Rencontres avec des anthropologues américains au Maroc (i)

Dr. Mohamed Chtatou

Rencontre avec Geertz sa femme Hildred et Rosen Lawrence

Sefrou est situé au pied des montagnes du Moyen Atlas, à 22 km au sud de Fès. Elle est traversée par l’Oued Aggay (signifiant en Amazigh/Berbère « joues ») qui prend le nom d’Oued Lihoudi lorsqu’il arrive au niveau du Mellah de la ville. Sefrou est réputée pour sa cascade, son saint patron Sidi Ali Bousserghine, sa fête annuelle des cerises, presque centenaire, son esprit de tolérance, son patrimoine culturel et la richesse naturelle de ses environs.

Sefrou est plus que millénaire. Moulay Driss II (791-828) y avait séjourné en 806 avant la fondation de la ville de Fès. Il vivait dans un lieu appelé Hbbouna (de l’arabe  » ils nous ont aimé  ») qui est aujourd’hui un quartier de la ville.

Sefrou est né du regroupement, pour des raisons de sécurité, des habitants qui s’étaient installés le long de l’Oued Aggay dans un quartier fortifié. Le Mellah, quartier juif, pour les mêmes raisons de sécurité, occupe une position centrale à l’intérieur des quartiers musulmans qui forment l’ancienne médina et cela montre bien que la population musulmane se souciait tellement de la sécurité de ses citoyens juifs qu’elle les a placés au centre de la ville. Dominant l’oued, se dresse le faubourg d’Al Qalâa, détaché de la ville, comme pour rappeler aux visiteurs son passé réfractaire.

Entourée de remparts percés de sept portes datant du XVIIIe siècle, Sefrou était une étape importante du commerce caravanier comme en témoignent les nombreux Fondouks (Caravansérails) de la ville. Ses zaouïas, mosquées et commerces relatent, à leur tour, son rayonnement dans la région. Sefrou a toujours été un lieu de confluence humaine (provenant de différentes régions du Maroc et d’Andalousie) et de brassage confessionnel (musulmans et juifs) et de communion ethnique (Arabes, Amazighs/Berbères, et Juifs Mizrahims).

En 1967, Sefrou, cette belle ville tranquille située dans le giron du Moyen Atlas, perdait ses derniers habitants juifs dans le sillage de la guerre des six jours au Moyen-Orient. [i] Les Juifs ont vécu à Sefrou depuis leur arrivée au Maroc en l’an 70 de notre ère, après la destruction de leur second temple de Jérusalem par les Romains. Sefrou a été pendant des siècles la capitale de la coexistence et de la tolérance marocaine. [ii] Dans les limites de la petite ville vivaient Amazighs, Arabes et Juifs en totale harmonie. Les Amazighs pratiquaient l’agriculture et l’élevage, les Arabes l’agriculture et le petit commerce et les Juifs les services bancaires et le commerce caravanier saharien. Ainsi, le « Juif assis » était banquier et commerçant et le « Juif ambulant« , colporteur itinérant et guide de caravane appelé « azettat« . [iii]

En 1965, l’anthropologue américain de renommée mondiale Clifford Geertz [iv] sa femme Hildred, son ami Rosen Lawrence [v]  et le photographe Paul Hyman sont venus à Sefrou pour faire des recherches sur l’économie de bazar de cette ville millénaire : une tâche très lourde étant donné la difficulté d’accéder à l’information pour trois raisons essentielles :

Premièrement, la peur injustifiée de la population de parler librement aux nsârah (chrétiens) d’une ville musulmane et de ses affaires étant donné que pour beaucoup de gens pieux ces nsârah ne viennent que pour espionner les musulmans et écrire sur eux, en termes désobligeants, pour rabaisser la religion et la civilisation islamiques. En effet, dans le sermon de la prière du vendredi de la mosquée principale de Sefrou, l’Imam Abdoulaziz T. a déclaré, dans ce temps, ce qui suit :

 » On m’a rapporté que certains nsârah (chrétiens) américains ont été vus dernièrement dans notre cité en train de parler aux gens d’un de leurs livres sur la ville. Prenez garde et ne leur parlez pas, rappelez-vous que les nsârah ne veulent que du mal aux musulmans. Nous avons été colonisés par les Français qui ont essayé de convertir nos frères amazighs au christianisme, directement ou indirectement, en leur faisant abandonner la loi de la charia pour les azref tribaux préislamiques. La preuve en est que les Américains gèrent aujourd’hui un orphelinat dans la banlieue d’Azrou où des orphelins musulmans sont élevés dans les traditions chrétiennes. Alors, évitez-les et ne leur communiquez aucune information. Rappelez-vous qu’Al-Andalous a été perdue lorsque les musulmans ont commencé à coopérer et à croire aux promesses des nsârah. Ces nsârah américains sont le fer de lance de la nouvelle vague de colonisation culturelle. Certains d’entre eux, se disant volontaires du Peace Corps, vivent parmi nous dans la Médina, s’habillent en Djellabas et mangent comme nous et travaillent insidieusement à la destruction de l’Islam. « 

À l’époque, il n’y avait pas de menace potentielle de l’islam politique, mais la situation politique au Moyen-Orient était dangereuse et elle est devenue explosive après la défaite arabe dans la guerre des six jours de 1967 et cela a eu des répercussions dans tout le monde musulman et les Américains, en raison de leur soutien indéfectible à Israël, n’étaient pas les bienvenus, bien qu’en quelque sorte ce n’était pas vrai au Maroc, mais il y avait toujours une résistance à parler aux Américains sur les questions sociales ou religieuses.

La communauté marocaine de renseignement des moqaddems a rapporté aux autorités le discours de l’Imam qui a été copié par d’autres Imams et le Ministère de l’Intérieur alarmé par ce sermon de haine, dans une ville connue pour sa tolérance proverbiale, a retiré l’Imam du service religieux et l’a remplacé par un autre et a instruit mon père, qui était avant cela un Caid à Bhalil, un village, à quelques kilomètres de Sefrou, de « protéger » indirectement et secrètement les anthropologues américains de toute menace future verbale ou physique.

Deuxièmement, les Marocains craignent généralement les personnes qui posent des questions, notamment sur leurs revenus et leur statut économique. Dans leur esprit, ces personnes sont envoyées par le Ministère des Finances pour collecter des informations sur eux afin de les taxer injustement et ainsi menacer leurs moyens de subsistance, cela leur rappelle l’infâme taxe agricole tertib [vi] du Protectorat français. Le ministère fait appel à des étrangers parce qu’ils sont experts dans la collecte d’informations sur les individus, notamment sur leurs revenus, par le biais de questions indirectes qui concernent les croyances, la culture et le mode de vie.

Troisièmement, les étrangers collectent des informations sur les musulmans pour se moquer de leur mode de vie et montrer au monde leur arriération. La plupart des livres écrits sur les musulmans marocains dépeignent leur culture de manière injurieuse, dévalorisante et blessante.

Mon père a invité les anthropologues américains Geertz mari et femme et Rosen chez nous un vendredi pour un couscous amazigh/berbère et ce fut ma première rencontre avec eux à l’âge de 14 ans, je parlais français mais pas anglais. Ils ont apporté du chocolat, des biscuits et des bonbons et étaient tout sourire en arrivant chez nous. Contrairement aux Français, ils étaient conscients de l’étiquette sociale et ont enlevé leurs chaussures, par respect pour les tapis minutieusement tissés par ma mère. J’ai couru à la cuisine et lui ai dit qu’ils montraient beaucoup de respect et d’admiration pour son travail artistique et que, pour cette raison, je les tenais en haute estime. Lorsque le couscous a été servi, ils ont prononcé  » bismillah  » à la satisfaction de mon père et des deux autres invités marocains. Pendant la cérémonie du thé, Clifford a parlé de son expérience dans d’autres pays musulmans, principalement en Indonésie, avec beaucoup de plaisir et de respect. Mon père, subjugué par cette conversation, hocha la tête en signe d’appréciation de ses paroles et dit à l’autre invité marocain en amazigh :  » Cet homme est un bon musulman dans l’âme, nous devons l’aider dans son travail « . Il n’a pas donné de traduction mais je crois que Clifford a compris à son sourire et a acquiescé. Hildred, silencieuse pendant tout le déjeuner a siroté le thé avec beaucoup de bruit pour exprimer sa satisfaction et a ainsi déclenché les rires de tous.

À la suite de cette rencontre, j’ai décidé d’apprendre plus tard l’anglais pour parler à ces gens dans leur propre langue, pour ressentir leurs sentiments et les comprendre et peut-être faire leur travail. En l’an 2000, 34 ans après ma première rencontre avec ces anthropologues, le conseil local de la ville de Sefrou a organisé une conférence en l’honneur de Geertz et de son équipe, à laquelle j’ai été invité et j’ai rencontré à nouveau Clifford Geertz et Rosen Lawrence, mais, cette fois, je leur ai parlé en anglais et mon rêve s’est enfin réalisé.

L’opus  » Meaning and Order in Moroccan Society  » [vii] fournit les éléments d’analyse des tendances perturbatrices et des contradictions que la modernité a introduite dans la société marocaine. Les problèmes de la construction de la nation et de la fondation d’un nouveau lien social sont intacts, mais force est de constater que ces travaux n’ont pas été suffisamment exploités pour les dépasser et ouvrir d’autres perspectives.

Médina de Sefrou
Médina de Sefrou

Bourdieu [viii]  autant que Geertz, contrairement à Gellner et Berque, [ix]  ont déçu les étudiants des années 1960 et 1970 parce que leurs travaux ne s’ouvraient pas sur le monde enchanté de la révolution pour le peuple et par l’État du peuple. Non pas que Gellner et Berque aient, à l’inverse, incité à la révolution, mais leurs travaux ont suscité un optimisme qui a conforté les élites. Le premier était confiant dans la construction de l’Etat maghrébin sur la base de critères d’identité culturelle libérés par la salafiyyah de l’archaïsme du maraboutisme ; le second professait que l’indépendance des Etats du Maghreb permettrait enfin à ces peuples de « re-naturaliser leur culture et de re-culturer leur nature« .

Gellner [x] et Geertz au Maroc, c’est le choc des méthodologies en sciences sociales, c’est le choix entre l’analyse du Tout par l’Un et du Tout par le Tout. Redécouvrant la segmentarité au Maghreb, Gellner en a fait le régulateur d’un modèle fonctionnel dont les éléments constitutifs sont fournis par Ibn Khaldoun, Hobbes, Hume, Montagne et Evans-Pritchard. Il dessine ainsi un modèle théorique pur et parfait où les éléments constitutifs s’articulent harmonieusement : sainteté, groupes tribaux, conflit, paix sociale, islam rural, islam urbain, oulémas, etc. Le seul problème est que ni l’analyse historique ni les études de terrain ne confirment la pureté du modèle. [xi]

Par exemple, il y a des oulémas éduqués dans le monde rural et il y a aussi des marabouts dans les villes. Toutes les villes du Maghreb ont un saint patron qui les protège selon la croyance populaire. Marrakech, la ville bénie de tous les temps, en a sept et ses habitants pensent que c’est pour cela qu’elle est aujourd’hui une destination mondialement connue.

L’approche durkheimienne explicative est présente au Maghreb à travers les travaux d’Ernest Gellner qui est en tout point l’anti-Geertz. Ils n’ont qu’une chose en commun : le Maroc. Leurs divergences théoriques renvoient à celles qui opposent les méthodologies respectives de Durkheim et de Weber. Ils se sont presque ignorés, se dispensant de tout commentaire public, à quelques exceptions près. [xii]

La description du souk de Sefrou (comme celle du combat de coqs à Bali) sont des morceaux d’anthologie qui marquent un tournant dans la discipline par la richesse de l’approche méthodologique. L’analyse du souk de Sefrou est si fine et si détaillée – à travers les suwwaq (les habitués du souk) et aussi à travers la richesse du langage aidée par la polysémie des mots (sidq, haq, sah…) – que le lecteur se demande quel est l’objet étudié par Geertz, le souk ou la société marocaine.

Représentant de l’anthropologie symbolique, Geertz est l’auteur qui a fait honneur à la discipline de Max Weber, dominée jusqu’alors par l’anthropologie sociale de Durkheim, qui privilégie la description explicative au détriment de l’analyse compréhensive. L’individu, exprimant des valeurs qui ont un sens pour lui et à qui il les communique, n’est pas enfermé dans un groupe lignager qui lui dicte sa conduite. Il est relié à différents groupes identitaires par la nisba, mécanisme d’identification sociale participant à l’expression de sa volonté et de sa personnalité.

La définition que Geertz donne de la culture comme comparable à une toile d’araignée, et en suivant son analyse comme ne relevant pas d’une science expérimentale en quête de loi mais d’une science interprétative en quête de sens [xiii] – tout un programme – qui est construit sur la base de son travail de terrain au Maroc et en Indonésie [xiv] où la signification politique et sociale de l’islam n’est pas la même. Ce constat à lui seul ébranle les approches orientalistes d’un islam dogmatique diffusant des normes culturelles à des groupes sociaux supposés passifs.

Rencontre avec Carleton S. Coon

L’histoire de Carleton S. Coon [xv] dans le Rif était connue dans toute la tribu des Gzennaya, au point qu’elle est devenue une fable rifaine. Il s’agissait de l’histoire épique d’un jeune Américain blond d’origine cornouaillaise qui avait osé affronter les rudes éléments de la fin de la guerre du Rif (1921-1926) pour s’aventurer audacieusement dans cette région [xvi] attirée par les exploits de Ben Abdelkrim al-Khattabi, largement couverts par la presse américaine, avec beaucoup d’euphorie et d’expression d’appréciation. Ben Abdelkrim était un homme tribal qui a défié et vaincu une puissance coloniale européenne avec une poignée de tribus. Pour la plupart de l’intelligentsia américaine, Ben Abdelkrim était un « homme de la tribu avec un QI élevé« .

Coon, un jeune homme entreprenant et issu de la classe moyenne supérieure de l’élite de la Nouvelle Angleterre voyait en Ben Abdelkrim un héros inspirant pour les raisons suivantes :

1-Un haut niveau d’intelligence (QI) :

2-Un noble représentant des  » Tribus blanches d’Afrique « , une expression que Coon utilisera beaucoup dans ses écrits sur la race plus tard dans sa carrière ;

3-Son sens de l’honneur, de l’insurrection et de la rébellion qui est l’un des traits du peuple Cornish (Cornouailles) dont Coon est le descendant ;

  1. Sa proverbiale « pig-headedness (taghnant) » assimilée au courage et connue chez les Rifains sous le nom de : thuri, thuri ; et

5-La notion de prise de risques des Rifains exprimée dans les deux livres de fiction (histoires locales des Rifains) que Coon a écrit :  » The Riffian  » [xvii]  et  » Flesh of the Wild Ox’’, une chronique rifaine des hautes vallées et des longs fusils. [xviii]

En effet, lorsque Coon était dans le Rif, il a raconté l’histoire d’une querelle entre deux clans de la tribu Gzennaya. Pendant le combat, deux hommes d’un clan ont repéré un guerrier du côté ennemi avec une tête oblongue (bou-shaqôr) et l’un des deux voulait savoir ce qu’il y avait à l’intérieur de son gros crâne, alors il a tiré sur lui et l’a tué et puis il a rampé jusqu’au trou du mort, coupa sa tête et l’apporta à son ami pour satisfaire leur curiosité. Par la suite, ils ont plongé leurs doigts dans son cerveau et ont goûté son contenu.

Carleton S.  Coon (1904-1981)
Carleton S. Coon (1904-1981)

Magnétiquement attiré par le Rif, Coon a fait un voyage dans la région en 1925 en direction du village de Tizi n-Dighza (connu sous le nom d’Ajdir aujourd’hui), dans le territoire du clan Iharrassen de Gzennaya. Il voyaga sur une mule accompagnée d’un guide local et d’un garde du corps. Sur un col à l’extérieur du village d’Aknoul, des guerriers de la tribu de Gzennaya l’ont arrêté, pensant qu’il s’agissait d’un espion espagnol. Alors qu’ils s’apprêtaient à l’exécuter, il récita le verset d’al-Fatiha du Coran et ils ont interprété son geste comme un symbole de paix et de bonnes intentions et une profession d’amân (bonne foi, paix et sécurité chez les Imazighen). Ils l’ont emmené à Aknoul chez mon grand-père Caid Abdeslam Aharras, initialement nommé par Ben Abdelkrim et, après la guerre du Rif, confirmé dans sa position officielle par le Protectorat français.

Mon grand-père a bien traité Coon : il l’a nourri et lui a donné des vêtements amazighs pour qu’il ait l’air autochtone. Après quelques semaines chez lui et après de longues discussions sur ce qu’il voulait faire dans la région : les deux hommes se sont mis d’accord. Coon devait retourner aux Etats-Unis pour obtenir une bourse de son université à Boston, se marier (en effet, il a épousé Mary Goodale, juste après) et revenir au Rif en 1926 avec sa femme avec l’intention d’y résider pendant plusieurs années pour mener une recherche doctorale en anthropologie physique sur les tribus du Rif. Mon grand-père accepta de le placer chez un de ses amis dans un clan de la tribu des Gzennaya, qui lui construira une maison, garantira sa sécurité et sera son guide. Ainsi, à son retour d’Amérique, mon père l’a placé chez la famille Limnbhy. Ainsi, Limnbhy est devenu son principal informateur, protecteur, guide, ami et référence locale entre 1926 et 1927. Il lui rendra visite aux Etats-Unis durant la période 1928-1929 et reviendra chez lui en 1929.

En 1928, Coon a obtenu son diplôme avec mention magna cum laude, en fait six mois avant ses camarades de classe. Sa thèse sur l’anthropologie physique des tribus du Rif a été publiée en 1931. [xix] L’ouvrage étudie les Amazighs/Berbères du Rif et couvre dans sa première partie leur histoire, leur croyance, et leurs pratiques culturelles, puis se concentre, dans sa partie principale, sur leurs propriétés physiques : forme de la tête, yeux, nez, bouche, etc.

Dans une revue savante, Melville J. Herskovit écrit sur cet ouvrage : [xx]

 » Après une section d’introduction décrivant l’habitat et donnant les traditions d’origine et un résumé de ce que l’histoire enregistrée nous dit, l’auteur discute de la culture matérielle, détaillant la manière de gagner sa vie et décrivant l’artisanat et les techniques – allant du travail du métal, du cuir et du bois à la méthode du tatouage. Un bref exposé de l’organisation sociale est suivi d’une description un peu plus complète du système politique et de la guerre, d’un examen des marchés, des bâtiments publics et des types d’instruction publique, des officiers chargés de l’application des lois et des règles d’héritage. Un chapitre consacré aux « crises » de la vie suit, et ici il faut rendre hommage au travail de Mme Coon, qui a accompagné son mari sur le terrain, et qui, on l’imagine, est responsable du matériel sur les coutumes de naissance et la vie des enfants. La description de la culture se termine par une discussion sur la religion et la magie, et les données de toute la section sont ensuite soumises à une analyse dans l’intérêt des reconstitutions historiques. « 

Sur la partie anthropologie physique, il poursuit :

 » La présentation de l’anthropologie physique est plus complète, et on sent que le Dr Coon est plus à l’aise dans cette section. Il convient de souligner le travail considérable qui a été consacré à cette étude – aux mesures et observations initiales, et au traitement statistique des données. Les mesures du corps et de la tête ont été recueillies, les indices calculés et les observations faites sur la pigmentation des cheveux, des yeux et de la peau, ainsi que sur des traits morphologiques tels que la forme et la texture des cheveux, l’épaisseur des poils du corps et du visage, la musculature et les proportions du nez, de la bouche et des oreilles. Des données pathologiques ont même été recueillies. Enfin, il y a plus de trente planches d’excellentes photographies de sujets, de face et de profil. « 

Les derniers paragraphes du livre de Carleton S. Coon résument magnifiquement son travail et lui ouvrent les portes de ses futurs travaux sur la race, pour ne pas dire, bien sûr, une sorte d’obsession scientifique qui frôla indirectement une sorte de racisme : la supériorité de la race blanche sur les autres races en raison d’une intelligence et de capacités intellectuelles quasi innées :

 » L’histoire de l’Afrique du Nord a été une succession de blanchiments culturels et raciaux par le sud et l’est. Un peuple hamitique ou saharien, appelez-le comme vous voulez, l’a balayé à une période précoce et a apporté le langage berbère, la culture du désert et un type racial brun raffiné. Les Arabes l’ont envahie, apportant l’islam et le même type de culture. Les peuples sahariens ont poursuivi leur progression vers le nord jusqu’à l’actuelle Meknès ; les Zenata en sont une branche relativement tardive. Des Noirs sont venus ou ont été amenés, élargissant les nez, assombrissant les peaux, forgeant le fer et brutalisant les sectes religieuses inférieures du peuple. Enfin, les Français et les Espagnols sont entrés, apportant la civilisation moderne qui va inévitablement remuer et fermenter les ordres raciaux et culturels, provoquant des changements, la destruction, la croissance, la rupture de l’isolement régional, et une homogénéité finale si grande que les faits curieux enregistrés dans ce volume deviendront des légendes, et s’attarderont finalement dans le grenier des souvenirs humains déformés.

En cherchant sous les couvertures berbères et arabes, sous les infiltrations négroïdes et les échaudures européennes, il est encore possible de discerner les reliques d’une époque révolue, une époque où le nord du Maroc était plus proche de l’Europe sur le plan culturel, et une époque encore plus sombre où les races d’Afrique du Nord et d’Europe étaient les mêmes. Les éléments anciens, un nordique, un brachycéphale pré-alpin précoce, et un négroïde d8usé qui a évolué vers la Méditerranée, des mélanges disharmoniques de plusieurs d’entre eux ; le fichier des anciennes races nord-africaines rappelle l’Europe de la fin du Paléolithique et du début du Néolithique, et surtout des périodes intermédiaires. Si l’on avait laissé cet amas de types précoces suivre son cours sans être dérangé, notre travail aurait été plus facile ; mais il faut maintenant disposer de squelettes nord-africains précoces pour résoudre notre problème. « 

Après ses travaux sur le Rif, Coon a voyagé dans le monde entier et a produit un certain nombre d’ouvrages [xxi] et The Origin of Races (1962) est, sans aucun doute, son opus.

En 1974, alors que j’étais étudiant au département d’anglais de la faculté des sciences humaines de l’université Mohammed V à Rabat, je donnais des cours particuliers à des volontaires américains du Corps de la Paix, pour gagner un peu d’argent. Un de mes étudiants, Danny Kolker, qui était ami avec le chef de mission adjoint de l’ambassade américaine m’a dit un jour que ce diplomate américain voulait m’inviter à dîner, il s’est avéré qu’il s’agissait de Carleton S. Coon, Jr., le fils du célèbre anthropologue, ami de mon grand-père.

Après une première rencontre, nous sommes devenus amis et je suis souvent allé chez lui pour lire les livres de son père sur le Rif, les œuvres fictives et scientifiques. Au cours de ces visites, j’ai rencontré sa fille Catherine Coon et nous sommes devenus de bons amis. Le Coon Jr. était très fier de ses  » origines  » rifaines et de la culture avec laquelle il vivait à la maison ; il se souvient que son père s’adressait à lui et à sa famille en dialecte rifain de la langue Tamazight et leur criait quand ils étaient trop bruyants : stoussem  » taisez-vous « . Avec beaucoup de fierté, il utilisait le même mot et le même ordre avec ses enfants, en ricanant.

En 1976, il a voulu se rendre dans le clan où vivait son père à Gzennaya pour reprendre contact avec la famille Limnibhy. J’en ai parlé à mon père et il accepta cette visite. Il nous a précédés à Taza et un jour d’avril, j’ai quitté Rabat avec Coon Jr., sa femme et ses deux enfants dans une voiture Chevrolet quatre roues motrices. Nous sommes arrivés à Taza vers midi, nous avons rencontré mon père, et nous avons déjeuné chez un membre de la famille et nous sommes partis pour Ajdir dans la tribu Gzennaya. Il avait beaucoup plu dans la matinée. Après vingt kilomètres de voyage, nous sommes arrivés dans un petit souk d’un village situé à la frontière linguistique du Rif amazigh et de Taza arabophone. La rivière était en crue et les voitures et camions attendaient que l’eau se retire ; Coon Jr. ne voulait pas attendre sous prétexte que sa voiture est une quatre roues motrices et qu’elle a assez de puissance pour atteindre l’autre rive en toute sécurité. Mon père était contre l’idée, mais Coon Jr. a refusé de céder et mon père a dit :  » Ok bien, fais-le mais laisse la femme et les enfants descendre et rester du côté sûr.’’ Coon Jr., têtu comme il l’était, se mit à traverser les eaux furieuses, et au milieu de la rivière, la voiture commença à dériver et à céder à la force indomptable de l’eau. Réalisant que les eaux allaient emporter la voiture et son chauffeur, mon père ordonna à quelques jeunes hommes robustes de nager jusqu’à la voiture avec des cordes attachées autour de leurs tailles, et d’attacher des câbles à la voiture et de revenir à la nage. En un rien de temps, ils ont fait ce qu’il leur avait demandé et tout le monde sur la rive a commencé à tirer sur les câbles et la voiture fut ramenée sur la terre ferme en sécurité. Coon Jr. était reconnaissant envers mon père et tous ceux qui lui ont sauvé la vie.

Les habitants du village, soulagés, ont apporté du thé et des biscuits à tout le monde, pour fêter cette réussite. Après quelques heures, les eaux se sont calmées et nous sommes partis pour Ajdir où nous sommes arrivés dans la soirée et avons passé la nuit chez mon oncle. La pluie est tombée toute la nuit férocement, le lendemain matin il y avait un beau soleil mais le sol était extrêmement boueux. Coon Jr. voulait se rendre au clan où son père vivait et travaillait, mon père était à nouveau contre l’idée car la route vers le village montagneux était impraticable. Encore une fois, Coon Jr pensait que sa voiture arriverait jusqu’au village, mais quelques minutes plus tard, la voiture était incapable de bouger, elle était complétement embourbée : et c’était la fin du rêve pour Junior.

En 1979, je préparais ma thèse de doctorat sur la culture amazighe à la School of Oriental and African Studies -SOAS- de l’Université de Londres. À la même époque, Catherine Coon, la fille de Coon Jr, vivait à Londres et nous nous rencontrions assez souvent pour dîner. Un soir, elle m’a informé que son grand-père serait ravi et honoré de me recevoir dans sa maison du Massachusetts.  J’ai accepté l’invitation, et nous nous sommes envolés pour Washington DC où nous sommes restés dans la maison de son père, puis nous avons pris l’avion pour Boston et nous nous sommes rendus en voiture à West Gloucester où son grand-père possédait une grande propriété dans la forêt au bord d’un petit lac. Coon Senior nous a accueillis à l’entrée ; il était tout sourire. Il m’a dit :  » Après t’avoir rencontré aujourd’hui, je peux mourir en paix demain. Je suis toujours reconnaissant à ton grand-père Caid Abdesslam Aharras pour tout ce qu’il a fait pour moi. Sans son soutien, ses conseils et son aide, je n’aurais jamais pu entreprendre mon travail avec succès « .

Il me fit visiter son domaine : il avait deux grandes maisons, l’une près du lac, appelée : thaddath n-wadday, ‘’la maison d’en bas’’ où il gardait sa grande bibliothèque et thaddath n-sennej ‘’la maison d’en haut’’ où il vivait. Il m’a parlé toute la soirée en Rifain et a partagé avec moi des dizaines d’histoires et d’aventures de la période quand il vivait dans le Rif. En 1981, Carleton S. Coon s’est éteint et avec lui s’en est allée, pour toujours, une ère de travail acharné, de recherche sur le terrain et beaucoup d’aventures.

Du 8 au 16 novembre 1942 a eu lieu l’opération Torch, [xxii] une invasion anglo-américaine de l’Afrique du Nord, afin de soulager la pression sur les Soviétiques sur le front oriental, enrayer l’avancée de l’Afrika Corps de Rommel dans l’est de l’Afrique du Nord et recueillir des informations sur les forces nazies en Europe en vue du débarquement du D-Day. Coon, qui coopérait activement avec les services de renseignements américains depuis un certain temps, a été envoyé au Maroc pour ‘’écouter’’ les échanges en les forces allemandes et rédiger des notes sur leurs effectifs et leurs mouvements. Coon et d’autres espions américains et européens étaient logés dans la Légation américaine située dans la médina de Tanger et utilisèrent la salle secrète (Secret Room) au dernier étage pour mener à bien leur travail d’espionnage.

En référence à cette période, Coon m’avait dit lorsque je lui ai rendu visite qu’il s’est senti dynamisé par son travail d’espionnage pour deux raisons. Premièrement, il rendait un grand service à son pays qui est le leader de la démocratie dans le monde. Deuxièmement, il était un admirateur des romans d’espionnage et de leurs héros, un genre de littérature qu’il trouve « romantique » et assez rocambolesque.

À la suite de cet épisode intéressant de sa vie, Coon a écrit en 1980 un livre intitulé : A North Africa Story : Story of an Anthropologist as OSS Agent. [xxiii] Cet ouvrage a été présenté par Gaddis Smith dans Foreign Affairs dans les termes suivants : [xxiv]

 » Carleton Coon, l’anthropologue de Harvard, était un homme de cape et d’épée de l’OSS en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale. Immédiatement après les événements, il a dicté ses souvenirs, ici imprimés. Le matériel est rude, parfois confus, et pourtant intéressant comme image du caractère romantique et non conventionnel de l’OSS. « 

Rencontre avec David Hart

Après ma rencontre avec Carleton S. Coon dans son  » American Rifi estate  » dhamorth narif dhi mirikan comme il l’appelait, avec beaucoup de plaisir, il a écrit une lettre à son disciple David Hart dans les termes suivants :

 » Ma dernière rencontre avec un rifain fut avec mon cher ami, guide et informateur Limnibhy en 1928 ici aux USA, après quoi il est rentré chez lui pour mourir et depuis j’ai rencontré plusieurs marocains dont aucun n’était intéressant pour mon amour éternel pour le Rif. Récemment, mon fils Coon Jr. en poste à l’ambassade de Rabat, au Maroc, a fait la connaissance d’un rifain de Gzennaya et il s’est avéré, à ma grande joie, qu’il était le fils du Caid Abdeslam Aharras qui m’avait initialement aidé à m’installer dans une famille à Gzennaya et m’avait offert la protection dont j’avais tant besoin. Son petit-fils Mohamed Chtatou m’a rendu visite récemment à West Gloucester avec ma petite-fille, ma chère Catherine, et nous avons eu des discussions intellectuelles très agréables. Il prépare un doctorat à l’université de Londres sur la langue et la culture amazighes. Je vous conseille vivement de le rencontrer et je suis sûr qu’il vous sera d’une grande aide dans votre travail sur le Rif et les Ait Atta du sud du Maroc. « 

Ainsi au début de 1979, j’ai été contacté, par l’intermédiaire de mon département d’études berbères à l’École d’études orientales et africaines -SOAS-, par George Joffé, qui se trouvait être un professeur au sein de mon école et un ami proche de David Hart. Lorsque nous nous sommes rencontrés, il m’a dit que David Hart voulait faire ma connaissance lors de sa prochaine visite en Angleterre. Deux mois plus tard, Hart est venu avec sa femme et nous avons dîné chez George Joffé. Il était jovial, amical et bruyant. Il avait une personnalité merveilleuse et un rire incroyable qui résonnait dans toute la maison. Quelques mois plus tard, George Joffé m’a proposé de l’aider dans l’édition de plusieurs de ses livres de Hart que sa société d’édition MENAS PRESS (Middle East and North Africa Studies) s’apprêtait à publier, dont le principal ouvrage était : Dadda ‘Atta and his forty grandsons : The socio-political organisation of the Ait ‘Atta of Southern Morocco. [xxv]

David M. Hart (1927-2001)
David M. Hart (1927-2001)

Depuis lors, David Hart et moi nous sommes restés en contact par correspondance, et on se voyaient lors de conférences et de réunions au Maroc. Lors d’une de ses visites à Rabat, je l’ai invité pour un couscous chez moi et lui ai présenté le jeune aspirant anthropologue rifain et activiste amazigh Rachid Raha. Rachid et lui sont devenus de bons amis, ils avaient en commun l’amour de l’anthropologie, la connaissance de la langue espagnole et la résidence en Espagne. En 2000, Rachid Raha a organisé une conférence à Alhoceima en l’honneur de David Hart qui a été un énorme succès et ce fut la dernière visite de ce dernier au Maroc. Le 22 mai 2001, Hart est décédé à Garrucha, en Espagne.

Même avec son teint et sa carrure de Nord-Américain, David Montgomery Hart reste un rifain inné dans son rire saccadé, ses gestes généreux et son sens du devoir. C’est un homme aussi courageux et téméraire, et parfois aussi fou que la majorité des Rifains avec lesquels il a vécus, qu’il a étudiés et qu’il a aimés.

Il reste une légende vivante dans cette terre rebelle et oubliée des dieux, surtout depuis son opus de toujours : The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif. [xxvi] Cet ouvrage, publié en anglais aux Etats-Unis en 1976, [xxvii] a été brillamment traduit en arabe par un groupe de traducteurs professionnels rifains, animés par le sentiment grandiose du nationalisme remontant à l’époque de Ben Abdelkrim. [xxviii]

J’espère sincèrement que cet ouvrage, scientifiquement rigoureux dans les contextes anthropologique et ethnographique, et méticuleux dans ses récits culturels et historiques, ouvrira la porte grande aux arabophones pour qu’ils puissent en savoir plus sur l’anthropologie amazighe sous un angle scientifique américain et s’intéresser à la conduite d’études dans ce domaine de recherche riche et prometteur.

David Hart, nous a quitté le 22 mai 2001 à l’âge de 74 ans dans la localité andalouse de Garrucha près d’Almeria, où il vivait pour être proche du Rif, et qui est située de l’autre côté de la Méditerranée. Il habitait là afin de mieux  » sentir le parfum atypique et attachant de son romarin rifain « , comme il disait toujours en expression de son admiration pour le Rif, avec un rire enfantin et très sincère.

De son vivant, David Hart était un passionné des peuples amazighs et de leurs cultures et lors de son long séjour parmi les fiers guerriers de la mythique tribu de Ben Abdelkrim : Aith Waryaghar. Il aimait se rendre au souk de l’Arba’ n-Ait Wrir vêtu d’une Djellaba Rifaine et monté sur un âne. Les gens, en le voyant, disaient toujours affectueusement en Tarifit : aqach arifi u marikân yousid gha suq nhâra khou ghyouriness,  » Voici le Rifain d’Amérique qui vient aujourd’hui au souk sur son âne « . En son temps, David Hart était une légende vivante, connue et appréciée par tous les Rifains, même ceux qui ne l’ont jamais rencontré en personne.

Il était connu pour son rire, sa générosité et le fait qu’il était congénitalement maladroit. George Joffé a été heureux de répéter l’histoire que David lui-même lui a racontée, en personne, à propos de son fameux accident d’âne. Apparemment, Hart serait un jour tombé par terre et se serait cassé une jambe alors que l’âne était stationnaire.

David Hart était un écrivain abondant. Il a publié des dizaines d’ouvrages savants sur les Amazighs et a même esquissé un travail comparatif sur les Rifains et les Pachtounes du Pakistan, une sorte de comparaison, [xxix] avec le grand anthropologue pakistanais Akbar Ahmad et a écrit, également, sur les systèmes tribaux du Moyen-Orient. [xxx]

Après avoir achevé son ouvrage monumental sur le Rif, David Hart s’est intéressé aux Amazighs du Sud, entre autres à la grande tribu des Ait Atta, située dans le sud-est du Maroc et dont les chefs imghâren, des différents clans, descendent apparemment d’un même ancêtre connu sous le nom de Dadda Atta, qui a bien sûr donné son nom à la tribu. Hart s’est intéressé à l’histoire et à l’ethnographie de cette importante tribu [xxxi] qu’il a disséquée avec amour et passion, comme il a l’habitude de le faire dans la plupart de ses recherches académiques.

Pour Sarah Barringer Gordon, professeur de droit et d’histoire à l’Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis, qui a écrit un article en hommage à ce grand anthropologue américain, vantant ses grandes qualités de chercheur, Hart était un chercheur traditionnel ; il partageait la vie des gens qu’il étudiait : leur quotidien, leurs passions et leurs soucis.  Il était, sans aucun doute, un anthropologue de la vieille école. Il se fiait beaucoup à sa vue et à son ouïe pour saisir les moindres détails de la société qu’il étudiait avec grand intérêt. Le lecteur sent les parfums naturels du village et entend ses différents sons et bruits : [xxxii]

 » David Hart était un anthropologue de la vieille école, vivant la vie quotidienne des peuples qu’il étudiait et s’appuyant sur des observations de terrain et des entretiens exhaustifs pour parvenir à ses conclusions. Un autre anthropologue et érudit islamique de renom, Akbar S. Ahmed, a écrit : « L’anthropologie de Hart reflète l’ancienne tradition, lorsque l’anthropologue se fiait à ses oreilles et à ses yeux pour ses notes – le lecteur sentait le village et entendait ses bruits – et que l’anthropologie était encore une description générale et exhaustive d’une société entière. C’est une perspective qui est en train de mourir, et la discipline sera la plus pauvre pour sa disparition ». Grâce à ses nombreuses années de vie parmi les Berbères ruraux, Hart était éminemment qualifié pour décrire la société, la culture et l’histoire de ces peuples. L’anthropologue américain le plus éminent, Clifford Geertz, de l’Institute for Advanced Study de Princeton, a déclaré que la dévotion de Hart pour son sujet était une source d’inspiration pour les autres anthropologues : « chaque cohorte qui travaille au Maroc a son image romantique de l’endroit… dans mon image, David Hart, l’ethnographe exalté, est au centre ». Hart a également effectué des travaux de terrain au Pakistan et des recherches archivistiques dans plusieurs pays européens. Il parlait couramment deux langues berbères, ainsi que l’arabe, l’allemand, le français et l’espagnol. »

Il est intéressant de mentionner que sa femme, qui a été contrainte de séjourner plusieurs fois avec des femmes amazighes, dans leur monde privé et secret, tradition oblige, a décrit cette expérience exclusive dans un ouvrage très intéressant. [xxxiii]

Ouvrage de Hart sur les Aith Waryaghar traduit en Arabe par des Rifains
Ouvrage de Hart sur les Aith Waryaghar traduit en Arabe par des Rifains

Hart a beaucoup appris de son professeur et maître à penser, au sens soufi du terme, Carleton S. Coon. De 1935 à 1938, Coon, professeur à Harvard, fut le maître et l’inspirateur d’un brillant étudiant nommé David Hart qui dévora férocement tous ses travaux en anthropologie et le força ainsi à devenir son futur gourou en sciences sociales. Après avoir terminé ses études, David, sur les conseils de son professeur et maître, décida d’étudier une autre grande tribu du Rif : les Aith Waryaghar. Il utilisa la même recette scientifique que son maître : vivre avec les autochtones pour étudier leur culture et leur mode de vie. Le résultat final fut un livre colossal et un succès scientifique, comme ce fut le cas pour Coon auparavant.

L’ouvrage monumental de David Hart sur le Rif : The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif : An Ethnography and History (1977), est un ouvrage encyclopédique sur la grande et mythique tribu des Aith Waryaghar. Il comprend les principales sections suivantes :

Introduction : la tribu au Maroc

L’auteur a défini la tribu dans les contextes général et marocain du terme, puis il s’est attaché à étudier les bases de la sociologie marocaine tout en mettant en lumière la segmentation dans le contexte tribal. Ensuite, il s’est intéressé à la tribu marocaine pendant la phase de protectorat et la période d’indépendance et, ensuite, il a étudié les concepts de la tribu et celui de la nation.

La terre et l’agriculture

Dans cette section, Hart parle de démographie, de géographie et de topographie sans oublier la faune et la flore, puis il traite de l’agriculture, de l’architecture, de l’habillement, de la nourriture, des ustensiles et du mobilier. De là, il poursuit en étudiant la division du travail par sexe, le cycle agricole annuel et les relations contractuelles dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage. Il aborde ensuite les activités annexes telles que la chasse et la pêche et enfin les spécialisations économiques.

Marchés et migrations

Il commence cette section en étudiant les souks tribaux et leurs diverses activités économiques et les différentes professions exercées par les musulmans et les juifs, qui ont disparu depuis, puis il évoque les souks féminins, qui n’existent que dans cette partie du Maroc. Ensuite, il étudie les phénomènes migratoires pré et postindépendance vers l’Algérie (ashâreq) et l’Europe (zwa amân).

La terre, la tenure, la succession et l’irrigation

Dans cette section, l’auteur examine de près l’importance de la terre dhamôth dans la conscience des Rifains, ainsi que le système de succession et d’héritage, et les droits d’utilisation de l’eau de la terre pour l’irrigation des champs agricoles.

Les rituels périodiques : le cycle de la vie

Le cycle de vie des Rifains s’articule autour de la naissance, du baptême, de la circoncision, du sevrage, de la garde des enfants et de la séparation des sexes. L’ouvrage met en lumière la stricte ségrégation des sexes et l’attitude envers le sexe en général. Ensuite, il examine la dot, la célébration du mariage et tous les rituels qui l’accompagnent, le divorce, le veuvage, le remariage, la mort et l’enterrement.

Croyances populaires, chants et musique

Comme partout au Maroc, la croyance en la sorcellerie et la magie (shour) est très répandue parmi la population, ainsi que son utilisation comme forme de médecine et/ou moyen de protection contre le mal (jnoun), et autres. Le chercheur s’est également intéressé aux légendes locales et aux contes de fées, sans oublier la littérature orale dans ses différentes variantes : proverbes, axiomes, dictons, devinettes ; puis il a étudié les chants typiquement rifains connus sous le nom de ralla bouya ainsi que la poésie chantée (izrân), la musique et l’art de la danse.

L’Islam chez les Aith Waryaghar

Hart a diligemment enquêté sur l’importance de l’Islam dans cette tribu ainsi que sur les concepts de piété, de dévotion et d’orthodoxie, puis son intérêt s’est porté sur l’importance des mosquées et de l’éducation coranique, d’une part, et sur la croyance aux saints et les rites de leur vénération ainsi que les multiples ordres religieux qui en découlent, d’autre part.

Le système de parenté

Cette section traite du système de parenté présent dans la région, ainsi que de la terminologie utilisée par la population pour en parler, puis l’intérêt de l’anthropologue se tourne vers l’analyse du système dans le contexte tribal et son importance dans la continuité.

Le Rif
Le Rif

Modèles de mariage, de famille et de ménage

Cette section se concentre sur les différentes variations du modèle de mariage, le rôle de la femme ainsi que les modèles de mariages supplémentaires et de mariages de membres de la même lignée, les filiations complémentaires, les typologies de ménages ainsi que le sujet de la descendance et de la résidence.

Segmentarité et systèmes territoriaux : tribu, khams, clan, sous-clan, lignage et communauté locale

Hart s’est intéressé aux lignages locaux et étrangers et à leur tradition tribale ainsi qu’à la tribu en tant qu’entité sociale et politique, puis au système segmentaire et au facteur onomastique : dominance et récession des noms de segments. L’intérêt du chercheur s’est porté ensuite sur le système des khams khmâs, ainsi que sur les sous-entités tribales telles que le clan et le sous-clan et la communauté locale.

Les systèmes politiques et juridiques

Dans cette section, l’anthropologue a étudié la stratification sociale et le droit dans ses aspects coutumiers (azref) ou autres et son efficacité et sa dissuasion pour mettre fin aux fréquents crimes de sang et aux conflits tribaux. [xxxiv] Il a jeté également la lumière sur l’arsenal juridique des amendes, telles que celles appliquées aux tribus ou à la fréquentation du marché hebdomadaire, ainsi que sur les systèmes de protection, les pactes tribaux et les serments collectifs utilisés par les Amazighs.

Alliances et vendettas en tant qu’institutions politiques

Le chercheur s’est concentré dans cette section sur le système rifain du leff, ou alliance conjoncturelle de nature politique et militaire et, également, sur les vendettas, très fréquentes pendant la période de la Rifublik [xxxv] avant la guerre du Rif, entre les tribus de la région.

Linguistique et origines avant 1898

Hart a étudié les langues amazighes et le dialecte rifain, sans oublier la question pertinente et centrale de l’origine des Imazighen. Il aborde également l’arrivée de l’Islam dans le Rif et l’histoire du royaume de la vallée du Nekkour (ⵜⴰⴳⵍⴷⵉⵜ ⵏ ⵏⴽⴽⵓⵔ Tageldit n-Nekkor) [xxxvi] et a traité brièvement des dynasties amazighes des Almoravides, des Almohades, des Mérinides et des Wattassides et a conclu avec la dynastie arabe actuelle des Alaouites.

La politique au sens large et l’ère du « Rifublik » (1898-1921)

Les recherches de cette section ont porté sur la piraterie des Ibouqouyen et la répression de leurs actes par le Makhzen (1890-1898), ainsi que sur les traits saillants internes et externes de la « Rifublik » et l’intermède de la révolte de Bou Hmara contre le pouvoir central.

La guerre du Rif 1921-1926

Hart s’est intéressé de près à cette guerre qui a secoué l’Europe coloniale et attiré la sympathie du monde libre et démocratique sur Ben Abdelkrim et sa république éphémère. Le chercheur a brossé un tableau optimiste des réformes politiques et sociales de Ben Abdelkrim et de ses victoires sur l’Espagne, puis il évoque la République du Rif et ses différentes structures politiques et militaires ainsi que la fin de la guerre et la capitulation du héros rifain connu sous le nom de Moulay Mohand auprès de la population. [xxxvii]

Le Protectorat français (1912-1956) et l’indépendance

Le chercheur a étudié les différentes étapes du régime colonial français et ses vicissitudes ainsi que l’émergence de l’Armée de libération et le rôle primordial de la tribu de Gzennaya dans la guerre d’indépendance. Il a ensuite abordé la montée du parti de l’Istiqlal et son programme panarabe, puis le soulèvement des Aith Waryaghar (1956-1959) contre ce parti et le Makhzen. [xxxviii]

L’individu Ait Waryaghal et son histoire

En guise de conclusion, l’anthropologue met en lumière l’image extérieure de cette tribu, sa conception interne de la démocratie et les vents du changement social ainsi que les perspectives d’avenir.

Cet ouvrage encyclopédique sur les Aith Waryaghar, en particulier, et le Rif, en général, outre les informations scientifiques qu’il offre au chercheur et au lecteur, comporte des cartes, des illustrations, des tableaux et une multitude de photos qui en font un ouvrage inégalé dans les annales de l’anthropologie moderne sur le Maroc.

L’ouvrage monumental de Hart sur le Rif a été salué comme un formidable apport scientifique à l’anthropologie, et ce à juste titre, par de nombreux chercheurs et spécialistes en anthropologie et en ethnographie, y compris ceux qui sont contre l’approche segmentaire. [xxxix]

L’opus de Carleton Coon sur les Gzennaya et celui de Hart sur les Aith Waryaghar n’ont jamais été traduit en français car, en quelque sorte, la tradition anthropologique et ethnographique semble être beaucoup plus forte chez les Anglo-Saxons que chez les Français et les francophones.

De plus, il existe un fort niveau de critique de ces recherches parmi les scientifiques français et francophones. En effet, les travaux sur la segmentarité, en général, ont soulevé beaucoup de critiques, à juste titre, sur la portée humaine et scientifique de cette approche, qui est presque abandonnée aujourd’hui.

Paul Pascon, sociologue marocain d’origine française, formule une critique frontale de la segmentarité : [xl]

 » Quelle que soit l’universalité de la notion de segmentarité – en effet on peut toujours diviser un groupe humain et celui-ci trouve toujours à s’organiser d’une certaine manière pour assurer les principales fonctions de survie – il y a des limites inférieures et supérieures indépassables. On ne peut pas fractionner, ou voir se fractionner indéfiniment une société : il y a des cellules étymologiquement atomiques et telles que leur partage empêcherait une existence viable. Il y a des ensembles ou des sociétés humaines telles que le pouvoir politique ne peut y demeurer diffus sans créer de graves conditions d’anomie. Or l’anomie même est une preuve par l’absurde, un état transitoire supposé de l’absence d’organisation, une situation fictive. « 

De nombreux autres chercheurs ont, en effet, exprimé leur rejet de cette approche sur deux fronts distincts : le front empirique représenté par les travaux de l’anthropologue marocain Hammoudi [xli] sur les thèses de Gellner et indirectement, bien sûr, par ricochet, sur les travaux d’un des gourous de la segmentarité, Evans Richard [xlii] et l’aspect logique soutenu, bien sûr, par Paul Pascon lui-même, dont l’approche a un parfum marxiste, en quelque sorte.

Mais bien que Paul Pascon critique l’approche anthropologique segmentaire, il est conscient de l’existence de relations segmentaires dans la société marocaine qui continueront à exister malgré l’hégémonie du système capitaliste dans le Maroc d’aujourd’hui : [xliii]

 » Au Maroc, si on peut montrer la disparition probablement irréversible de certains rapports sociaux forts anciens (esclavage, corvée…), si on peut se demander encore si la domination du mode de production capitaliste est en passe de devenir hégémonique, on ne peut pas parler de liquidation de l’ordre segmentaire. Celui-ci reste latent et ressurgit parfois violemment sur le devant de la scène au moment où on l’attend le moins – l’épreuve électorale est un test remarquable de ce point de vue. « 

Carte linguistique du Rif
Carte linguistique du Rif

Conclusion

Toutes mes rencontres avec des anthropologues aussi éminents que Clifford Geertz, Hildred Geertz, Rosen Lawrence, Carleton Coon et David Hart n’ont pas été faites à dessein mais surtout par destin. C’est probablement l’une de ces choses où l’on se trouve au bon endroit au bon moment, si je puisse dire.

Ces rencontres ont changé ma vie pour toujours. En vieillissant et en mûrissant, lire leurs œuvres encore et encore est devenu presque une obsession car je découvre les subtilités de ma culture d’origine, surtout dans un environnement politique marocain ridiculement pan-arabiste de 1956 à 1985. Durant cette période, la seule référence aux Amazighs dans les programmes scolaires officiels était :  » al barâbera hom sukân al-maghreb al-awalûn  » (les Berbères sont la population autochtone du Maroc.) et la seule célébration officielle de la riche culture amazighe était dans le cadre du Festival des Arts Populaires de Marrakech, une sorte de carte postale pour attirer les touristes étrangers dans cette ville mythique.

Honnêtement, ces rencontres m’ont fait jeter un regard différent sur ma culture amazighe, en particulier et la culture marocaine, en général et sur le concept fort de tamaghrabit. C’était une sorte de retour aux sources qui m’a poussé à étudier et écrire sur ces cultures depuis avec beaucoup de véhémence et de respect et m’a fait croire que je suis, avant tout, amazigh et fier de l’être, en dépit de l’adversité.

Hélas, la plupart de ces œuvres monumentales n’ont pas été traduites en amazigh, en arabe ou en français, les langues de travail du Maroc, à l’exception de l’œuvre de Hart traduite en arabe par une association de Marocains de Hollande. Par ailleurs, les universités marocaines ne proposent, malheureusement, aucun diplôme en anthropologie, ce qui fait que les quelques travaux réalisés sur ce sujet ont été entrepris par quelques marocains influencés par la tradition anglo-saxonne en la matière lors de leurs études en Angleterre, en Allemagne ou aux USA.

La culture amazighe du Maroc, riche sur le plan sociologique, ethnographique et anthropologique, reste un monde sublime à explorer par les Marocains en premier lieu. Verra-t-on un jour un intérêt politique et académique pour cela, that is the question ?

Notes de fin de texte :

[i] Chtatou, M. ‘’Emigration of Moroccan Jews to Israel in the 20th Century’’, Eurasia Review, 5 mars 2018.

https://www.eurasiareview.com/05032018-emigration-of-jews-of-morocco-to-israel-in-20th-century-analysis/

[ii] Chtatou, Mohamed. ‘’ Sefrou, havre marocain de paix, de tolérance et de coexistence’’, Le Monde Amazigh, 31 mars 2020. https://amadalamazigh.press.ma/fr/sefrou-havre-marocain-de-paix-de-tolerance-et-de-coexistence/

[iii] Azettat trouve son origine dans le terme amazigh aztta qui veut dire ‘’étoffe’’. Au Maroc, chaque tribu amazighe avait son propre tapis dans lequel figurait ses couleurs et motifs qui servent d’emblème et d’identité visuelle. Le guide des caravanes qui faisaient le commerce avec l’Afrique noire étaient tous des juifs choisis pour leur droiture et sens de la responsabilité, on les appelait les azettats. Le guide en entrant le territoire d’une tribu amazighe donné, il exhibait sur un long bâton l’étoffe aztta de la tribu pour demander l’amân (paix et sécurité) en contrepartie d’une somme d’argent. De nos jours le terme zattat existe dans l’Arabe marocain pour dire : ’’se débrouiller dans une situation quitte à payer une somme d’argent’’.

Cf. Chtatou, Mohamed. ‘’Le tapis amazigh: identité, création, art et histoire’’, Le Monde Amazigh, 18 juin 2020. https://amadalamazigh.press.ma/fr/le-tapis-amazigh-identite-creation-art-et-histoire/

[iv]  Geertz, C. Islam Observed: Religious Development in Morocco and Indonesia. Chicago: University of Chicago Press, 1968.

[v] Rosen, L. Bargaining for Reality: The Construction of Social Relations in a Muslim Community. Chicago: University of Chicago Press, 1984.

[vi] Lebel, Roland. L’impôt agricole au Maroc : le tertib. Thèse complémentaire pour le Doctorat ès-lettres, Faculté des Lettres de l’Université de Paris. Paris : Emile Larose, 1925. https://excerpts.numilog.com/books/9782307445395.pdf

[vii] Geertz, C; Geertz, H. & Rosen, L. Meaning and Order in Moroccan Society: three essays in cultural analysis. Cambridge: Cambridge University Press, 1979.

[viii] Bourdieu, P. Travail et travailleurs en Algérie. Paris, La Haye : Mouton & Co, 1964.

[ix] Berque, J. Structures sociales du Haut-Atlas. Paris : PUF, 1955.

Les six années passées par Jacques Berque dans le Haut Atlas ont coïncidé avec la fin d’une époque.

Remettant en cause à bien des égards l’apport de l’ethnographie coloniale, son étude retrouvait spontanément sur le terrain certains des thèmes qui annonçaient, alors, un renouveau des sciences sociales en France. Attaché au pays, il contestait l’isolement supposé des populations qu’il étudiait. Il tentait de réintégrer un peuple millénaire dans le dynamisme de l’Islam méditerranéen. L’histoire lui semblait seule capable d’alimenter le système en matière et en mouvement. Un quart de siècle après un séjour qui a tant compté dans sa vie, Jacques Berque a demandé à un sociologue marocain, Paul Pascon, de relire le livre sur place et de rendre compte des évolutions de cette société depuis l’indépendance. Lui-même, à la lumière d’une expérience plus large, inscrit sa propre contribution dans de nouvelles perspectives.

[x] Gellner, E. Saints of the Atlas. Chicago: University of Chicago Press, 1969.

Une discussion sur l’organisation sociale et politique des tribus berbères au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

« [Ernest Gellner] a commencé l’association avec le Maroc et les Berbères du Haut Atlas central qui a abouti aux Saints de l’Atlas. C’était une étude de la façon dont les hommes saints maintenaient une paix fragile et brisée parmi les bergers qui se déplaçaient chaque printemps des plaines. de l’Anti-Atlas dans les hauts pâturages, et retour chaque automne : une centaine de milliers de personnes, un million environ de moutons traversant deux fois par an les goulots d’étranglement des cols… C’était l’occasion idéale pour le vol et le vol, et les saints étaient là pour maintenir la paix sans établir aucune prétention acceptable au contrôle politique. Son livre, critiqué par les savants qui ont travaillé sur les archives marocaines, reste une lecture importante car il analyse si clairement les manières dont les peuples pasteurs, qui avaient été en contacts avec les États pendant quelques millénaires, ont entretenu une idéologie de rejet total de l’État marocain et une détermination à ne rien faire de tel eux-mêmes. »  http://www.lse.ac.uk/collections/gellner/JDavisObit.html (23 février 2011.)

[xi] Paul Pascon a enseigné à ses étudiants que c’est au modèle de se plier à la réalité et non l’inverse.

Mais combien l’ont écouté à une époque où les vulgates marxistes et gellneriennes étaient des explications scientifiques ?

[xii] Geertz a publié un essai très critique de Saints of the Atlas de Gellner dans The New York Review of Books (22 avril 1971). Ce dernier a répliqué en attaquant le « marabout Geertz  » à travers la critique du livre de Paul Rabinow, Symbolic Domination. Chicago, Londres : Chicago University Press, 1977, Cf. Gellner, E. Muslim Society. Cambridge, Cambridge University Press, pp. 108 et suivantes. Gellner reviendra plus tard sur la critique de l’anthropologie interprétative, assimilée à une manifestation postmoderniste, dans Post-Modernism, Reason and Religion. London : Routledge, 1992.

[xiii] Geertz, C. The Interpretation of Cultures. New York: Basic Books, 1973, p. 5.

[xiv] Geertz, C. Islam Observed: Religious Development in Morocco and Indonesia, op. cit.

[xv] Carleton Stevens Coon (23 juin 1904 – 3 juin 1981) était un anthropologue physique américain, professeur d’anthropologie à l’Université de Pennsylvanie, conférencier et professeur à l’Université de Harvard, et président de l’Association américaine des anthropologues physiques. Les théories de Coon sur la race sont largement rejetées par les anthropologues modernes pour leurs affirmations non fondées de la supériorité des Européens sur toutes les autres races. Carleton Coon est né à Wakefield, dans le Massachusetts, dans une famille américaine de Cornouailles. Il s’intéresse à la préhistoire et fréquente la Phillips Academy d’Andover. Coon s’inscrit à l’Université de Harvard, où il est attiré par le domaine relativement nouveau de l’anthropologie par Earnest Hooton et obtient un diplôme avec mention en 1925. Il devient conservateur d’ethnologie au musée universitaire de Philadelphie. Coon poursuit ses études à Harvard. En 1925, il effectue des travaux de terrain dans la région du Rif au Maroc, qui était politiquement instable depuis une rébellion de la population locale contre les Espagnols. Il obtient son doctorat en 1928 et retourne à Harvard en tant que chargé de cours, puis professeur. L’intérêt de Coon était de tenter d’utiliser la théorie de la sélection naturelle de Darwin pour expliquer les différentes caractéristiques physiques des races. Coon étudie les Albanais de 1920 à 1930 ; il se rend en Éthiopie en 1933 ; et en Arabie, en Afrique du Nord et dans les Balkans, il travaille sur des sites de 1925 à 1939, où il découvre un Néandertalien en 1939. Coon a reécrit The Races of Europe de William Z. Ripley (1899) en 1939. Coon a écrit beaucoup pour le grand public, comme son mentor Earnest Hooton. Coon a publié The Riffian, Flesh of the Wild Ox, Measuring Ethiopia, et A North Africa Story: The Anthropologist as OSS AgentA North Africa Story est un récit de son travail en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, qui consistait à espionner et à faire passer des armes aux groupes de résistance français dans le Maroc occupé par les Allemands, sous couvert de travaux anthropologiques sur le terrain. À cette époque, Coon était affilié à l’Office of Strategic Services des États-Unis, l’ancêtre de la Central Intelligence Agency.

[xvi] Chtatou, Mohamed. ‘’La glorieuse Bataille d’Anoual et la Guerre du Rif, cent ans après’’, Le Monde Amazigh, 23 juillet 2021. https://amadalamazigh.press.ma/fr/la-glorieuse-bataille-danoaul-et-la-guerre-du-rif-cent-ans-apres/

[xvii] Coon, C.S. The Riffian. Boston: Little, Brown. and Company, 1933, (Reprint 1968).

[xviii] Coon, C.S. Flesh of the Wild Ox. A Riffian Chronicle of High Valleys and Long Rifles. New York : William Morrow & Company, 1932. Avec un avant-propos d’Earnest Albert Hooton et illustrations par Ruth Reeves.

 » En 1926-27 et à nouveau en 1928, le Dr Coon a visité les indigènes berbères du Rif marocain dans le but d’étudier leur anthropologie physique et leurs coutumes. Les résultats sont consignés dans le volume IX des Harvard African Studies (examiné aux pages 373-377 de ce numéro). Le présent ouvrage est décrit par le professeur Hooton comme « un sous-produit littéraire de la connaissance intime que le Dr Coon a de ces magnifiques barbares ». Basé sur la tradition orale de l’histoire rifaine, il doit être lu comme une description essentiellement authentique de l’usage aborigène, des libertés mineures ayant été prises avec les noms des personnages – probablement dans le but de concentrer l’attention sur les fortunes d’une seule famille ou lignée depuis son établissement dans le pays jusqu’à la désorganisation de la vie rifaine par la conquête européenne. Le Dr Coon a bénéficié de l’avantage d’un sujet nouveau et a produit un livre très attrayant. Les Rifains diffèrent de la plupart des peuples primitifs qui ont reçu un traitement littéraire en raison de leur longue exposition à une civilisation lettrée, celle du mahométanisme. Leur attitude, cependant, n’est que modérément teintée des sophistications d’une culture supérieure. Leurs querelles, leur code d’honneur, leur ténacité rappellent les traits de nombreux groupes guerriers plus simples du monde entier. Inévitablement, les premières parties de l’histoire sont plus attrayantes que le récit final de la soumission prédestinée à la supériorité caucasienne en matière de moyens de guerre mécaniques. Mais l’intérêt pour les personnages est maintenu jusqu’au bout et, en cours de route, le lecteur en apprend beaucoup sur l’ethnographie rifaine.  » Robert H. Lowie

[xix] Coon, C.S. Tribes of the Rif. Cambridge: Harvard African Studies (Vol. IX), Peabody Museum of Harvard University, 1st Ed., 1931, pp. 417 + xviii, 67 plates.

[xx] https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1525/aa.1933.35.2.02a00260

[xxi] Publications de Carleton S. Coon:

Science:

  • The Origin of Races (1962)
  • The Story of Man (1954)
  • The Races of Europe (1939)
  • Caravan: the Story of the Middle East (1958)
  • Races: A Study of the Problems of Race Formation in Man
  • The Hunting Peoples
  • Anthropology A to Z (1963)
  • Living Races of Man (1965)
  • Seven Caves: Archaeological Exploration in the Middle East
  • Mountains of Giants: A Racial and Cultural Study of the North Albanian Mountain Ghegs
  • Yengema Cave Report (son travail au Sierra Leone)
  • Racial Adaptations (1982)

Fiction et mémoires :

  • Flesh of the Wild Ox (1932)
  • The Riffian (1933)
  • A North Africa Story: Story of an Anthropologist as OSS Agent (1980)
  • Measuring Ethiopia
  • Adventures and Discoveries: The Autobiography of Carleton S. Coon (1981)
[xxii] Funck, Arthur L. The politics of Torch.  Lawrence, Kansas, États-Unis: University Press of Kansas, 1974.

[xxiii] Coon, C. S. 1980. A North Africa Story: Story of an Anthropologist as OSS Agent. Ipswich, Mass.: Gambit Press.

[xxiv] https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/1981-12-01/north-africa-story-anthropologist-oss-agent-1941-1943

[xxv] Hart, David M. Dadda ‘Atta and his forty grandsons: the socio-political organisation of the Ait ‘Atta of southern Morocco. Cambridge, England: Middle East & North African Studies Press; Boulder, Colo., U.S.A.: Distributed by Westview Press, 1981.

[xxvi] Hart, David M. The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History. (Viking Fund Publications in Anthropology No. 55). Tucson: University of Arizona Press, for Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research, 1976.

[xxvii] Joffé, E. G. H. “The Moroccan Rif.” The Journal of African History, vol. 18, no. 4, 1977, pp. 626–28. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/180838

[xxviii] Hart, D. M. Aith waryaghar, Qabila mena Rif al-Maghribi: Dirasa ithnoghrafiya wa Tarikhiya. Den Haag : Stem van Marokkaans Democraten-Nederland. Volume 1. Traduit par : M. Ouniba, A. Azouzi et A. Rais, 2007.

[xxix] Akbar, S. Ahmed & David M. Hart (ed.). Islam in tribal societies: from the Atlas to the Indus.

London : Routledge & Kegan Paul, 1984.

[xxx] Hart David Montgomery.  ‘’Faulty models of North African and Middle Eastern tribal structures’’, in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°68-69, 1993, Etats modernes, nationalismes et islamismes, sous la direction de Pierre Robert Baduel. pp. 225-238.

[xxxi] Hart, D. M. Dadda ‘Atta and his forty grandsons: the socio-political organisation of the Ait ‘Atta of southern Morocco, op. cit.

[xxxii] http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/13629380108718431

[xxxiii]  Hart, Ursula Kingsmill. Behind the Courtyard Door: The Daily Life of Tribeswomen in Northern Morocco. Ipswitch Pr, 1994.

Description : Ce récit détaillé d’un voyage effectué en 1959 dans le Rif, la chaîne de montagnes du nord du Maroc, est le fruit des nombreux voyages effectués par le mari de Hart, David Hart, un anthropologue américain. Pour l’auteur, née en Inde de parents britanniques et ayant grandi au Maroc, accompagner son mari lors de ces voyages était la réalisation de ses fantasmes d’adolescente. Bien que la vie quotidienne dans un village isolé soit très éloignée de ses rêves de jeunesse de romance et d’aventure, la fascination de Hart pour cette terre exotique n’était en rien atténuée par les désagréments physiques des conditions primitives. Le fait central de son séjour dans cette société musulmane était la réclusion des femmes, dont le domaine protégé était la cour centrale située dans chaque foyer rifain. Comme David Hart n’avait pas accès à ce monde féminin pour son travail de terrain, il espérait qu’Ursula serait acceptée par les femmes de la tribu et qu’elle pourrait apprendre leurs rituels protégés. C’est ce qu’elle a fait, et dans ces souvenirs, elle décrit soigneusement cette vie circonscrite de travaux ménagers, de cuisine et d’éducation des enfants, une vie compliquée par les inévitables jalousies de la polygamie. Malgré l’intérêt du sujet, ce livre souffre de l’attitude condescendante de l’auteur à l’égard de la vie dans le tiers monde, ainsi que de passages maladroits qui nuisent au déroulement de la narration.

[xxxiv] ‘’The role and the modalities of trial by collective oath in the Berber‐speaking highlands of Morocco’’, The Journal of North African Studies, 4:2, 1999, pp. 48-83.

[xxxv] Tahtah, M. Entre Pragmatisme Réformisme et Modernisme. Bruxelles : Peeters, 2000.

[xxxvi] Picard, Christophe. Sea of the Caliphs: The Mediterranean in the Medieval Islamic World. Cambridge, MA, USA: Harvard University Press, 2018, p. 247.

[xxxvii] Ayache, Germain. Les Origines de la guerre du Rif, Paris: Publications de la Sorbonne, Rabat: Société marocaine des éditeurs réunis, 1981 ; La Guerre du Rif, L’Harmattan, 1996.

[xxxviii] Bouyaala, Khalid. ‘’Rif: la répression de 1958-59. Contexte et enjeux politiques’’, Encyclopédie Berbère, 2017. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03527488/document

[xxxix] Montgomery, Hart David. ‘’Segmentary systems and the role of « five fifths » in tribal Morocco’’, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°3, 1967, pp. 65-95.

[xl] https://sociologies.revues.org/4326?lang=en

[xli] Hammoudi, Abdallah. ‘’Segmentarité, stratification sociale, pouvoir politique et sainteté, Réflexions sur les thèses de Gellner’’, Hespéris-Tamuda, vol. XV. fasc. unique, 1974, pp. 147 à 180.

[xlii] Evans-Pridtchard, E. E. Les Nuer. Traduction française par Louis Evrard. Paris : Gallimard, 1968.

[xliii] https://sociologies.revues.org/4326?lang=en, op. cit.

Lire Aussi...

Rabat: Coup d’envoi officiel des cours d’enseignement à distance de la langue amazighe

L’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) a donné, lundi à Rabat, le coup d’envoi ...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *