
Le chaos grandissant dans les trois pays (Burkina Faso, Mali et Niger) du Sahel central, aujourd’hui sous le joug de régimes militaires, a fait l’objet de nombreuses analyses. Bien que partageant des similitudes dans leur mode de gouvernance et leurs relations avec la communauté internationale, les autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger suivent des trajectoires distinctes. Toutefois, un dénominateur commun persiste : l’incapacité à formuler une vision claire pour un retour à un système politique stable et inclusif, capable d’offrir des perspectives d’avenir à leurs populations.
La dégradation sécuritaire s’accentue sous la pression croissante des groupes jihadistes, et les discours officiels minimisant la menace ne suffisent plus à masquer une réalité de plus en plus alarmante, en particulier au Burkina Faso et au Mali. La violence, toujours plus meurtrière, s’installe durablement, tandis que la communauté internationale, apparemment indifférente, abandonne les populations à leur sort. Dans ce contexte, les habitants sont contraints de trouver des solutions locales pour atténuer leurs souffrances. Sur le plan diplomatique, ces régimes cultivent un climat de tension permanente, désignant l’Occident comme un adversaire tout en maintenant certaines dépendances économiques et techniques.
Burkina Faso : Les risques du criblage ethnique comme stratégie sécuritaire
Le Burkina Faso, par sa configuration territoriale et son histoire politique marquée par l’héritage sankariste, se distingue des deux autres pays. Cependant, cette assise historique ne l’empêche pas de sombrer dans une instabilité grandissante. Le recours aux Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP), souvent accusés de commettre des exactions à caractère ethnique, constitue une menace pour la cohésion nationale. L’armée régulière burkinabè est également accusée d’exactions extrajudiciaires à l’encontre des membres de certaines communautés, en particulier les Peuls. Sans un encadrement strict et des réformes urgentes, ces pratiques risquent d’approfondir les fractures internes et de compromettre toute perspective de stabilité.
Bien que le Burkina Faso ait bouleversé ses alliances internationales, il semble adopter une approche plus mesurée que ses voisins dans la diversification de ses partenariats et son discours souverainiste.
Mali : Un nettoyage ethnique dissimulé
Au Mali, la junte s’enfonce dans une logique de terreur étatique, ciblant certaines communautés sous couvert de lutte antiterroriste. Encadrées par des mercenaires étrangers, notamment ceux du groupe Wagner, les FAMA (Forces armées maliennes) perpétuent un véritable nettoyage ethnique, documenté malgré l’expulsion des ONG et la censure imposée aux défenseurs des droits humains. La communauté internationale ne pourra indéfiniment ignorer ces atrocités qui frappent les civils dans les régions du Macina et de l’Azawad.
Par ailleurs, la tension grandissante entre le Mali et l’Algérie marque une rupture significative. Alors que l’Algérie s’est toujours opposée à toute autonomie de l’Azawad, une solution fédéraliste aurait pourtant pu prévenir la crise actuelle et éviter une potentielle partition du pays.
Niger : Quelle refondation pour une plus grande inclusivité ?
Au Niger, la transition politique amorce enfin une structuration. Les assises nationales tenues du 15 au 20 février 2025 ont permis de dessiner les grandes lignes de la refondation envisagée. Cependant, le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) devra garantir un processus inclusif et proposer des perspectives concrètes pour redonner espoir à la population.
La rupture avec les partenaires internationaux impose aujourd’hui une réorientation pragmatique. Le CNSP devrait s’efforcer de prendre ses décisions de manière indépendante, sans céder aux pressions des idéologues extrémistes ou des influenceurs des réseaux sociaux, afin de préserver l’engagement du pays sur la scène internationale et éviter d’aggraver son isolement. Une stabilisation des relations avec le Bénin, et particulièrement avec le Nigeria, est essentielle, toute escalade risquant de compromettre les intérêts stratégiques du Niger.
CEDEAO et AES : Quelle articulation ?
Face aux sanctions de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES). Si cette coopération militaire répond à des enjeux sécuritaires pressants, l’ambition d’en faire un projet politique doit être abordée avec prudence. Chaque pays possède des dynamiques sociales et politiques propres, et une intégration précipitée pourrait créer de nouvelles tensions internes.
Le Niger et le Burkina Faso doivent veiller à ne pas se laisser entraîner par la junte malienne dans une confrontation risquée concernant l’Azawad, car les répercussions sur leur propre stabilité seraient majeures. L’unité régionale doit reposer sur une adhésion volontaire et éclairée, afin d’éviter de reproduire les erreurs commises par la CEDEAO.
Conclusion : Une région à la croisée des chemins
Le Sahel central se trouve à un tournant critique. L’absence de perspectives claires et les politiques improvisées risquent de prolonger l’instabilité, voire de reconfigurer la gouvernance régionale sous de nouvelles formes. Pour sortir de cette impasse, les autorités doivent préserver l’intégration régionale, adopter des politiques inclusives et offrir des solutions durables aux populations. Sans cela, la région risque de s’enliser davantage dans des crises successives, compromettant tout espoir de paix et de développement.
* Consultant & Président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE) / Tanat