Tanalt et Talibi rendent hommage à Idir

Par: BAHA MANSOUB

De Idir à Idder

Feu Idir était et demeure un grand artiste amazighe de renommée internationale. Il faisait partie de cette génération d’artistes appelés justement par le grand Kateb Yacine  “les maquisards de la chanson berbère”, à côté de Slimane Azem, Lounès Matoub, Lounès Aït Menguellet… Il a su conjuguer ingénieusement les airs traditionnels kabyles à une musique universelle que tout un chacun savourait sans limite.

Idir, paix à son âme, chantait dans une langue minorisée, marginalisée, interdite de cité… Idir défendait une cause juste et noble. Idir rend hommage au peuple minorés. Il chante la femme et la liberté. Idir est tout simplement le rossignol qui chantait pour des oiseaux ayant perdu tout sauf leur amour à la beauté, à la vie et la liberté. Idir a fait chanter dans cette même langue de grands artistes en l’occurrence Maxime Le Forestier, Charles Aznavour… Idir, comme le disait si justement Pierre Bourdieu « Ce n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille. » Mouloud Mammeri lui a avoué : « Tu lui [notre culture] as redonné la place qui lui revient de droit et là-haut au ciel je sens que nos ancêtres jettent sur toi des bénédictions sous forme de poussières d’étoiles ». Par conséquent rendre hommage à un artiste d’une telle envergure n’est pas chose aisée.

Groupe TANALT
Groupe TANALT

Cependant, lorsque le génie du chercheur et poète talentueux M. Hamid Talibi se conjugue à celui du groupe musical ambitieux, sérieux et créateur Tanalt, tout devient possible, et l’hommage se rend à l’artiste de la meilleure des façons qu’il puisse y avoir. N’est-ce pas l’expérience de poète Ben Mohammed avec Idir qui est en train de se répéter dans un pays autre que la Kabylie ? Idir chantait les textes écrits par Ben Mohamed. Tanalt chantait les textes composés par Hamid Talibi.  Lorsque chacun, poète et chanteur, maitrise son champs, le résultat ne peut être que sublime. N’est-ce pas Sivi le poète qui aimait dire : « La musique est pour les musiciens, le poème pour les poètes… ». Qu’en est-il alors lorsque l’un et l’autre s’entendent et travaille ensemble?

Arrêtons-nous un moment sur le poème intitulé « Idir » écrit par M. Hamid Talibi. Au niveau de la forme, il s’agit d’un poème heptasyllabique (sept syllabes) à l’exception de deux vers (3 et 4 de la première strophe) qui sont octosyllabiques (huit syllabes).  Il se compose de quatre strophes à quatrains (quatre vers) monorimes (AAAA) sauf le refrain qui a une rime croisée (ABAB).

Hamid Talibi
Hamid Talibi

Au niveau de la langue utilisée, le poème est composé dans une langue symbolique. En effet, Idir est kabyle et le poème lui rendant hommage est parsemé d’un vocabulaire typiquement kabyle. On y trouve à titre d’exemple des mots en usage uniquement dans la variante kabyle tels “iṭij”  qui signifie littéralement l’œil du ciel (tiṭt n ujenna) et figurativement le soleil connu  communément par “tafukt” dans le reste des aires linguistiques amazighes. Il y a aussi “acennay” pour chanteur. “Azal” voulant dire valeur. “Akken”, “bɣu”, “kan”… voulant dire respectivement “pour que”, “aimer”, “seulement”… Le choix de ce vocabulaire n’est pas fortuit. Nous pouvons y lire différentes significations. En effet le vocabulaire de base de poème appartient à la variante amazighe du sud-est marocain. Un terme rifain « amesqad » y figure tel un pont liant le sud-est à la Kabylie ou plutôt un ambassadeur, c’est d’ailleurs la signification du vocable amesqad, envoyé par l’auteur au pays du défunt artiste. Le choix de vocabulaire crée ainsi un effet littéraire sur le lecteur ou l’auditeur dans notre cas. N’est-ce pas pour dire à quel point peut cohabiter le lexique de différentes variantes amazighes sans créer ce « fantôme linguistique » incompréhensible tant redouté par les linguistes ?  Cela dit également l’harmonie dans lesquels vivent les parler amazighes malgré les frontières superficielles les séparant.

Idir tel un soleil qui refuse de s’éteindre. Non seulement ses chansons parleront de lui longtemps après, mais également les nombreuses chansons qui lui sont et seront dédiées. Il figurera parmi ceux et celle dont Feu Dda Lmulud disait : « yella welbeɛḍ yella ilac-it, yella wayeḍ ulac-it yella ». [ y en a qui vivant ressemblent aux mort, y en a décédés resseblent aux vivants]. C’est dans ce contexte que nait une des plus belles chansons qu’a chantée le groupe musical Tanalt, qui vient d’être élu méritoirement le représentant du continent africain au compétition « World Music Trophy ».

La voix principale d’or de Idder Tanalt résonnait au milieu de sa guitare acoustique folk et celle électrique solo de Moha, le tambour de Said et la basse de Nour. La chanson s’ouvre sur les coups de guitares accompagnée de la voix sublime et soprano de Idder sur un timbre apaisé qui s’allie merveilleusement aussi bien à celle d’une maman qui pleure avec fierté son fils chérie, qu’à celle du défunt Idir pleuré par toutes les âmes sensibles à la beauté de l’art qui a fait bercer l’humanité pendant plus de quatre décennies et continue encore à travers la voix qui fut sienne et celle de ses héritiers parmi lesquels figure Tanalt.

Le groupe TANALT est talentueux non seulement en musique, mais également en montage, filmage et en rythme. Le tout se prépare dans le studio Tanalt. Leur travail est mis en ligne à l’aube de 23 mai 2020 sur la chaine youtube Groupe TANALT. La chanson de Tanalt intitulée « Idir » a dépassé en moins de trois jours en nombre de vue toutes les chansons publiées par le groupe au cours des deux derniers mois.

En guise de conclusion, n’est-on pas en mesure d’affirmer que la chanson dans la région Dra-Tafilalt se comporte fort bien et la relève ingénieusement assurée ? Idir, Nba, Matoub, Ammouri, Inteyadène, Rifinox, Izri et autres rossignols da Tamazgha peuvent se reposer tranquilement et en paix dans leur tombe.

À Boumalne Dadès le 25,26/05/2020

Voici les paroles de la chanson en amazighe accompagnée de la traduction en français :

Idir (Yidir)

Han iṭij, ur inessi (Tel un soleil qui ne s’éteint)

Ur igi ka timessi (Il ne ressemble point au feu)

Akken aḍu ad t-isexsi (Que le vent pourra éteindre)

Neɣ iwri kan ad t-isefsi…! (Ni un simple gel qui fondra)

***

A Idir, a amesqad / n uẓawan deg umaḍal

(Ô Yidi, l’ambassadeur / de la musique dans le monde)

D amarir, a agellid / n udinan s tarazal

(Chanteur au chapeau / ô roi de la guitare ! )

***

A Idir, a acennay (Ô Yidir, le chanteur)

D ameqran, ur i-imtiy (D’aucun n’ignore ta grandeur)

Azal-ik, ur imeẓẓiy (Dont la valeur n’est pas minime)

Tazuyi-k, ur ak-tɣiy (hors pair, tu es le suprême)

***

A Idir, a amesqad / n uẓawan deg umaḍal

(Ô Yidi, l’ambassadeur / de la musique dans le monde)

D amarir, a agellid / n udinan s tarazal

(Chanteur au chapeau / ô roi de la guitare ! )

***

Ur k(i)-ttun ar’ ayetma-k (Tes frères ne t’oublieront jamais)

N umaḍal d wexxam-ik (Les tiens ainsi que le monde entier)

D azamul aha ibɣa-k (Tu es le symbole que tout aime)

Umata s uẓawan-ik. (Toujours pour ta musique.)

***

A Idir, a amesqad / n uẓawan deg umaḍal

(Ô Yidi, l’ambassadeur / de la musique dans le monde)

D amarir, a agellid / n udinan s tarazal

(Chanteur au chapeau / ô roi de la guitare ! )

Hamid Talibi

Tinejdad, le 03 Mai 2020 (de 17h18 à 22h39).

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