Traditions amazighes en déperdition

Par: Azergui Mohamed - Professeure universitaire retraité
Par: Azergui Mohamed

Fêtes du nouvel an amazigh

La tradition de fêter le nouvel amazigh est antique en Afrique du Nord, mais tend à se perdre Au Maroc elle se maintient dans l’intimité et la discrétion dans les monts et vallées de l’Atlas.En villes, les amazighs perdent cette tradition ou la préservent dans la retenue et la discrétion. Par contre le nouvel an officiel est fêté dans l’allégresse, griserie et en plus déclaré jour férié. (Calendrier solaire, stable, utile, universel associé à la date de naissance supposée du Christ). De même le nouvel an hégirien est encensé et sacré au pays, avec en prime un jour de congé. (Calendrier lunaire, instable, religieux, associé à l’exode de Mahomet et ses Amis en Médine). Pour les barbus et voilées fêter le nouvel an chrétien est une hérésie et aliénation à l’Occident. Pour eux la tradition de fêter le nouvel amazigh est un reste de paganisme abject à combattre. Ils veulent la déraciner et nous savons que ces fanatiques bornés ne plaisantent pas du tout. Le Makhzen à défaut de l’interdire laisse faire car elle ne dérange pas ses options arabistes. La tradition de fêter le nouvel amazigh va se perdre, banalisée, folklorisée et non officialisée. Pourtant le nouvel an amazigh fait partie de notre patrimoine culturel plusieurs fois millénaire. C’est un attachement, une communion d’âme avec la nature mère et la terre matrice de la vie. Les amazighs ont associé unanimement le point zéro de leur calendrier à leur longue Histoire. En effet il y a 3000 ans un roi amazigh (Sheshonq I) fonda la XXII dynastie de pharaons. Ses descendants avaient gouverné l’Egypte, grande puissance de l’époque, ce durant deux siècles. Sheshong fut un grand Aglid. Il est même mentionné dans la Bible Livre sacré de l’Humanité.

Les fêtes du nouvel an amazigh ont lieu tous les ans à date fixe à la mi-janvier, début de l’hiver. Les anciens du village de mon enfance n’avaient ni montre, ni horloge, ni calendrier. Pourtant, ils nous indiquaient le jour du nouvel an et ils en parlaient avec l’exactitude des astronomes. Ils nous annonçaient de longues nuits, noires, froides sans connaitre le solstice des géographes. Enfant dans les années 40/50 à Tanalt dans l’Atlas, je me souviens de ces fêtes de nouvel an. Le jour du marché, le crieur de la tribu annonçait le grand jour, et nous incitait à le bien fêter. Pour nous le temps était non linéaire mais cyclique rythmé par le soleil, saisons, l’agriculture. Pour moi cela signifiait un repas bien chaud dans la chaleur de l’intimité familiale de nuit. Les familles du même clan organisaient un dîner spécifique collectif à la veille du nouvel an. Le repas principal en est TAGGOULA. C’est une bouillie à base de farine de maïs et d’orge. On y ajoutait un élément de ce que notre terre avait produit au long de l’année qui se terminait (grains d’orge, de maïs, lentilles, petits pois, pépins divers, amande, légumes et fruits secs). Tout ceci mijote dans une grande marmite d’argile. Nos mères ajoutaient un noyau de datte. Le repas était servi à chaud dans un grand plat de bois avec au milieu un petit bol d’argane. Celle ou celui qui le trouvait le noyau était considéré le chanceux de la nouvelle année. C’était souvent ma sœur, nous la taquinions, nous lui prévoyions son mariage proche avec tel cousin. Moi j’attendais des babouches pour mes pauvres pieds toujours nus, mieux un burnous chaud en laine et poils de chèvres. Nous gardions une boule de la bouillie, elle était déposée dehors de chaque foyer pour toute la nuit. Si (fait rare) un poil s’y déposait alors la chance allait visiter le domicile et aussi tout le village. Les gens en plaisantaient, mais ils y croyaient fort, ils se souhaitaient une année sans aléas de climat, sans sauterelles et avec de bonnes récoltes, La chance, le destin, et l’équité feront ils en sorte que le jour du nouvel amazigh soit officiel? C’est là une tradition venue du fond de notre. Histoire comme bien d’autres us en déperdition.

TIWIZI

Tiwizi vient du verbe IWISS qui signifie s’aider. Il existe dans toutes les variantes du tamazight. Tiwizi évoque la solidarité et l’entraide bénévoles du groupe pour un individu ou pour la collectivité. Je me rappelle avec nostalgie des Tiwizi d’antan. Les formes variaient selon les besoins et les saisons. Ainsi le gaulage des olives se faisait début janvier dans l’oliveraie de Tanalt dite (Targa n’Iznaguen). Elle était pleine pour une semaine d’équipes joyeuses de Tiwizis. Les jeunes gens grimpaient aux cimes de nos géants oliviers un long bâton (la gaule) à la main. Ils donnaient de petits coups aux branches surchargées d’olives qui tombaient avec un crépitement continu signe d’une bonne récolte. Les jeunes filles et les femmes se faisaient très belles. Elles participaient au ramassage en chantonnant. A midi un grand couscous nous arrivait du village. Au coucher du soleil c’était le retour aux foyers en groupes derrière des baudets chargés d’olives. Les garçons faisaient des brins de cour aux cousines. Nos olives rentrées, le froid s’installait nous célébrions la nouvelle année et une tradition spécifique: les IDRNANES (des beignets cuits à l’huile d’argane ou d’olives et des tagines de moules sèches).

Les pluies étaient abondantes autrefois, les printemps étaient un beau réveil de la Nature et de la vie Les milliers de parcelles en terrasses, semées et labourées (orge) en automne passaient du vert au doré. Les moissons se faisaient en Mai en Tiwizi pour les terrains collectifs ou ceux des rares gros terriens. Il fallait ramasser vite l’orge (les orages les pourrissaient, les oiseaux et les écureuils s’en régalaient. Mains nues ou armées de faucilles, gestes rythmés les hommes moissonnaient chacun une parcelle. Les femmes ramassaient les mottes d’orge, les amenaient à dos et les entassaient près des maisons. . A midi un couscous chaud couvert de légumes et une outre de babeurre frais arrivaient du village. Lorsque tous les terrains sont moissonnés nous laissions alors la terre se reposer pour tout l’été. Chaque famille faisait des amas rectangulaires de son orge près de l’aire de dépiquage pour sécher.

Au début de juillet une Tiwizi passait chez chaque famille pour le dépiquage et le vannage. Le dépiquage se faisait par le foulage de l’orge sous les pieds d’une dizaine d’animaux à gros sabots. Ils tournaient autour d’un piquet sur le gros tas de gerbes d’orge. Nous les enfants nous leur courions derrière avec un chant rituel pour perpétuer la rotation. Ceci durait en général une demi-journée .Un repas collectif était servi à l’ombre d’un arganier ou caroubier proche. Le vannage commençait après. Les hommes faisaient de l’orge dépiqué un long tas perpendiculaire à la direction du vent fort d’ouest. Ils lançaient dans l’air des pelles pleines, les grains d’orge tombaient sur place les brins de paille à côté. Le vannage durait une journée. La famille réservait toujours le dixième de la récolte aux démunis. La Tiwizi passait alors chez une autre famille pour les mêmes opérations et fêtes collectives de solidarité. Par ailleurs il y avait souvent des Tiwizi pour le gaulage des amandiers et le ramassage des baies d’argane. Là pour évier les grosses chaleurs les Tiwizi commençaient tôt et on arrêtait vers midi. Dès le début de l’été nos maisons étaient garnies de provisions (orges, foins, amandes, olives argane..). Nous faisions un repas collectif en sacrifiant un bouc et un veau près de la tombe du marabout local.

Ces Tiwizi saisonnières se répétaient tous les ans et elles faisaient partie de notre cycle du temps. Ma mémoire garde des brins de souvenir des grandes tiwizi du village entier et qui faisaient date. Ainsi début des années 50, les travaux de défrichement des collines voisines avaient mobilisé tout le village (des centaines de lopins de terre en terrasses avec aux bords des amandiers et des figuiers) ce qui faisait la fierté de notre village devenu de nos jours règne des Sangliers. Je me souviens aussi un peu du travail de tous pour un pressoir d’olives, considéré sacré à l’instar de la mosquée, ou du puits. Je me souviens et là très bien des grandes pluies qui avaient détruit nos maisons et nos terres en 1957. Les politiciens étaient en luttes pour le Pouvoir et le butin colonial. Sans rien en attendre et comme à l’accoutumé nous avions reconstruit en partie ce que les pluies avaient détruit en TIWIZI.

Mariages

A Tanalt, pays de mon enfance, les jeunes se mariaient tôt, la société d’antan ignorait la délinquance. Les nouveaux mariés dépassaient à peine la vingtaine et les jeunes mariées en avaient un peu moins. Ils étaient en pleine période de l’épanouissement de leur sexualité et ils y répondaient selon la Nature.. La prostitution était inexistante, vécue comme une atteinte au village elle était vite combattue par tous . A 20 ans les hommes étaient déjà des paysans, des artisans, des négociants, ou guerriers au besoin. A20 ans les filles étaient déjà des épouses, mères, paysannes, et intégrées dans la famille de l’époux. En général on se mariait entre cousins et cousines proches ou lointains sans se soucier de la génétique. Les futurs époux se connaissaient et s’étaient vus à maintes occasions et s’étaient aimés sans en parler. Les filles des monts étaient (et sont toujours) très belles, sveltes, espiègles impossible de leur résister. Peu ou pas de contacts directs, mais les jeunes s’exprimaient par des regards, sourires et gestes sûrs. Vénus déesse de l’amour les visitait pour quelques mois et s’en allait après les avoir unis pour la vie. Les parents soupçonnaient que les visites fréquentes des jeunes cachaient des sentiments généreux.. Le garçon faisait savoir à ses parents son désir de se marier et indiquait le nom de la préférée. Les mères faisaient les premiers contacts de façon discrète, histoire de vérifier si la fille n’était pas promise. Les jeunes filles consultées par les mères étaient souvent d’accord en cas de réticence tout était arrêté. Les pères s’en mêlaient ensuite par des visites, des pourparlers et se mettaient d’accord sans peine. Il était indigne d’un père amazigh de demander des sous pour la main de sa fille sauf le minimum légal. De plus le père se devait de constituer un grand trousseau de beaux habits et de bijoux pour sa fille. Les filles étaient choyées au foyer, vues comme des invitées qui allaient s’envoler loin des parents. Elles partaient et laissaient la famille en chagrin, leurs rires et chants continuaient à résonner au foyer.

A Tanalt, les fêtes de mariage, au temps de ma jeunesse déjà lointaine, duraient trois belles journées. Du lever du soleil jusqu’à son coucher, nous ne souffrions pas de ces tapages nocturnes actuels de cité. Tous les habitants du village et les membres proches ou lointains de la famille étaient invités d’office. Personne ne s’absentait, les travaux et voyages étaient annulés, les disputes et conflits bien oubliés. Vendredi, premier jour des fêtes la mariée et sa famille arrivaient le matin avec chansons de copines à la maison de son mari. Les chants traitaient de la beauté de la jeune mariée. Les chants venant des filles du côté du marié vantaient les vertus du jeune mari. Toute une série de rituels invariables, mais spécifiques se faisaient avec chansons réception avec amandes et date, bienvenue souhaitée en chants, (montrer la richesse du mari, les jeunes époux se servent la nourriture entourés d’un chœur chantant). Un grand repas collectif était servi dans une belle convivialité suivi d’un thé cérémonial et chansons. Les jeunes du village organisaient gratis avec joie des danses de filles ou garçons pour l’après-midi. Les deux jeunes époux avaient la nuit du vendredi pour découvrir l’intimité de leur corps et leur âme. Le samedi la famille de la mariée et des gens de son village venaient la voir et passaient la journée. La mariée heureuse se faisait très belle (longue chevelure, henné et khôl, bijoux en argent, parfumée au girofle et basilic, TSWIK dans la bouche donc une haleine agréable et un léger rouge à lèvres naturel). La journée se passait en intimité avec les copines de la mariée et copains du mari encore célibataires. Le dimanche la famille du marié et son épouse passaient une journée chez les parents de la mariée. La maman, les tantes en profitaient pour lui donner des conseils et le père prodiguait sa bénédiction. Dès le lendemain lundi les époux débutaient leur nouvelle vie dans le labeur au milieu de la famille. C’est dans le travail la lutte pour la vie, la famille et les enfants que se construisait l’amour mutuel. Les divorces et étaient très rares et la bigamie exceptionnelle sauf en cas de stérilité de l’un des époux. Chaque village était en fait une grande famille de cousins proches, jeunes adultes et vieux.

La famille

Dans l’anti Atlas nous avons de la bonne pierre (granit, quartzite, schiste) et de l’argile pour bâtir. Nous avions quelques maçons maîtres de leur art. Ils nous construisaient de belles et solides demeures. Elles avaient des murs épais et elles étaient fraiches en été, chaudes en hiver et agréables au printemps. Toutes les maisons là-haut à Tanalt étaient orientées vers le lever du Soleil, pour faciliter les prières. Le rez de chaussé nous servait d’étable et de poulailler. Malgré l’obscurité cette faune vivait en paix. Le premier étage était notre grenier (orge, maïs, lentilles, amandes, olives, figues, caroube, foins.). Le deuxième étage mieux éclairé se composait de chambres à fenêtres basses et de deux belles terrasses. Mon grand-père avait une grande maison, plus de terres, un cheptel, un puits et une grande famille. Tout ce monde se réveillait tôt avec les chants des coqs et les appels à la prière du fquih du village. Tous se grattaient et allaient se soulager à côté des bêtes domestiques et enrichir le fumier familial. Tous se faisaient un petit brin de toilette sous forme d’ablutions à l’eau tiède préparée par grand-mère. La prière était obligatoire pour tous, c’était un rituel nécessaire sans quoi la journée tournerait mal. Le petit déjeuner se composait d’une bouillie de semoule chaude, des figues du pain d’orge et de l’huile. Le travail quotidien invariable était distribué tous les matins par le grand père signe de son autorité. Ma jeune tante Mamasse, moi, et un chien, nous amenions les chèvres paître un peu loin du village. Les femmes et fille devaient allaiter les bébés, subir grand-mère, amener l’eau du puits, chercher du vieux bois d’arganier ou du foins pour les bêtes, aider aux travaux des champs et préparer les repas). Les hommes de la maison avaient à faire des travaux pénibles variables selon les saisons et les besoins. Vers midi tous nous sommes de retour à la maison pour un grand couscous suivi d’un thé cérémonial. Là on discutait des champs, des gens, incidents du village, on rigolait, on se disputait et se réconciliait. Les voisines se réunissaient dans un préau après le repas pour jaser, médire et au besoin se dépouiller. Certaines en duo moulaient de l’orge et chantaient, d’autres faisaient d’agréables siestes avec époux. L’après-midi, muni de figues sèches tous allaient à l’oliveraie pour les petits travaux et parades. La journée finissait le soir par un petit tagine, avec peu ou pas de viande et tous fatigués se couchaient tôt.

Contes

Mais nous les enfants nous attendions tous les merveileux contes de grand-mère pour nous endormir. Elle racontait d’une voix douce, chansons, poèmes, proverbes à l’appui, nous étions dès lors en rêves : Pas loin du village le rusé hérisson, petite boule de piquants se jouait pourtant du cobra et du chacal. Le bouc faisait le fort devant son sérail de chèvres et s’enfuyait à la vue des oreilles du malin chacal. A côté de chez nous le chien déjouait les malices du renard et de l’hermine qui en voulaient à notre volaille. Le matou simulait la paix avec les rats et les serpents pour mieux les capturer et les manger. Le scorpion symbole de la traitrise était toujours armé de son dard et prêt à piquer fort et à se cacher. L’araignée en félonne tissait ses toiles, guettait patiemment ses petites victimes les attrapait les suçait. L’âne simulait le stupide et se vengeait des coups de bâtons par des ruades à coups de sabots mortels. Le dromadaire réputé pour sa mémoire dans ces contes était rancunier et pouvait se venger en atroce. Dans ses contes les bergers et bergères se lançaient des romances et parfois se faisaient de l’amour. Le voleur volait les animaux, les bijoux ou autres sans bruit aucun en se cachant, jamais de violence. Le fquih donnait des grigris aux femmes pour mâter des maris volages ou les tromper et s’en venger. Les marabouts de la région en vie dans ses contes s’envolaient, faisaient des miracles et des amours. Les juifs étaient des sorciers, des artisans habiles, des négociants malins et riches amazighs.

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