
- Intimité : le public peut participer à un récit oral en posant des questions, en faisant des commentaires ou en chahutant. Lorsqu’ils participent, les individus apprennent comment les autres perçoivent différentes situations, ce qui peut potentiellement stimuler leur savoir culturel.
- Engageant : lorsque quelqu’un raconte une histoire en utilisant uniquement sa voix, cela est engageant à la fois pour la personne qui raconte l’histoire et pour les personnes qui l’écoutent. La personne qui raconte l’histoire peut utiliser son visage, son corps et sa voix pour rendre l’histoire plus intéressante.
La tradition de la narration orale chez Iharrassen consiste à transmettre des connaissances, des coutumes culturelles et des histoires de génération en génération par la seule parole. Dans de nombreuses cultures, c’est le principal moyen de transmettre des informations sur l’histoire, la religion et les valeurs. [lxxi]
Devinettes – Dhihija dhimazyanin :
Pour Rahma Dhamzyand, conteuse du clan des Ibaqâyen, [lxxii] les devinettes sont certainement l’un des genres littéraires les plus populaires et les plus divertissants de la culture populaire, car elles sont omniprésentes dans l’écrasante majorité des littératures orales. Le berbère rifain, comme la plupart des autres littératures, a son propre lot de devinettes. [lxxiii]
Pour E.B., D. Azdoud and M. Peyron, la devinette berbère est un genre littéraire sérieux : [lxxiv]
‘’Loin d’être un simple passe-temps, la devinette berbère est considérée comme un genre littéraire à part entière. C’est une forme de poésie où la rime, le rythme, la musicalité et le caractère énigmatique aboutissent dans une sorte d’osmose à un discours littéraire spécifique. Il se différencie des autres genres par la structure qui le caractérise, par les conditions dans lesquelles il naît et s’épanouit et par la fonction qu’il occupe dans la littérature et que les usagers lui ont assignée. Par ces aspects généraux, la devinette berbère s’apparente à la devinette tel qu’elle est pratiquée dans beaucoup d’autres sociétés à travers le monde.
Dans le monde berbère, la devinette repose sur une charpente qui est partout et toujours la même et qui est constituée d’une question-réponse. La question, qui dans les faits n’en est pas une, est considérée dans tous les cas comme un coffre dont le contenu n’est accessible que si on possède la clé – tasarutt. Le rôle de la clé est d’élucider la problématique posée dans le corps même de la devinette.
En dehors de la question-réponse, deux types d’énoncés bordent la devinette de part et d’autre. Un énoncé introductif, toujours le même, permet de prendre la parole et de mettre l’auditoire en situation d’éveil et un énoncé qui clôt la devinette et qui est émis par le protagoniste qui a la parole lorsque personne dans l’assistance n’a pu solutionner l’énigme.’’
Dans le Rif, les devinettes sont communément appelées dhihija, mais cette appellation est quelque peu trompeuse d’un point de vue sémantique, car elle désigne deux genres littéraires différents :
(1) Dhihija : des histoires, des contes, des fables ou des légendes historiques ; et
(2) Dhihija dhimazyanin : des devinettes.
Pour éviter les problèmes linguistiques qui pourraient résulter de cette confusion, on distingue les histoires dhihija des devinettes dhihija en ajoutant l’adjectif dhimzyanin au second genre. Ainsi, en berbère rifain chez les Iharrassen, pour être plus précis, on dira inid dhajit dhamzyand (pluriel : dhihija dhimazyanin) pour dire donnez-nous une devinette et inid ijan ndhajit, racontez-nous une histoire, un conte ou une fable.
Tout comme les dialectes, les devinettes respectent les frontières linguistiques des tribus dans le Rif. Par exemple, puisque le Rif est divisé en plusieurs tribus, toutes les tribus peuvent avoir la même devinette, mais dite de manières différentes.
Les énigmes étant des énigmes, elles contiennent dans une certaine mesure beaucoup d’informations linguistiques utiles et pertinentes dans la mesure où l’on peut dire que telle personne est de telle tribu grâce à la façon dont dhajit sonne et aussi grâce à la façon dont elle est syntaxiquement placée. Mais comme un tel genre littéraire est le produit d’un milieu donné, on rencontre souvent des énigmes qui sont propres à une tribu ou à un clan donné ou même, dans certaines circonstances, à un sous-clan donné.
Dans la société rifaine, comme dans beaucoup d’autres sociétés berbères, la devinette est un genre tellement organisé qu’il obéit généralement à certaines règles qui le rendent très sérieux la plupart du temps. Dans certaines régions du Rif, les gens n’osent jamais raconter des dhihija au cours de la journée, il faut attendre l’heure après dîner, de peur d’être surpris par l’ogresse dhamza, une vieille femme laide et effrayante qui se nourrit de la chair humaine et qui peuple l’imagination et les contes populaires de tous les Berbères, ou bien de peur de perdre ses cheveux et de devenir une tête de gale. [lxxv]
Ainsi, chez les Iharrassen de Gzennaya, bien que la plupart des gens ne croient plus à l’existence de dhamza, ils refusent toujours, par fidélité et respect des traditions ancestrales, de raconter des histoires ou de dire des devinettes pendant la journée. En outre, ils enseignent toujours à leurs enfants de ne pas dire dhihija avant le coucher du soleil et, s’ils transgressent cette règle, le père ou le grand frère se cache derrière la porte et commence à taper sur le sol et à produire des sons effrayants, censés effrayer l’enfant et lui donner ainsi une leçon qu’il n’oubliera jamais. Et c’est ainsi que la tradition est préservée, car même lorsque l’enfant est devenu adulte et que, par insouciance, il se moque de la règle, il n’a pas le droit de dire dhihija durant la journée, par respect à la tradition et à la culture orale amazighe.
D’après Rahma, pour s’amuser, les enfants commencent souvent leurs séances de devinettes par la formule suivante:
Hajit u majit
sakhsu kha dhyazit
Manach adchegh dhadhmath
Chek atchadh dhqouzit
Mara dhnach cha nacrit
Qa ntath iginan chit
Hajit ou majit (formule d’introduction de la session de devinettes)
Il y a un poulet sur le couscous
Je mangerai l’aile
Tu mangeras l’anus
Si le poulet rouspète insulte-le
C’est lui qui demandé à être mangé
Cette formule magique met l’ambiance nécessaire pour la session de devinettes qui peut durer des heures. [lxxvi]
Conclusion : Pourquoi préserver la tradition orale rifaine ?
De nombreuses langues indigènes du monde sont en danger, et le taux d’extinction est estimé à une toutes les deux semaines. Donc, en d’autres termes deux cultures humaines disparaissent toutes les deux semaines. Ce qui me pousse à poser la question légitime que fait l’UNESCO, la mémoire de l’humanité, pour palier à cet accident du temps ? [lxxvii]
« Entre 1950 et 2010, 230 langues se sont éteintes, selon l’Atlas des langues en péril de l’UNESCO. Aujourd’hui, un tiers des langues du monde comptent moins de 1 000 locuteurs. Toutes les deux semaines, une langue meurt avec son dernier locuteur, et l’on prévoit que 50 à 90 % d’entre elles disparaîtront d’ici le siècle prochain ».
[Entre 1950 et 2010, 230 langues se sont éteintes, selon l’Atlas des langues en danger dans le monde de l’UNESCO. Aujourd’hui, un tiers des langues du monde ont moins de 1 000 locuteurs. Toutes les deux semaines, une langue meurt avec son dernier locuteur, 50 à 90 % d’entre elles devraient disparaître d’ici le siècle prochain. « ] »
La langue est le fondement d’une culture. Pour les sociétés orales indigènes, les mots contiennent des connaissances accumulées au fil des millénaires. Une langue contient également des histoires, des chansons, des danses, des protocoles, des histoires de famille et des liens.
Lorsqu’une langue disparaît, le lien avec son passé culturel et historique disparaît également. Sans ce lien crucial avec leur histoire linguistique et culturelle, les gens perdent leur sentiment d’identité et d’appartenance.
Les peuples autochtones observent et parlent de leur environnement depuis des temps immémoriaux. Toutes ces connaissances, conservées dans la langue, constituent une source inestimable d’informations sur l’histoire du milieu naturel, du climat, des plantes et des animaux. Il s’agit d’un ensemble de connaissances irrécupérables. La science, la médecine, les gouvernements et les planificateurs de ressources s’appuient tous en partie sur les connaissances traditionnelles autochtones et sont tous affectés par la disparition de ce réservoir irremplaçable de connaissances traditionnelles sur l’environnement. Chaque langue qui disparaît équivaut à la perte d’un trésor culturel humain.
Les efforts de préservation et de revitalisation des langues indigènes sont une course contre la montre, car les locuteurs qui les parlent couramment s’éteignent. Toutefois, des actions et des développements sont en cours pour préserver et revitaliser certaines langues indigènes. [lxxviii]
La tradition orale rifaine des Iharrassen et ailleurs est aujourd’hui en danger d’extinction, les détenteurs pré-lettrés de ce savoir sont en train de mourir de vieillesse et avec eux disparaîtront des milliers de « bibliothèques orales » contenant la tradition orale de la poésie, des chants, des fables, des devinettes, des histoires, etc.
Que peut-on faire pour sauver cette richesse culturelle en danger ?
– L’IRCAM devrait charger des chercheurs dans toutes les régions amazighes de collecter l’histoire orale, de l’analyser et de la publier dans les langues du monde pour la rendre accessible à tous. Cela nécessitera des fonds pour former des personnes et acheter du matériel, mais aussi la volonté de suivre ce travail et de l’évaluer en permanence ;
– Le gouvernement marocain devrait demander à l’UNESCO d’envisager des travaux dans ce domaine ;
– Les associations amazighes locales devraient collecter la tradition orale et la mettre à la disposition des chercheurs ; et
– Les universités marocaines devraient lancer des programmes de maîtrise et de doctorat sur la préservation de la tradition orale amazighe, former des étudiants et les envoyer collecter la tradition orale amazighe afin de la préserver pour l’éternité pour toute l’humanité.
Notes de fin de texte :
[i] Hart, David M. ‘’ Le Rif et les Rifains: Problèmes De Définition’’, Le Monde Amazigh, no. 1, 1 juin 2001. https://amadalamazigh.press.ma/fr/le-rif-et-les-rifains-problemes-de-definition/ [ii] Lafkioui, Mena B.’’ Reconstructing Orality on Amazigh Websites’’, in Mena Lafkioui; Daniela Merolla. Oralité et nouvelles dimensions de l’oralité. Intersections théoriques et comparaisons des matériaux dans les études africaines. Paris : INALCO, Publications Langues’O, 2008, pp.111-125. https://hal.science/hal-01111419/document [iii] Coon, S. Carelton. The Tribes of the Rif. Cambridge, Mass.: Peabody Museum of Harvard University, 1931. [iv] Hart, Montgomery D. The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History. (Viking Fund publications in anthropology # 55); Tucson: Publié pour la Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research. Tucson: University of Arizona Press, 1976. [v] Doutté, Edmond. Magie et religion dans l’Afrique du Nord. Alger : édition Adolphe Jourdan, 1909. [vi] Rollinde, Marguerite. ‘’Le mouvement amazighe au Maroc : défense d’une identité culturelle, revendication du droit des minorités ou alternative politique ?’’, Insaniyat, 8, 1999. http://journals.openedition.org/insaniyat/8325 [vii] Dahir n° 1-01-299. Dahir portant création de l’Institut Royal de la culture amazighe (IRCAM). https://fr.wikisource.org/wiki/Dahir_n%C2%B0_1-01-299 [viii] Rollinde, Marguerite. ‘’Le mouvement amazighe au Maroc : défense d’une identité culturelle, revendication du droit des minorités ou alternative politique ?’’, op. cit. [ix] Royaume du Maroc. La Constitiution. Edition 2011. Article 5. http://www.sgg.gov.ma/Portals/0/constitution/constitution_2011_Fr.pdf‘’Article 5.
L’arabe demeure la langue officielle de l’État.
L’Etat œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation.
De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception.
Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.
L’Etat œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions culturelles et des parlers pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines.
Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement.’’
[x] BULLETIN OFFICIEL. Nº 7000 – 20 kaada 1442 (1er-7-2021). Dahir n° 1-19-121 du 12 moharrem 1441 (12 septembre 2019). http://www.sgg.gov.ma/Portals/0/BO/2021/BO_7000_Fr.pdf?ver=2021-07-16-140932-390 [xi] Dahir n° 1-20-34 du 5 chaabane 1441 (30 mars 2020) portant promulgation de la loi organique n° 04-16 portant création du conseil national des langues et de la culture marocaine. http://bdj.mmsp.gov.ma/Fr/Document/10417–loi-organique-n-04-16-promulgu%C3%A9-par-le-dahir-n-.aspx?KeyPath=594/596/595/10417 [xii] Bououd, Ahmed. ‘’ L’officialisation de la langue amazighe et les droits linguistiques au Maroc‘’. Conférence pour L’Association des Jeunes Démocrates Indépendants -AJDI-, 05 Mars 2012, Casablanca, Maroc. https://bououd.e-monsite.com/medias/files/amazighe-droits-linguistiques-1.pdf [xiii] Mahjar-Barducci, Anna. ‘’Tamaghrabit : le soft power marocain’’, Afric.com, 17 juin 2023. https://www.afrik.com/tamaghrabit-soft-power-marocain [xiv] Chtatou, M. ‘’Amazigh Cultural Trinity”, Article 19. ma, 09 septembre 2018. https://article19.ma/en/index.php/2018/09/09/amazigh-cultural-trinity/ [xv] Nounja n-Abdesram est une experte de l’histoire orale de Dhddath n-Bâhoun du clan Iherrassen ; Elle est née en 1904 et es décédée en 1995. [xvi] Ceci est une partie d’un long poème recueilli en août 1979 dans le village Ajdir de Gzennaya et raconté par Dhamimount n-Siher, une poétesse âgée alors de 79 ans. Elle est décédée en 1999 de vieillesse. C’était une femme d’une connaissance et d’une intelligence incroyables. Elle n’est jamais allée à l’école mais elle a mémorisé des centaines de vers, des énigmes et des fables et a connu des centaines d’événements historiques par pure mémoire. Une vraie bibliothèque ambulante du savoir coutumier. [xvii] Chtatou, M. 2009. ‘’La diversité culturelle et linguistique au Maroc : pour un multiculturalisme dynamique’’, Asinag 2, 2009, pp. 149-161.http://www.ircam.ma/doc/revueasing/mohamed_chtatou_asinag2fr.pdf
[xviii] Chtatou, M. ‘’La notion d’appartenance au groupe chez les Rifains’’, Awal 15, MSH, Paris, 2001. [xix] Royaume du Maroc. La Constitiution. Edition 2011. Préambule. http://www.sgg.gov.ma/Portals/0/constitution/constitution_2011_Fr.pdf [xx] Lahrouchi, M. ‘’The Amazigh influence on Moroccan Arabic: Phonological and morphological borrowing’’, The International Journal of Arabic Linguistics (IJAL) Vol 4, Issue 1 (special), 2018, pp. 39-58. https://shs.hal.science/halshs-01798660v2/document [xxi] Chtatou, M. ‘’The Influence of the Berber Language on Arabic’’, International Journal of the Sociology of Language, 123, 1997, pp. 101–118. [xxii] Ibid. [xxiii] J’utilise le mot pré-alphabétisé au lieu du mot analphabète utilisé dans la littérature parce que je pense qu’il est offensant et injuste. Les femmes amazighes ne savent peut-être pas écrire mais elles ont d’immenses compétences en littérature : poésie, fables, devinettes, etc. et beaucoup de connaissances dans la fabrication de tapis, de moquettes, de poteries et de paniers. Il s’agit là de savoirs traditionnels et coutumiers que beaucoup de personnes instruites et alphabétisées sont incapables de maîtriser.Le Courrier de l’UNESCO. ‘’L’Alphabétisation à l’échelle des cultures’’. UNESCO: Paris, 1984, pp. 4-34. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000074676_fre
[xxiv] Chtatou, Mohamed. “Bin –Abd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya,” in Tribe and State: Essays in Honour of David Montgomery Hart, ed. E. G. H. Joffe and C. R.Pennell. Cambridgeshire, U.K.: Middle East and North Africa Studies Press, 1991, pp. 182–212. [xxv] Joseph, Terri Brint. “Poetry as a Strategy of Power: The Case of Riffian Berber Women”, Signs, vol. 5, no. 3, 1980, pp. 418-34. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/3173583 [xxvi] Koskoff, Ellen, ed. Women and Music in Cross-Cultural Perspective. New York: Greenwood Press, 1987.» Les quinze dernières années ont été une période d’intense intérêt scientifique pour les femmes, entraînant une explosion de la littérature qui a commencé à révéler les effets prédominants du genre sur d’autres domaines culturels. Touchant tous les aspects de la culture, les questions de sexualité, les questions liées au genre Les comportements sexuels et les relations entre les sexes ont également de profondes implications pour la performance musicale. Ce volume représente une introduction au domaine des femmes, de la musique et de la culture et ne tente en aucun cas d’être exhaustif dans sa couverture ni concluant dans ses implications. Par exemple, La musique classique occidentale n’est pas abordée ici, de nombreuses grandes régions du monde ne sont pas couvertes et ce volume ne présente pas non plus une étude complète de tous les développements récents de l’anthropologie à orientation féministe. Ce que ces essais partagent, c’est l’accent mis sur l’identité culturelle et l’activité musicale des femmes. soit dans des environnements de représentation socialement isolés, soit dans les arènes publiques partagées par leurs homologues masculins. » Extrait de la préface
[xxvii] Vitale, Mara. « 12. Transnationalisation et innovation : les guides spirituelles féminines dans la Tijāniyya burkinabé », Jean Schmitz éd., Le Sahel musulman entre soufisme et salafisme. Subalternité, luttes de classement et transnationalisme. Paris : Karthala, 2023, pp. 297-315. https://www.cairn.info/le-sahel-musulman-entre-soufisme-et-salafisme–9782811129002-page-297.htm [xxviii] La poésie comme stratégie de pouvoir : le cas des femmes berbères riffiennes , Terri Brint Joseph, Signs, Vol. 5, non. 3 (printemps 1980), p. 418-434. Chicago : Les Presses de l’Université de Chicago, 1980. [xxix] Joseph, Terri Brint. “Poetry as a Strategy of Power: The Case of Riffian Berber Women.”Op. cit.En référence à sa recherche Terri Brint Joseph a écrit :
‘’ Les données sur lesquelles se base cette étude ont été collectées au cours de dix-huit mois de terrain en 1965-66 dans les montagnes du Rif au Maroc. L’auteur souhaite remercier les Berbères pour leur patience, leur intérêt et leur hospitalité, Roger Joseph pour sa rigueur intellectuelle et son assistance sans faille, Cheryl et David Evans, Katherine Frank Clark, Donald Heiney, James McMichael, John C. Clark,
Donald Heiney, James McMichael, John C. Rowe, Maria Ruegg, Barbara Herrnstein Smith, Diane Wakoski, et les évaluateurs anonymes de Signs: Journal of Women in Culture pour leurs commentaires et leurs encouragements. Des parties de cet essai ont été présentées oralement à la California Folklore Society (1974, 1976) et à la Modern Language Association (1977).’’
[xxx] Daoudi, Mohamed. ‘’ Amazigh Literature of the Rif in Translation”, Riffian Literature, MULOSIGE Translations, 2017. http://mulosige.soas.ac.uk/resources/translations/translations-essays/amazigh-literature-translation/riffian-literature/ [xxxi] Becker, Cynthia. Amazigh Arts in Morocco: Women Shaping Berber Identity. 1st ed.Austin: University of Texas, 2006, p. 42.
[xxxii] Fadhma n’Azrou Aqchâ est née dans le clan Iharassen en 1910 est décédée chez son fils Mouhand Amezyan à Den Haag en Hollande en 1990. Elle fut célébrée pour son art de tissage par les Hollandais en 1970. [xxxiii] Chtatou, Mohamed. ‘’ ‘’Le tapis amazigh: identité, création, art et histoire’’, Le Monde Amazigh, June 18, 2020. https://amadalamazigh.press.ma/fr/le-tapis-amazigh-identite-creation-art-et-histoire/ [xxxiv] Becker, Cynthia. Amazigh Arts in Morocco: Women Shaping Berber Identity, op. cit., p. 44. [xxxv] Chtatou, Mohamed. ‘’Promouvoir, protéger et revitaliser la langue amazighe’’, Le monde Amazigh, 8 avril 2022. https://amadalamazigh.press.ma/fr/promouvoir-proteger-et-revitaliser-la-langue-amazighe/ [xxxvi] Chtatou, Mohamed. ‘’Poetry, Song and Dance as Amazigh Strong Markers of Identity’’, Amazigh World News, June 11, 2020. https://amazighworldnews.com/poetry-song-and-dance-as-amazigh-strong-markers-of-identity/ [xxxvii] Chtatou, Mohamed. ‘’ ‘’Le tapis amazigh : identité, création, art et histoire’’, op. cit. [xxxviii] Ibid. [xxxix] Chtatou, Mohamed. ‘’Poetry, Song and Dance as Amazigh Strong Markers of Identity’’, op. cit. [xl] Hoffman, Katherine E. “Generational Change in Berber Women’s Song of the Anti-Atlas Mountains, Morocco”, Ethnomusicology, 46.3, 2002, pp. 510-540. [xli] Chtatou, Mohamed. “Bin –Abd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya,” in Tribe and State: Essays in Honour of David Montgomery Hart, op. cit. [xlii] Sadiqi, Fatima. “The Role of Moroccan Women in Preserving Amazigh Language and Culture”, Museum International, 59.4, 2007, p. 31. [xliii] Chtatou, Mohamed. ‘’Le tapis amazigh : identité, création, art et histoire’’, op. cit. [xliv] Becker, Cynthia. Amazigh arts in Morocco: women shaping Berber identity. Austin: University of Texas Press, 2014, p. 120. [xlv] Ibid., p. 131. [xlvi] Ibid. [xlvii] Baudoz, Augustun. Histoire de la guerre de l’Espagne avec le Maroc. Paris : Lebigre-Duquesne frères, 1860. [xlviii] Le terme « Rifublic » est une corruption du mot « République » qui signifie à la fois que le Rif est devenu, en quelque sorte, indépendant du sultanat marocain et qu’il peut s’occuper de lui-même, mais aussi que l’ordre public a cessé et que la région est entrée dans une ère de querelles inter claniques et intertribales. Le quotidien El Telegrama del Rif, depuis sa création en 1902, rend compte quotidiennement de ces querelles intestines. [xlix] Hart, David M. “Murder in the Market Penal Aspects of Berber Customary Law in the Precolonial Moroccan Rif”, Islamic Law and Society, vol. 3, no. 3, 1996, pp. 343-71. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/3399414 [l] Hart, D.M. Banditry in Islam. Case Studies from Morocco, Algeria and the Pakistan North West Frontier. Wisbech (G.-B.): MENAS Press, Studies in Continuity and Change, 1987. [li] Coon, Carleton S. Tribes of the Rif. Op. cit. [lii] Sánchez Pérez, Andrés. « Adbelkrim » (PDF). Revista de Historia Militar. Madrid: Ministerio de Defensa. XVII (34), 1973, pp. 123-158. https://publicaciones.defensa.gob.es/media/downloadable/files/links/R/E/REVISTAS_PDF635_1.pdf [liii] Pennell, C. R. A Country with a Government and a Flag: The Rif War in Morocco, 1921–1926. Cambridgeshire: MENAS Press, 1986. [liv] Ibid. [lv] Maddy-Weitzman, Bruce. “Abdelkrim: Whose Hero Is He? The Politics of Contested Memory in Today’s Morocco”, The Brown Journal of World Affairs, vol. 18, no. 2, 2012, pp. 141-49. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/24590869 [lvi] Woolman, David S. Rebels in the Rif: Abd el Krim and the Rif Rebellion. Redwood City, California: Stanford University Press, 1968.[lvii] Chtatou, Mohamed. ‘’La glorieuse épopée de l’émir Mohammed Ben Abdelkrim al-Khattabi, cent ans après’’, Inumiden, 23 septembre 2021. www.inumiden.com/la-glorieuse-epopee-de-lemir-mohammed-ben-abdelkrim-al-khattabi-cent-ans-apres/
[lviii] Chtatou, Mohamed. “Bin –Abd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya,” in Tribe and State: Essays in Honour of David Montgomery Hart, op. cit. [lix] Kœrner, Francis. “La Guerre Du Rif Espagnol Vue Par La Direction Des Affaires Indigènes Française (1921-1924)”, Revue Historique, vol. 287, no. 1 (581), 1992, pp. 141-56. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/40955175 [lx] Descamps, Florence. “Les limites des archives orales rétrospectives”, in L’historien, l’archiviste et le magnétophone : De la constitution de la source orale à son exploitation, Descamps (ed.). Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2005, pp. 485-504. http://books.openedition.org/igpde/596 [lxi] Raphaël, Freddy. “Le Travail de La Mémoire et Les Limites de l’histoire Orale”, Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 35, no. 1, 1980, pp. 127-45. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/27581008 [lxii] François, Etienne. ‘’ Fécondité de l’histoire orale’’, Bulletins de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, 1987, 4, pp. 33-43. https://www.persee.fr/doc/ihtp_0769-4504_1987_num_4_1_1973 [lxiii] Bencheikh, Jamel Eddine. Poètique arabe. Paris : Gallimard, 1989. [lxiv] Aïssani, Djamel. « Les écrits de langue berbère de la collection de manuscrits ulahbib (Béjaia) », Études et Documents Berbères, vol. 15-16, no. 1, 1998, pp. 81-99. [lxv] Fadhma Imnadhen est une conteuse rifaine née en 1889 à Tizi Boudriss dans le clan Iharrassen est décédée en 1985. [lxvi] Chtatou, Mohamed. “Bin –Abd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya,” in Tribe and State: Essays in Honour of David Montgomery Hart. Op. cit. [lxvii] Mina n-Imnadhen est une conteuse de la localité de Ain Hamra, Elle est née en 1905 et décédée en 1984. Elle parle couramment le Français parce qu’elle a travaillé avec les autorités coloniales française de 1935 à 1955 en tant que crîfa, spécialiste des affaires féminines. [lxviii] Hart, David M. ‘’Conflicting models of a berber tribal structure in the moroccan Rif: the segmentary and alliance system of the Aith Varyaghar’’, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 7, 1970, pp. 93-99. https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1970_num_7_1_1060[lxix] Sugiyama, Michelle Scalise. ‘’Oral Storytelling as Evidence of Pedagogy in Forager Societies’’, Frontiers in Psychology, 29 mars 2019. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2017.00471/full
[lxx] Ibid. [lxxi] Renate Chancellor, and Shari Lee. “Storytelling, Oral History, and Building the Library Community”, Storytelling, Self, Society, vol. 12, no. 1, 2016, pp. 39-54. JSTOR, https://doi.org/10.13110/storselfsoci.12.1.0039 [lxxii] Rahma Dhamzyand est née à Boured en 1988 et est morte en 1980. Grande conteuse rifaine qui a vécu toute sa vie à Ajdir n-Iharassen. [lxxiii] Genevois H. « 350 énigmes kabyles », Fichier de Docum. berb., n° 78, 1963. [lxxiv] E.B., D. Azdoud & M. Peyron, “Devinettes”, Encyclopédie berbère, 15, 1995, document D39. http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/2247 [lxxv] Bynon J. “Riddle-telling among the Berbers of Central Morocco”, African Language Studies, London, VII/1966, pp. 80-104; VIII/1967, pp. 168-197. [lxxvi] Skounti A. « Devinettes des Ayt Merghad (Tamazight Sud-Est marocain) », Études et Documents Berbères, n° 10, 1993, pp. 129-134. [lxxvii] Strochlic, Nina. ‘’The Race to Save the World’s Disappearing Languages’’, National Geographic, avril 2018. https://www.nationalgeographic.com/culture/article/saving-dying-disappearing-languages-wikitongues-culture [lxxviii] Walker, Nick. ‘’Mapping Indigenous languages » », Canadian Geographic, décembre 2017. www.canadiangeographic.ca/article/mapping-indigenous-languages-canada
Très intéressant . J’espère pouvoir lire plus d’articles qui nous éclairent sur l’histoire de notre magnifique communauté . <3