Conférence livrée à la Réunion du Réseau Méditerranéen d’Information et Communication avec Vision du Genre, organisée par L’Institut Européen de la Méditerranée à Barcelone les 14 et 15 avril 2016.
De prime abord, un grand merci pour nous inviter à nous exprimer sur un problème combien sensible et douloureux, qui préoccupe l’opinion du monde libre et les différentes organisations des droits humains dans tous les pays, à savoir les violences contre les femmes. Un problème qui perdure sous différentes formes et aspects et de façon trop répandue, en dépit des évolutions et progrès atteints par le genre humain.
En fait la persistance du phénomène des violences faites aux femmes et contre les femmes et le genre humain, à des degrés élevés a poussé l’Organisation des Nations Unies, en 1993, à publier une Déclaration relative à la lutte contre la violence à l’égard de la femme, laquelle déclaration a défini de manière claire et globale la violence contre la femme et a cité également un communiqué clair inhérent aux droits à appliquer pour garantir la lutte contre la violence à l’égard de la femme dans toutes ses formes.
Ainsi, ladite Déclaration mondiale sur la lutte à l’égard de la violence contre la femme a défini la violence comme « tout acte violent émanant d’une nervosité sexuelle et entrainant, ou pouvant entrainer, un mal ou une souffrance pour la femme, que ce soit au niveau physique, sexuel ou psychologique, y compris les actes de ce genre dont la privation et le refus de liberté survenus au sein de la vie publique ou privée ».
Dans l’article 2 de la Déclaration suscitée, il est affirmé que la violence contre la femme englobe, à titre d’exemple et sans exclusive, la violence physique, sexuelle et psychologique qui surviennent au sein de la famille, y compris les actes de violence physique, le viol sexuel sur les enfants particulièrement les filles, la violence liée à la dot, le viol de la femme, la circoncision des filles et toutes les pratiques traditionnelles qui portent atteinte à la femme, de même que la violence non conjugale liée à l’exploitation, à la violence physique, sexuelle et psychologique, au sein de la société publique, y compris le viol. La violence sexuelle, comprend aussi, la violence et la contrainte sexuelles, de même que la menace dans le lieu de travail, les institutions scolaires ou tout autre espace. A cela s’ajoute la traite des femmes qui les oblige à se prostituer. Sans oublier la violence physique, sexuelle et psychologique commise par l’Etat ou négligé par ce dernier.
Les Nations Unies ont réservé une journée mondiale annuelle de lutte contre la violence faite à la femme célébrée chaque année, le 25 novembre, au côté de la journée mondiale de la femme, pour mettre fin à ce phénomène qui se propage davantage dans les pays du tiers monde dont le Maroc fait partie.
Mesdames et Messieurs,
En tant que femme amazighe, je lis et je m’imprègne de l’histoire du peuple amazighe à propos des reines Dihya et Tin Hinan et d’autres femmes qui régnèrent il y a des siècles. Qu’en est-il de l’image de la femme dans la culture ancestrale amazighe au Maroc? La femme amazighe est dite « Tamghart », c’est-à-dire « La Chef ». Je compare sa situation d’il y a quatorze siècle et sa situation actuelle caractérisée par la ségrégation dans tous les domaines, y compris le simple fait de s’exprimer dans sa langue et ce en dépit des quelques réformes entamées par le Maroc, particulièrement celles figurant dans la constitution de 2011. A titre d’exemple, ce qui est stipulé dans le préambule, de la dernière Loi fondamentale, quant à l’égalité entre citoyens sans considération aucune pour leur sexe, en plus de ce qui est stipulé dans l’article 19 de cette constitution qui prévoit que« L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination. ».
Ce qui a motivé ces amendements constitutionnels est le fait que la violence contre la femme au Maroc se propage de manière criante. Des rapports juridiques et officiels affirment que 62% des femmes sont objet de violence dans ses différentes formes et les agresseurs échappent à la punition. Dans ce cadre, Human Right Watch, en février 2016, a publié des rapports sur la faible réponse marocaine relative à la violence conjugale, quant à la protection des victimes et au jugement des criminels. L’organisation internationale a affirmé avoir écouté 20 femmes et filles, victimes de violence familiale, qui ont déclaré que leurs époux ou conjoints ou d’autres personnes de leurs familles, les ont agressées de différentes manières. Plusieurs femmes ont déclaré à l’organisation que la police n’a pas enregistré leurs déclarations. Elle les a chassé et a refusé d’établir un PV et poursuivre les accusés, y compris ceux que le parquet général a demandé de poursuivre.
En plus de la propagation de la violence physique et morale lié à l’agression sexuelle au Maroc, la femme amazighe est objet d’une autre violence supplémentaire liée à son ethnie. Durant des années, elle fut privée de l’usage de sa langue ou de son apprentissage. Elle est objet de marginalisation culturelle pour le simple fait qu’elle est amazighe. L’enseignement marocain se limite à l’arabe, de même pour les médias et les administrations étatiques. L’arabe demeure la seule langue usitée dans les administrations, la justice et les départements de l’Etat. La femme amazighe souffre dans un pays sous-développé quant aux droits de la femme. Ses souffrances s’intensifient si elle n’est pas scolarisée et nous parlons d’un pays à taux d’analphabétisme criant.
De plus, la violence symbolique contre la femme au Maroc, continue. Des ONG féministes marocaines ont affirmé la persistance de ce genre de violence dans les médias et les manuels scolaires, en plus des chaines d’éducation sociale qui consacrent l’image typique de la femme et qui reproduisent la culture misogyne et ce qu’elle draine comme distribution des rôles hérités historiquement qui avilissent la femme. Nous constatons avec regret les déclarations répétitives du chef du gouvernement qui consacrent la vision mineure de la femme marocaine, considérée comme, « incapable ».
La femme est perçue et présentée comme un simple « décor », réduite à un simple « lustre » pour les maisons, si l’on en croit les déclarations claires du chef du gouvernement contre la femme marocaine. Déclarations précédées par d’autres du même genre qui défendent le mariage d’un homme de 80 ans avec une femme de 16 ans. La procédure de divorce unilatéral de la part du mari, l’inégalité en matière d’héritage, la tutelle légale des enfants et le mariage des mineures (calculé à 35 000 cas en 2013) sont toujours maintenus malgré les progrès théoriques du nouveau Code de la famille.
Les déclarations du chef du gouvernement marocain ne constituent pas un objet de polémiques et de contestations, elles reflètent sa vision qui s’achemine vers la fin de son mandat, qui n’a rien changé quant à la situation lamentable de la femme. Malgré les amendements contenus dans la constitution, de 2011, et malgré la ratification par le Maroc en 2015 du protocole optionnel adjoint à la convention de lutte contre toutes les discriminations visant la femme, en dépit de la propagation du phénomène de violence familiale, le gouvernement marocain a retardé la mise en œuvre du contenu de la constitution marocaine et a reporté la loi relative à la lutte contre la violence visant les femmes. Loi en instance depuis 2013, jusqu’à mars de 2016 où elle fut adoptée par le gouvernement marocain. Cette loi est la première dans l’histoire du Maroc en ce qui concerne la violence contre les femmes. Mais elle souffre de carences en matière de définition de la violence familiale et n’incrimine pas le viol conjugal ainsi que les faits évoqués par les organisations de droit marocaines.
De plus le gouvernement marocain actuel est désintéressé quant à l’urgence de la loi inhérente à la cessation de la violence contre la femme. En 2015, le gouvernement promulgua une loi, limitée, pour incriminer l’avortement. Limitation qui concerne le cas où la femme enceinte constitue un danger pour la vie de la femme et sa santé, ou dans le cas de déformations physiques ou les maladies endémiques du fœtus ainsi que pour les cas de viol et d’inceste.
Concernant ce qui a trait à l’équité et aux chances, le gouvernement marocain a tardé beaucoup dans la mise en œuvre de l’article 19 de la constitution marocaine, quant à la création d’une Instance d’équité et de lutte contre les formes de discrimination, finalement présentée au parlement qu’en mars 2016. Mais en avril de la même année, parallèlement aux travaux des commissions sectorielles sociales au sein du parlement qui examine le vote sur le projet de création de l’instance d’équité et de lutte contre les formes de discrimination, numéroté 79.14, des dizaines de cadres marocains ont manifesté et menacé, évoquant leur crainte relatives à cette instance qui risque d’être une coquille vide. D’autant plus que le projet de loi octroie aux dites instances le statut de simple conseiller. Fait qui empêche la protection des femmes et dévie de son objectif principal.
La majorité des organisations juridiques et féminines sont d’accord sur le fait que la création de l’Instance d’équité et de lutte contre les formes de discriminations posée et préparé par le gouvernement marocain, est sans horizon, et est inférieur au contenu de la constitution marocaine. Il ne correspond pas aux engagements du Maroc au niveau juridique international. En plus de l’ignorance des propositions et des avis des associations de droit et de cadres qui défendent les droits de la femme. Bien plus, des propositions officielles telles celles du Conseil National des Droits de l’Homme sont ignorées.
Mesdames et Messieurs,
Nous constatons, avec regrets, le retard du gouvernement marocain et l’absence de volonté de sa part quant à la mise en œuvre des amendements contenus dans la constitution marocaine de 2011. Idem pour les conventions internationales ratifiées par le Maroc et relative à la femme. Ce qui empêche la femme de bénéficier de l’équité, de la solidarité et de la dignité. De ce fait les marocaines ne jouissent pas encore de tous leurs droits. Elles sont objet de toutes les formes de discriminations. Privées de leur égalité avec les hommes en tout, y compris le travail, les salaires, l’héritage, le mariage, le divorce ainsi que les relations avec les enfants. Sans parler du mariage des mineures et dumariage des violentées et violées avec les violeurs qui se poursuit.
En aspirant à une place meilleure pour la femme marocaine, nous pointons la responsabilité énorme du gouvernement marocain quant à la continuité de la situation lamentable de la femme. La meilleure expression de la situation de la femme marocaine est incarnée par le gouvernement où les femmes sont loin d’obtenir la parité dans les 32 postes ministériels. Jusqu’à la ministre de la femme et de la famille et du développement social de l’actuel gouvernement marocain, qui appartient au Parti de la Justice et du Développement (PJD), ayant une référence islamique et conservatrice, qui refuse d’octroyer aux femmes leurs droits tels que stipulés par les conventions internationales.
* Directrice du journal «Le Monde Amazigh»