Portrait d’un militant en défenseur inconditionnel du cèdre de l’Atlas

Mohamed Attaoui président de l’Association Avenir du Cèdre et du Mouflon

Mohamed Attaoui est militant associatif atypique. Rien d’inconsistant dans le qualificatif. Il y a en lui, en effet, quelque chose de têtu et d’inconciliable. Cela se juge surtout sur la durée. Ses adversaires, offusqués par son refus de plier, diront incorrigible. Malgré un sentiment d’isolement du fait que d’anciens camarades avaient opté pour d’autres méthodes et voies, lui reste fidèle à ses choix initiaux et maintient le cap. Pour son inflexibilité il paie un lourd tribut : licenciement, emprisonnement, difficulté de vie d’un père de famille marié, père de trois enfants. Son nom est associé à Tounfite, village situé dans le Haut Atlas oriental, à une centaine de kms au sud-est de Khénifra. Parallèlement à l’associatif il avait toujours écrit des articles et reportages audacieux dans leur franc-parler pour donner une voix à sa région et dénoncer les méfaits dont elle fait l’objet, ce qui n’était pas pour plaire aux réseaux qui en tiraient profit au détriment de la population très pauvre.

Technicien agronome, la cinquantaine, Attaoui a toujours tenu à rester dans son patelin natal de Tounfite. A l’origine, après avoir obtenu son diplôme de technicien agronome, il avait travaillé dans la culture de la fleur coupée dans la région de Rabat. C’était son premier job de diplômé frais émoulu, années 1980. Il se rappelle comment cette expérience auprès d’un entrepreneur européen lui avait donné la possibilité de contacter un univers de gens cossus, amateurs de fleurs d’ornement. L’enfant du pays du Tounfit, patelin du Haut Atlas oriental, en était dépaysé. Néanmoins au lieu de s’établir dans une grande ville comme son premier travail semblait l’y orienter, il choisit, à la première occasion, au début des années 1990, de travailler au sein de la commune rurale de Tounfite son village natal. C’était lors de l’opération d’insertion des diplômés chômeurs dans le cadre du Conseil de la jeunesse et de l’avenir. On se souvient de cette première étape de crise de l’université marocaine qui se poursuit encore aujourd’hui.

Sa passion avait toujours été la protection des ressources naturelles de la région du Haut Atlas oriental, dont en particulier le cèdre qui figure l’une des particularités de la région. D’où la création par la suite d’une association qu’il préside : Association Avenir du Cèdre et du Mouflon. Pour lui, le nom de l’association résume la situation de sa région natale : la destruction systématique du cèdre est accompagnée dramatiquement par celle de la faune. Après la disparition du lion de l’Atlas dans les années 1920, d’autres espèces ont suivi dont la panthère. Aujourd’hui la diminution des troupeaux de mouflons, ruminants sauvages habitant en haute altitude dans les escarpements de la montagne, offre un exemple frappant de décimation continue de la vie florale et faunistique.

«C’était dans le passé tout un cheptel dont le nombre n’a cessé de diminuer de manière alarmante, la disparition des grands arbres suivie de l’éclaircissement de la forêt et les sous-bois avec les variétés diversifiées de plantes, s’accompagne par la détérioration de l’habitat de la faune et donc c’est tout l’écosystème qui s’effondre!» aime-t-il à souligner.

Sa passion s’inscrit dans la constance. Ni le temps qui se prolonge (une vingtaine d’années) ni les contraintes économiques et judiciaires avec les épreuves et souffrances que cela entraîne, ne parviendront à l’arrêter ou émousser l’acuité de son engagement. Après avoir été soutenu par des médias et ONG militant pour la protection de l’environnement, aujourd’hui il se sent plutôt seul face aux mêmes pressions et lobbys. Or rien n’a changé pour ce qui l’avait toujours mis en révolte depuis la fin des années 1980 : on coupe toujours le cèdre avec du braconnage à grande échelle et bientôt dans cette région du Haut Atlas oriental, les générations futures n’y verront plus les immenses arbres qu’on arrache à un rythme effréné.

Ce qui est arrivé à Mohamed Attaoui est tout à fait particulier. Son engagement lui a valu des épreuves sans nombre. Pourtant il ne semble pas prêt à baisser les bras. Il a de la détermination, de l’endurance à en revendre. Marié, père de trois enfants, il doit concilier entre la vie familiale et l’activité de militant. Un véritable tour de force. Dans sa petite maison construite sur un étage, sans finition jusqu’à ce jour, il avait accueilli des journalistes et autres représentants d’ONG nationaux et étrangers pour les guider sur le sentier de la cédraie du Haut Atlas oriental. Là il se calfeutre chez lui pendant l’hiver trop rude avec la neige qui s’accumule sur le toit. Il se réfugie avec sa femme et ses enfants dans une petite chambre avec poêle pour se tenir au chaud.

«On est obligé de se réfugier dans la chambre car le poêle ne peut pas tenir au chaud toute la maison!».

Une famille a besoin de beaucoup de bois de chauffage pour tenir le coup en hiver dans la région où des températures au-dessous de zéro sévissent pendant trois mois à partir de décembre. Depuis l’été des bûcherons font le va-et-vient entre le village et la forêt en quête de bois de chauffage qu’ils revendent à 70 Dh le chargement de mulet.

Depuis le mois d’août dernier Mohamed Attaoui avait observé un sit-in devant le siège de la commune rurale de Tounfite en protestation contre le refus du président de la commune d’exécuter un jugement définitif du Tribunal administratif pour licenciement abusif et privation de son salaire. Il vient de saisir le Médiateur du Royaume par une correspondance à ce propos. Il s’agit du deuxième jugement du genre puisque Attaoui avait déjà fait l’objet de licenciement abusif et le Tribunal administratif lui avait rendu justice en décidant de l’indemniser et le réintégrer dans son travail. Ce jugement confirme qu’il avait été privé de son travail juste pour le punir et mettre au pas son activité de militant qui refuse de s’intégrer dans les rouages d’un système de clientélisme et ne s’accepte que comme un électron libre de vigilance à l’affut des actions de prédation dont pâtit le patrimoine forestier.

Pour Attaoui la région de Tounfite subit un double déni. D’une part les pouvoirs publics au niveau central semblent ne pas se rendre compte que cette région existe, d’où le fait que des exactions peuvent se passer, comme la prédation à grande échelle du cèdre, sans qu’on s’en émeuve outre mesure.

«On semble penser que le cèdre n’existe qu’au Moyen Atlas et ignorer que le Haut Atlas oriental possède une part non négligeable de cédraie qu’il faudrait protéger contre les massacres quotidiens» confie Attaoui.

D’autre part un pan d’histoire est complètement ignoré bien qu’il représente un poids considérable au niveau historique et symbolique pour le Maroc. A ce propos Attaoui aime à évoquer la région de Tazizaout, haut sommet du Haut Atlas oriental (à quelques dizaines de kms de Tounfite) où les derniers bastions des résistants, refusant la capitulation devant les forces coloniales françaises, s’étaient réfugiés en 1932. Un moussem est régulièrement organisé au mois d’août pour évoquer ce passé oublié et se recueillir sur les tombes des résistants dans la montagne devenue leur cimetière. Pas seulement des Zayane mais pour tous les Marocains qui avaient pris part dans des batailles et avaient refusé de se rendre que ce soit au Nord pour les Rifains ou le Sud pour le Souss, ou encore l’Ouest pour la Chaouia. Pour Attaoui la mauvaise gestion, l’absence de démocratie locale et la dilapidation des richesses naturelles sans profiter aux infrastructures et développement humain constituent une insulte pour ce passé de résistance.

Sous sa petite maison se trouve un garage où il a installé son bureau, siège de la section locale de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) et de l’Association Avenir du Cèdre et du Mouflon. Sur une grande table trône un vieil ordinateur avec tout autour des monticules d’archives, coupures de presse, livres, photographies, documents de toutes sortes en rapport avec la lutte contre le massacre de la forêt de cèdre et pour l’équilibre écologique et la démocratie locale. Ces archives constituent les jalons d’une vie hantée par un rêve, celui de préserver un patrimoine naturel à la dérive garant d’avenir radieux pour les femmes et hommes de sa région.

Saïd AFOULOUS

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