La France s’est retrouvée au début du siècle passé, au Maroc, avec une mission « protectrice », sur la base d’un traité. Or, dans les faits, il en fut autrement. Quel fut le rôle joué par la France en ce qui concerne la guerre du Rif et tout particulièrement la guerre chimique contre le grand Rif ? Probablement que sans l’intervention directe et indirecte de la France, le cours de l’histoire aurait pu être bien différent dans le Rif.
L’Espagne qui utilisa contre le grand Rif et ses populations des armes chimiques de destruction massive, ne disposait pas de ces armes. C’est la France qui, illégalement, en violation du traité de Versailles et d’autres instruments internationaux les vendit, sous le manteau, à l’Espagne qui les utilisa à profusion, dans un premier temps via l’artillerie, puis ensuite, via l’aviation. Une société française d’armement («Schneider», aujourd’hui reconvertie dans d’autres secteurs sous le nom de «Schneider électrique») participe aux transactions. Par la suite, vers la fin de la guerre du Rif, la France ne se prive pas de les employer elle-même.
Ayant agi en violation des lois de la guerre, à plusieurs titres, l’Etat français reste responsable des crimes de guerre [1], des crimes de génocide [2] et des crimes contre l’humanité [3] commis, directement et indirectement, en particulier contre les populations civiles. Il en est résulté des effets mutagènes et cancérigènes dont souffrent, encore aujourd’hui, les héritiers des victimes d’hier.
Si les personnes physiques ayant décidé, entre 1921 et 1926, des crimes contre l’humanité commis dans le grand Rif ne sont plus de ce monde, pour pouvoir faire l’objet de poursuites, il n’en reste pas moins qu’au nom de la continuité de l’Etat et des institutions, la France ainsi que la société française précitée sont responsables des préjudices passés et qui se poursuivent comme conséquence de l’utilisation des armes chimiques de destruction massive contre le grand Rif. Il en résulte une obligation de réparation et de dédommagement réclamée par la société civile.
L’interdiction des armes chimiques
Il y avait bien eu, lors de la première guerre mondiale, l’utilisation d’armes chimiques mais elles étaient depuis prohibées par les conventions internationales [4], signées au demeurant par l’Espagne, la France et l’Allemagne. Les Traités signés par les Etats européens interdisent tant la production, le stockage, la commercialisation que l’utilisation des armes chimiques. Plusieurs Traités internationaux sont depuis venus confirmer la prohibition des armes chimiques et biologiques de destruction massive. Dans une lettre de l’Emir Abdelkrim, en date du 06 septembre 1922, adressée à la Société des Nations, en interpellant les « nations civilisées », l’Emir se réfère à l’utilisation d’armes prohibées et utilisées par l’armée espagnole [5].
Poison, gaz toxique ou armes chimiques de destruction massive ?
Plutôt que de désigner ces armes par leurs noms : Ypérite ou gaz moutarde [6], chloropicrine et phosgène, il est question de « bombes spéciales », de bombes X », ou de « gaz ». Aujourd’hui d’aucuns parlent encore de « gaz toxique », de « poison »,… L’appellation aujourd’hui consacrée dans le langage militaire pour la désignation de ces armes est celle d’armes chimiques de destruction massive. Pour rappel, ce sont ces mêmes armes qui furent utilisées par le régime de Sadam Hussein contre le peuple Kurde à Halabja.
Le crime dévoilé au grand jour
La guerre chimique mit fin à la guerre de libération et donna lieu à la reddition d’Abdelkrim. Mais, ses effets courent toujours et le dossier revient à l’ordre du jour. Durant plusieurs décennies, le crime fut gardé sous silence [7]. Mais depuis l’ouverture des archives les chercheurs et historiens déterrent l’affaire.
RudibertKunzet Rolf-Dieter Müller [8], María Rosa de Madariaga [9], Carlos Lázaro [10], ÁngelViñas [11], Sebastian Balfour [12], et d’autres [13] dévoilent l’affaire sur la base des sources et fonds documentaires des archives militaires espagnoles. La société civile s’en mêle, le journal Le monde Amazigh, des experts, chercheurs, militants… Il n’est pas une famille rifaine qui n’ait parmi ses parents au moins une personne atteinte de cancer.
Des bombes chimiques pour faire le plus de mal
Il est aujourd’hui incontestable, qu’en dépit de l’illégalité, il a été fait usage d’armes chimiques de destruction massive, de type ypérite (gaz moutarde), phosgène et chloropicrine contre les rifains, tout particulièrement, entre 1923 et 1927, principalement par l’Espagne et accessoirement par la France. Au début, les bombes furent utilisées par l’artillerie, et par la suite, pour la première fois dans l’histoire, les bombes chimiques furent larguées par l’aviation. Le premier bombardement par voie aérienne, à base d’Ypérite eu lieu les 14, 26 et 28 juillet 1923 [14]. A partir de 1924, l’usage des armes chimiques de destructions massives s’intensifie. L’approvisionnement n’est plus un problème puisque l’Espagne assure elle-même sa production et la manipulation de ce type d’armement est rodée. Les cibles visées étaient non pas les belligérants mais la population civile, les lieux de bombardement furent les marchés et le jour des bombardements les jours où se tenait le marché hebdomadaire où rappliquaient les populations pour leurs achats et ventes.
Victimes d’hier et victimes d’aujourd’hui
Ces armes chimiques de destruction massives n’avaient aucune incidence immédiate sur ceux qui se trouvaient loin des explosions. Mais, par la suite, ils souffraient de douleurs intenses dans leurs corps et organes internes. Outre les hommes et les animaux, la végétation et l’environnement en souffrait. Or, plus grave, les victimes ne sont pas seulement celles qu’il y a des décennies ont pu subir directement les effets de ces armes, sinon également leurs héritiers. L’utilisation de ces armes chimiques est d’actualité en raison de la relation de cause à effet entre ces mêmes armes de destruction massive et des maladies diverses telles que les cancers du larynx et du pharynx dont sont atteint les habitants de la région du Rif. Les statistiques des hôpitaux marocains attestent que le taux de certains cancers atteint un pic alarmant dans la région du Rif. Un taux de près de 80 % et sans commune mesure avec les autres régions du Maroc. La raison mise en évidence par l’histoire et les experts est précisément l’utilisation de ces armes chimiques de destruction massive.
Des effets mutagènes et cancérigènes
En ce qui concerne l’ypérite, divers rapports et études faits par des scientifiques de renommée internationale, affirment, notamment, les effets cancérigènes et mutagènes de cette même ypérite. Faisant suite aux bombardement effectués sur Halabja, en 1998, le Dr Christine Margaret Gosden, professeur à l’université de Liverpool, titulaire de la chaire de médecine génétique, écrit, en 1998, [dans un rapport pour l’Institut de recherches sur le désarmement des Nations Unies], avoir relevé « des cas de cancers rares, des malformations chez les enfants, de fausses couches, d’infections pulmonaires récurrentes et de problèmes neuro-psychiatriques graves. Le gaz moutarde (ypérite) a brûlé des cornées, provoquant des cécités. Des cancers risquent de n’apparaître que cinq à dix années après l’exposition ». C’est ce que confirme, également, Fred Pearce et d’autres [15].
Ainsi, les travaux scientifiques menés par les experts confirment les effets mutagènes et cancérigènes des armes chimiques employées. Le caractère mutagène signifie qu’il y a une mutation qui s’opère dans les gènes et qui se transmet entre héritiers. Tandis que le caractère cancérigène signifie que ces armes ont pour conséquence des cancers, qui ainsi sont transmis de génération en génération.
La France complice et responsable directe
L’Espagne ne disposait pas de ce type d’armes chimique de destruction massive. Comment dès lors se les procurer? C’est là que la complicité de la France apparaît avec la société Schneider. Tout en condamnant l’utilisation des armes chimiques, la France ne s’est pas privée de les vendre à l’Espagne et même de former des techniciens. Par la suite intervient le Dr. Allemand Hugo Stoltzenberg et la société du même nom. Mais l’achat de ce type d’armes n’est pas suffisant, et c’est pourquoi il est décidé de les produire sur place. Cela s’est fait à Madrid même dans la fabrique de la Marañosa, au demeurant toujours en activité, puis dans le Rif, entre Melilla et Nador. Le secret est tel que les concernés ne parlent pas d’armes chimiques, on parle plutôt de « gaz », de «bombes x», de «bombes spéciales»,…
Ainsi, la France, s’est retrouvée, au début du siècle passé, responsable d’un protectorat sur le Maroc, (Ex-Empire chérifien marocain) et, en vertu de ce protectorat, la France était censée assurer la protection du Maroc dans ses frontières authentiques. Or, il s’en est suivi un dépeçage, une partition et une pseudo «pacification» par les armes et le sang.
En tant que nation dite «civilisée», la France était tenue par le droit coutumier et conventionnel de la guerre de protéger, notamment, la population civile et de ne pas se rendre complice ou utiliser elle-même contre cette même population sans défense et non combattante des armes prohibées.
Les documents, archives et études témoignent de ce que, dans un premier temps, la France s’est rendu complice de l’Espagne à laquelle elle a vendu des armes chimiques de destruction massive avant de les utiliser elle-même contre les rifains, (population du nord du Maroc), lors de la guerre de libération conduite par le président Mohamed Abdelkrim El Khattabi. La guerre chimique contre le grand Rif est non seulement une violation des règles les plus élémentaires du droit de la guerre mais de surcroît et encore plus grave les héritiers des victimes d’hier continuent de souffrir aujourd’hui encore. En effet, de nombreuses études génétiques d’experts confirmés démontrent et témoignent des effets mutagènes et cancérigènes des armes utilisées : l’ypérite ou gaz moutarde, le phosgène, le disphosgène et la chloropicrine.
Le rapport de cause à effet
Le rapport de cause à effet entre ce type d’armes et les cancers n’est plus à prouver et a été démontré scientifiquement, de même que les effets mutagènes, sans parler des conséquences psychologiques. Et d’un point de vue strictement juridique, il y a dans cette affaire, primo, une faute en raison de la violation de la légalité, secundo, un préjudice énorme qui se poursuit dans le temps et, tertio, un rapport de cause à effet entre la faute commise et le préjudice subi.
La France saisie pour sa responsabilité
Le chef de l’Etat français a été saisi par deux fois, par l’AMA, à l’effet d’obtenir réparations comme suite aux effets de la guerre chimique contre le grand Rif.
Au nom de la continuité de l’Etat français, deux idées essentielles sont portées à l’attention du chef de l’Etat français:
1- l’utilisation et la complicité dans l’utilisation d’armes chimiques de destruction massive contre des populations civiles ;
2- les effets cancérigènes et mutagènes des armes chimiques de destruction massive utilisées.
Le pays qui se veut des droits de l’homme peut-il rester insensible à l’injustice, à la violation des droits les plus élémentaires et aux préjudices subis par des populations civiles sans défense ? Le but de la saisine est d’attirer l’attention du chef de l’Etat français sur le rôle que la France a pu jouer au mépris des règles élémentaires et préceptes de l’humanité et surtout d’agir de votre autorité pour que l’Etat français :
- Reconnaisse officiellement les responsabilités de la France pour les actions militaires à l’encontre de la population civile du Rif durant les années 1921-1927 ;
- Organise et célèbre des actes de réconciliation et de solidarité avec les victimes, leurs descendants et la société rifaine comme forme d’expression de la demande de pardon de la part de l’Etat français ;
- Facilite le travail d’investigation des historiens et de tous ceux souhaitant connaître les faits historiques à travers les archives militaires françaises ;
- Révise les annotations, références et chapitres relatifs aux campagnes militaires menées par l’Etat français qui occultent l’usage des armes chimiques et/ou tergiversent sur la vérité historique ;
- Appuie les associations culturelles et scientifiques dédiées au travail de recherche des effets de l’emploi des armes chimiques dans le grand Rif ;
- Règle les compensations économiques de caractère individuel qui pourraient être réclamées pour les dommages causés ;
- Contribue à la réparation des dommages collectifs et à la compensation de la dette historique ;
- Dote les hôpitaux du Rif et particulièrement ceux de Nador et Al Hoceima d’unités sanitaires spécialisées dans le traitement oncologique qui contribuent à réduire les hauts pourcentages de maladies cancérigènes.
Une première lettre du 12/03/2015 a donné lieu à une réponse, une déclaration de bonne intention, qui depuis est restée sans suite. Aussi, une seconde lettre a été remise à l’Elysée, récemment, qui fait mention de l’intention aux recours judiciaires à défaut d’un règlement amiable.
LEGENDE :
Les différentes bombes utilisées étaient désignées par des clés :
C-1 = (Ypérite de 50 kg);
C-2 = (Ypérite de 10 kg);
C-3 = (Phosgène de 26 kg);
C-4 = (Chloropicrine de 10 kg);
C-5 = (Ypérite de 20 Kg) ;
Etc.
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[1] Les Crimes de guerre :« D’après le Statut de Rome, toute infraction aux Conventions de Genève du 12 Août 1949 perpétrée contre toute personne ou tout bien est considéré comme crime de guerre :
- a) L’homicide intentionnel ;
- b) La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
- c) Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ;
- d) La destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
- e) Le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d’une puissance ennemie ;
- f) Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;
- g) La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ;
- h) La prise d’otages ».
« D’après le Statut de Rome, est un crime de génocide tout acte qui a l’intention de détruire, tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux :
- a) Meurtre de membres du groupe ;
- b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
- c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».
Les crimes contre l’humanité sont définis comme quelconques des actes suivants lorsqu’ils font partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile, et en connaissance de cette attaque :
- a) Meurtre ;
- b) Extermination ;
- c) Réduction en esclavage ;
- d) Déportation ou transfert forcé de population ;
- e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
- f) Torture ;
- g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou
toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
- h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
- i) Disparitions forcées de personnes ;
- j) Crime d’apartheid ;
- k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. D’autres définitions de chacune des définitions précédentes sont précisées dans l’Article 7, paragraphe 2 du Statut de Rome.
Depuis 1942 et la découverte par Auerbach et Robson de l’activité mutagène du gaz moutarde ou « ypérite », la liste des agents radiomimétiques n’a cessé de s’accroître. (…) ». In : Les effets génétiques des rayonnements ionisants. Luigi GEDDA. « De geneticamedica » – Pars III ; Edizionidell’istituto « gregoriomendel » – Roma 1961. Pages 10 et 11.
http://www.fondationlejeune.org/Content/hercher/Do… Voir églt., Mimoun Charqi. Armes chimiques de destruction massive sur le Rif. Déc. 2014.