Quelles solutions politiques au Sahel?

Abdoulah ATTAYOUB
Abdoulah ATTAYOUB

Niger, Mali-Azawad : La paix et la stabilité nécessitent une refonte sans complaisance de la gouvernance et des systèmes politiques postcoloniaux.

Face à la crise que traverse l’espace sahélo-saharien, semble encore dominer l’approche militaire destinée à réduire la capacité de nuisance de l’extrémisme violent. Les succès militaires enregistrés ces derniers mois par l’opération Barkhane devraient permettre l’amorce d’une nouvelle étape permettant d’aboutir à des solutions politiques. En effet, les risques existent d’une aggravation et d’une multiplication de points de tension dont la nature et l’intensité pourraient encore éloigner les perspectives de paix et de stabilité.

Longtemps tolérés, notamment au Mali, les groupes djihadistes étaient perçus dans certains cercles comme antidote à la revendication d’une gouvernance plus inclusive au sein des Etats sahéliens. Revendication découlant de l’impensé politique national qui a engendré des systèmes de gouvernance ethnocentrés autour d’une ou deux communautés monopolisant l’essentiel des rouages de l’État pour les façonner à leur image.

Les déséquilibres nés de cette réalité ont fait le lit de l’instabilité actuelle au Sahel.

Aussi, les actions militaires conduites ces dernières années pour contenir l’expansion de l’extrémisme violent semblent-elles vouées à l’échec si la Communauté internationale ne se résout pas, enfin, à analyser objectivement les problèmes posés afin d’espérer leur apporter une solution. Cela exige nécessairement une reconsidération des constructions étatiques postcoloniales qui ont largement montré les limites de leur efficience. Faire l’économie d’une telle refonte des systèmes politiques établis précipitera inéluctablement certains pays dans une impasse existentielle face aux bouleversements actuels.

Soixante ans d’expérience n’ont à l’évidence pas suffi à faire émerger des élites politiques suffisamment lucides et affranchies des archaïsmes qui les maintiennent dans une forme de gouvernance inadaptée aux réalités des états modernes. Sans un volontarisme politique de la Communauté internationale, à la hauteur de son engagement militaire actuel, la situation risque de s’enliser et d’aboutir à une totale déliquescence de ces Etats.

Pourtant, des pistes de solutions existent et sont régulièrement rappelées ; malheureusement, l’immobilisme, l’aveuglement et le refus obstiné de tout changement entravent leur mise en pratique.

Le cas du Mali est édifiant à plus d’un titre. La distorsion entre l’importance de l’engagement militaire et le peu d’empressement de la Communauté internationale à obtenir une application effective et rapide des accords d’Alger interroge légitimement. Cette situation a ouvert la voie aux différentes contradictions internes au Mali et à l’instrumentalisation de cette question devenue fonds de commerce populiste.

Ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « relecture des accords » n’est en réalité qu’une forme déguisée de leur remise en cause. Cette évolution est vite apparue à la faveur des hésitations de la partie gouvernementale, encouragée par la frilosité de la Communauté internationale, y compris de la Médiation, qui a souvent manqué de fermeté vis à vis des parties signataires de ces accords. Certains acteurs maliens seraient manifestement à la manœuvre pour noyer les accords dans les conclusions du dernier « Dialogue national inclusif » (DNI) organisé du 14 au 22 décembre 2019.

Le volet politique et institutionnel des accords d’Alger, pourtant en partie garant de la stabilité durable du pays, semble souffrir d’une négligence coupable le reléguant au second plan, derrière les autres aspects qui ne devraient pourtant intervenir qu’avec l’aboutissement du processus de paix.

La reconstitution de l’armée, la mise en place d’une administration réellement décentralisée et le retour des réfugiés constituent les étapes cohérentes pour l’établissement d’une confiance indispensable entre l’État et les populations qui ont souffert de ses manquements depuis l’indépendance du pays.

La remise en question de ces accords risquerait de raviver le conflit et remettrait sur la table l’ensemble des revendications des Mouvements signataires des accords. Il serait alors difficile à quiconque de continuer à soutenir une option fondée sur l’exclusion et la préservation du statuquo.

La sécurisation des populations ne pouvant à l’évidence être assurée par les armées nationales dans leur format actuel, il serait illusoire de prétendre désarmer les Mouvements signataires des accords d’Alger ou empêcher l’autodéfense des populations dans d’autres zones sahéliennes exposées à l’insécurité. Tant que la confiance entre la population et les Forces de Défense et de Sécurité ne sera pas effective, ces dernières ne pourront se passer du soutien des forces étrangères censées être neutres et plus opérationnelles. Les victimes d’exactions commises ou commanditées par l’État depuis soixante ans ont droit à la vérité, à la justice et aux réparations morales et matérielles, avant que l’on puisse parler de pardon et de réconciliation.

Au Niger, la décentralisation avance à petits pas et aurait besoin d’une attention plus soutenue afin de la rendre effective et bénéfique au bien-être des populations.

Les tensions et crispations révélées par la campagne électorale qui vient de s’achever constituent des signaux alarmants sur l’état d’esprit encore présent au sein de la classe dirigeante. Le pays, par la nature de ses propres réalités géospatiales et socioculturelles, devrait pouvoir faire l’économie d’une situation à la malienne mais cela suppose une volonté politique des élites à faire évoluer le système politique actuel vers une gouvernance plus inclusive et vers l’édification, sans tabou, d’un pacte républicain qui unit les communautés nationales autour d’un récit identitaire partagé.

Aucune communauté ne devrait subir un système politique qui refuse de l’intégrer dans la construction nationale proposée au pays. Des mercenaires de la plume, qui prolifèrent aujourd’hui, flattent des agendas ethnocentrés sous-couvert de conceptions singulières et sélectives du droit, de la République et des valeurs démocratiques. Les analyses qui foisonnent seraient d’une plus grande utilité si elles dégageaient quelques axes essentiels à une refondation des États et à l’amélioration du vivre ensemble au Sahel. Le Sahel a davantage besoin d’approches constructives qui poussent à une conception inclusive des identités nationales faisant place à toute la diversité et mettant fin aux privilèges anticonstitutionnels octroyés à certaines langues au détriment des autres.

Les élites dirigeantes devraient promouvoir davantage un accès équitable aux moyens de l’État à toutes les communautés dans les politiques nationales de développement et d’épanouissement culturel et social. Autrement, elles risquent d’être débordées par la volonté des peuples qui aspirent à plus de justice et de considération. En effet, le silence et les tabous trouvent leurs limites quand ils menacent la cohésion et la qualité du vivre ensemble
Si la communauté internationale se décidait enfin à accompagner ces pays pour leur permettre d’opérer les réformes nécessaires à ces évolutions, alors elle gagnerait du temps, de la légitimité et économiserait l’énergie aujourd’hui déployée à rafistoler des constructions qui ont montré leurs limites. La communauté internationale, et la France tout particulièrement, ne devraient pas donner le sentiment de vouloir persévérer à figer, voire à consolider des constructions politiques qui ont contribué à plonger l’espace sahélo-saharien dans la situation actuelle.

Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE)
Lyon 6 mars 2021

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