Quelle relation a-t-elle l’école marocaine avec les affaires de l’Union Européenne et la montée de l’extrême droite ?

Honorables Eurodéputées et Eurodéputés, Du Parlement Européen,

Objet : pourquoi faut-il que vous vous impliquiez dans la discussion sur la réforme de l’école marocaine et qu’est ce qu’elle a à avoir avec les affaires de l’Union Européenne ?

Honorables représentants du parlement de l’Union Européenne,

Du fait que les élections européennes s’approchent, j’ai pensé qu’il serait judicieux de vous interpeller, -comme je viens de le faire avec M. Christophe Lecourtier, actuel ambassadeur de la République de France au Royaume du Maroc [1]-, sur une problématique d’une grande transcendance et complètement absente dans vos projets, vos campagnes et vos programmes électoraux, qu’est la réforme d’une école qui ne fait pas partie de l’Europe, celle de l’école marocaine!

Votre premier réflexe, tout-à-fait normal, c’est de se poser la légitime question de celle en quoi ça vous regarde la problématique de la réforme d’une école du continent africain ? Quelle relation a-t-elle avec les affaires, les préoccupations et les problèmes quotidiens de vos citoyennes et citoyens de l’Union européenne ?

En toute franchise, cette particulière problématique vous concerne de très près, et cela, au moins à deux niveaux du fait que la crise structurelle de cette école nord-africaine s’accompagne avec des répercussions directes, transcendantes et néfastes sur l’avenir de l’Europe, et inclut même la préoccupante montée des mouvements fascistes et des partis d’extrême droite (comme le révèlent les dernières élections portugaises, après celles de l’Italie, de la Hongrie, de la Pologne, des Landers allemands, de l’Autriche et des Pays Bas, et dont les sondages prévoient une augmentation significative lors de vos prochaines élections européennes de juin où ils arriveraient en tête des sondages dans quatre des six pays fondateurs de l’Union européenne ! [2]).

Le premier niveau, à propos de vos aides à la coopération internationale et vos prêts bancaires dans le cadre de votre « Politique Européenne de Voisinage (PEV) ».

En effet, la Banque européenne d’investissement (BEI) et de l’Union européenne avait débloqué un budget de 102,5 millions d’Euros, à laquelle s’ajoute celle de l’Agence Française de Développement (AFD) de 134,7 Millions d’Euros et celles d’autres gouvernements de l’UE (et de la Banque Mondiale), en faveur du soutien de la réforme de l’éducation de la « Feuille de route 2022-2026 » de l’actuel ministre marocain de l’Education nationale, dans le but de la généralisation de l’enseignement préscolaire et de la lutte contre les abandons scolaires, qui dépassant annuellement les 300 000 enfants (plus de 3 millions en dix ans !), et dont certains mineurs et jeunes illettrés arrivent à réussir à franchir toutes les frontières et terminent à déambuler dans les principales rues de vos villes, et sèment, en conséquence, de l’insécurité et de la peur à cause de leurs petits actes de malfrats ! Ce qui ne fait que renforcer, encore plus, les thèses et les rangs des mouvements et des formations politiques autoritaires, qui aiment surfer sur « les sentiments d’insécurité, réels ou perçus, liés aux flux migratoires, au terrorisme ou aux incertitudes économiques » !

De ce fait, et comme je l’ai manifesté à l’ambassadeur français, je suis convaincu que vos précieuses aides, arrachés aux sacrifices et aux impôts de vos citoyens de vos différents états européens en ces difficiles temps d’austérité, de la Guerre en Ukraine et de la profonde crise financière, soient utilisée à bon escient pour lutter contre ce fléau d’échecs et des abandons scolaires, et pour améliorer le rendement de l’école marocaine, de la même manière que les aides octroyés pour l’alphabétisation des adultes. Malheureusement, je suis dans l’obligation de vous prévenir que ces nobles objectifs ne seront jamais atteints tant que les autorités éducatives du Royaume du Maroc continuent à ne pas respecter les recommandations de l’UNESCO en ce qui concerne l’importance d’intégrer la langue maternelle au sein de l’école (et au sein des campagnes de l’alphabétisation des adultes [3]). Comme l’affirme, Mme Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, à l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle du 21 février passé : « Les travaux scientifiques sont formels: apprendre dans sa langue maternelle est une condition essentielle de la réussite scolaire. L’estime de soi s’en trouve renforcée, la curiosité de l’enfant éveillée, dès son plus jeune âge, et les capacités cognitives connaissent un développement facilité. … Mais une langue n’est pas seulement un idiome ou un simple moyen de communication : elle est aussi le réceptacle d’une culture. Elle est le véhicule de tout un ensemble de représentations et de relations au monde, de manières de se penser soi dans sa relation aux autres et aux choses ». C’est ce que le prestigieux expert français en linguistique, M. Alain Bentolila, avait souligné lors de son pertinente allocution inaugurale du 15 novembre 2019, à Paris, à la Conférence des ministres de l’Education nationale des Etats et gouvernements de la Francophonie, que : « les systèmes éducatifs de certains pays, aussi coûteux qu’ils soient, sont devenus des machines à fabriquer de l’analphabétisme et de l’échec scolaire parce qu’ils n’ont jamais su (ou voulu) résoudre la question qui les détruit : celle du choix de la langue d’enseignement. Ils conduisent des élèves à des échecs cruels parce que l’école les a accueillis dans une langue que leurs mères ne leur ont pas apprise et c’est pour un enfant une violence intolérable et que sur la base solide de leur langue maternelle qu’on leur donnera une chance d’accéder à la lecture et à l’écriture et que l’on pourra ensuite construire un apprentissage ambitieux des langues officielles ».

Le deuxième niveau concerne les programmes éducatifs et conventions bilatérales signés par certains de vos États européens avec le Maroc en ce qui concerne « l’Enseignement de la Langue et de la Culture d’Origine (ELCO) ».

A propos de cette question, nous ne cessons pas d’interpeller et de dénoncer les autorités marocaines sur le choix inadéquat de la langue sans qu’on reçoive aucune réponse de leurs parts [4]. En plus, on était plus d’une vingtaine d’ONG, dont une dizaine européenne, qui avait interpellé le ministre de l’Education nationale sur les raisons d’exclusion de l’enseignement de la langue officielle amazighe et maternelle aux enfants des Citoyen-ne-s Marocain-e-s Résident-e-s à l’Etranger en juin 2022 [5], dont le nombre commence à dépasser les 6 millions de personnes. A cette date, il avait sorti une circulaire pour un concours de recrutement des « enseignants de la langue arabe et de culture marocaine aux enfants des Marocains résidants en Europe », en proposant 139 places pour la France, 60 pour l’Espagne, 16 pour la Belgique et 3 pour l’Allemagne. Et le voici, de nouveau, il a sorti une nouvelle circulaire, ce 8 mars dernier, où il demande le recrutement de 151 enseignants de langue arabe (58 pour la France, 38 pour l’Espagne et 45 pour la Belgique), qui s’ajouteront aux 794 enseignants qui continuent à assurer cet enseignement discriminatoire au sein de « vos écoles européennes », et qui s’inscrit désespérément, aux antipodes de l’esprit de la nouvelle Constitution marocaine réformée au premier juillet 2011, de la loi organique n ° 26.16 de 2019, adoptée unanimement par les deux chambres du parlement, concernant la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe[6]. Une décision qui s’inscrit aussi à l’encontre des récentes, légitimes et pertinentes recommandations onusiennes [7], dont l’objectif fondamental est la demande aux autorités marocaines d’œuvrer à intensifier ses efforts pour faire en sorte que les Amazighs ne soient pas victimes de discrimination raciale dans l’exercice de leurs droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne l’éducation.

Bref, comme je l’ai parfaitement signalé au sein de ma récente correspondance dirigée aux députés espagnols, à l’occasion du vingtième anniversaire des tristes et sanguinaires attentats djihadistes de Madrid [8], imposer une langue, qui n’est pas une vraie « langue d’origine » ou maternelle aux enfants des Citoyen-ne-s d’origine Marocain-e-s Résident-e-s en Europe ne ferait que continuer à pousser les jeunes déracinés issus de cette émigration (et par extension nord-africaine) à l’exclusion sociale, à la délinquance, aux trafics de drogues (voir aujourd’hui la grande menace que représente la sanguinaire et impitoyable Mocro Maffia aux Pays-Bas et en Belgique, et leur croissant monopole du trafic de cocaïne, et de ses règlements de compte qui n’arrêtent pas de se dérouler en plein cœur de votre capitale qu’est Bruxelles! ) et dont certains pourraient même finir fatalement dans le radicalisme islamiste et djihadiste [9].

En définitive, nous vous demandons vivement d’attirer l’attention et la responsabilité des autorités marocaines afin de lui exiger le respect des dernières recommandations de l’ONU [10] et d’intégrer la langue maternelle amazighe (www.youtube.com/watch?v=mu0aUukKJgY) au sein des programmes éducatifs et conventions bilatérales avec vos pays respectifs et l’UE.

En espérant que ma modeste lettre d’interpellation trouvera écho auprès de votre attention, veuillez agréer l’expression de mes salutations les meilleures.

Rachid RAHA, Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe (AMA)

Copie :

  • M. Josep BORRELL I FONTELLES, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et Vice-président de la Commission européenne
  • Mme Patricia Pilar LLOMBART CUSSAC, Ambassadeur et Chef de la Délégation de la Commission Européenne au Maroc

Notes :

[1]- http://amamazigh.org/2024/03/lettres-des-amazighs-a-lambassadeur-de-france-a-propos-de-lecole-marocaine/
[2]- https://fr.euronews.com/2024/03/19/elections-europeennes-un-sondage-exclusif-donne-la-coalition-pro-ue-gagnante
[3]- https://amadalamazigh.press.ma/fr/comment-lunion-europeenne-contribue-a-la-radicalisation-des-jeunes-au-maroc/
[4]- https://amadalamazigh.press.ma/fr/journee-nationale-de-migrant-discrimination-persistante-a-lencontre-des-amazighs-de-la-communaute-marocaine-residente-a-letranger/
[5]- https://amadalamazigh.press.ma/fr/des-ong-amazighs-interpellent-le-ministre-marocain-de-leducation-nationale-sur-les-motifs-dexclusion-de-lenseignement-de-la-langue-officielle-amazighe-aux-enfants-des-mre/
[6]- https://amadalamazigh.press.ma/pdf/26.16.pdf
[7]- https://amadalamazigh.press.ma/fr/lassemblee-mondiale-amazighe-demande-au-ministre-marocain-des-affaires-etrangeres-de-respecter-les-recommandations-onusiennes-concernant-les-droits-des-amazighs/
[8]- https://amadalamazigh.press.ma/fr/il-y-a-des-maures-sur-la-cote/
[9]- http://amadalpresse.com/RAHA/Terroristes.html
[10]- Voir les Observations finales du CERD sur le Maroc, pages 6 et 7 : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/TBSearch.aspx?Lang=en&TreatyID=6&CountryID=117

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