Aspects de l’Islamisme au Maghreb

DR. MOHAMED CHTATOU: Anthropologue et linguiste

Au milieu des années cinquante et au début des années soixante du siècle dernier, après l’indépendance du colonialisme français, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, se sont embarqués dans la modernité, prudemment mais sûrement.

Ainsi, les femmes ont reçu  l’éducation, en principe, sur un pied d’égalité que les hommes, et le chemin a été balisé pour plus d’égalité et d’équité dans le future. En Tunisie, tout de suite, cette égalité a été rendue encore plus réelle et substantielle, sous la direction du président féministe Habib Bourguiba, le héros national de l’indépendance, qui a offert aux femmes, sur un plateau d’argent, un code de famille, considéré comme le plus audacieux et le plus  avancé de son genre dans le monde arabe, du temps, très traditionnel, tribal à outrance, patriarcal de nature et conservateur dans l’âme.

Au début des années 1970, il y avait, il faut le dire, une montée, sans précédent,  du socialisme et du communisme dont le but escompté était de renverser la monarchie au Maroc et de créer des entités socialistes en Algérie et en Tunisie. Ce grand projet de société a échoué lamentablement au Maroc et en Tunisie, mais a réussi en Algérie. Néanmoins, les trois pays étaient assurément sur le chemin de la modernité, mais pas de la démocratie.

Au Maroc, après les coups d’état militaires de 1971 et 1972, la monarchie exécutive devint répressive davantage, une période qui a été étiqueté « années de plomb »; en Algérie l’absolutisme socialiste de Boumedienne est devenu pratique courante, alors que la Tunisie s’est transformé en une dictature éclairée.

En 1979, avec l’avènement de la révolution iranienne et l’accaparation du pouvoir par les Mollahs, la région arabe connut, par ricochet, un grand changement: la montée de l’Islamisme. Cette poussée a été rendue inévitable par deux événements importants: la détermination de la théocratie iranienne d’exporter sa révolution chiite vers le reste du monde musulman et surtout les pays arabes et la prise de contrôle militaire et politique de l’Afghanistan par l’URSS en 1979.

Menacé par le Grand Ours soviétique dans le nord et le chiisme persan à l’est, les pays du Golfe arabe ont réagi, sans penser aux conséquences, par le financement généreux du jihad salafiste pour combattre d’abord les Soviétiques en Afghanistan et plus tard l’influence chiite au Moyen-Orient. Ce qui provoqua automatiquement, ainsi,  la naissance de l’al-Qaïda, une nébuleuse terroriste et insaisissable à la sauce du wahabisme, Islam tribal et austère de l’Arabie Saoudite.

Ce fut le début de l’influence orientalisante ( shar9anat)  du monde musulman par la pratique religieuse, le code vestimentaire et un vaste programme de prédication ( da3wa) tous-azimuts en faisant usage la littérature, la télévision, la radio et l’Internet, pour diffuser les préceptes l’Islam radical et du wahhabisme, appelants au retour à la tradition bienveillante des bons et pieux musulmans du passé ( salaf sali7) .

Comme ce retour au passé avait déjà eu lieu au Moyen-Orient, les pays du Maghreb ont décidé de faire de même, par pur suivisme, en commençant par l’arabisation catastrophique des programmes d’enseignement, afin, apparemment, de contrer l’influence culturelle française et occidentale. Ce mouvement dicté par un Islamisme mitigé et un nationalisme pur et borné,  allait par la suite avoir de terribles conséquences au Maghreb tant sur le plan éducatif, économique que culturel.

Au Maroc, la montée de la ferveur militante islamiste de la Chabiba Islamiyya, fondée par Abdelkrim Moutii et aussi d’Al Adl Wal Ihsane, deux organisations salafistes qui ont défié le pouvoir royal et ont, du même coup, nié ouvertement à la monarchie Alaouite conservatrice ses légitimités religieuses et historiques. Le chef de cette dernière composante politique, Abdessalam Yassine, avait même « osé » envoyer à Hassan II une lettre en 1973 intitulée: « L’Islam ou le déluge» dans laquelle il a demandé candidement au monarque d’abandonner la modernité: « Balayer les partis politiques de côté et venir ici pour nous asseoir ensemble: vous, moi- même et l’armée ». Exaspéré par cette lèse-majesté flagrante et sans précédent dans l’histoire moderne du Maroc, Hassan II ordonna de mettre le Cheikh Yassine en internement psychiatrique, la pire des punitions possibles pour un homme saint d’esprit.

En Algérie, le FIS (Front Islamique du Salut), parti Islamiste à outrance, a été fondée en 1989. Ce parti alors qu’il venait juste d’être fraichement constitué gagna haut la main plus de la moitié des suffrages valables aux élections municipales en 1990, et atteint un pourcentage  de vrai plébiscite lors des élections législatives de 1992 sur usage inopiné du slogan: « L’Islam est la solution». Menacée dans son existence par ce mouvement politique, l’armée  dans un geste de putsch annula les résultats des élections générales, fut dissoudre le parti et emprisonna ses cadres en 1992. Cela a conduit inéluctablement, dans le temps, à une guerre civile sans pareil et très sanglante qui a duré jusqu’en 1998 avec l’arrivée de Bouteflika au pouvoir et a coûté la vie à 250.000 personnes, majoritairement des civils qui furent soit pris entre deux feux ou tué par l’armée ou les Islamistes par pur vengeance aveugle.

En Tunisie, le « président à vie » Habib Bourguiba, sénile, gâteux et capricieux  a été renversé par un coup d’état, sans effusion de sang, par son Premier ministre l’ambitieux général Zine el-Abidine Ben Ali en 1987. Celui-ci  immédiatement renforça son pouvoir autocratique à travers une forme tribale de présidence fondée sur la corruption, le népotisme, la cooptation et une répression policière sans précédent dans les annales de l’histoire du pays.

La république moderniste de Ben Ali, ambitieuse et très personnifiée a été immédiatement rejetée par les Islamistes tunisiens d’Ennahda qui ont appelé à la réislamisation immédiate de la société. Ennahda, le porte-drapeau de l’Islam politique tunisien fut fondé en 1980, été très influencée par la pensée religieuse et salafiste de Sayyid Qoutb et Mawdoudi. Ce parti islamiste, sous la direction de Rachid Al Ghannouchi, est probablement le plus démocratique et le plus modérée de l’ensemble du monde arabe,  soutenant à la fois le pluralisme politique et le dialogue avec l’Occident. Son attitude modérée, cependant, n’a pu le sauver de l’interdiction en 1989, et l’emprisonnement de 25 000 de ses militants en 1992. Exaspéré, les dirigeants d’Ennahda partirent dare-dare  en Angleterre, où ils vont vivre en asile politique jusqu’à leur retour triomphal en Tunisie 2011, après l’avènement du Printemps arabe.

Outre l’impact politique de l’Islamisme sur le Maghreb depuis les années  1980, l’autre aspect saillant et, sans aucun doute, le retour à la tradition et l’impact assourdissant de l’influence de l’Orient arabe ( shar9anat)  sur le grand Maghreb qui se matérialisa par un retour massif à la pratique religieuse et à la croyance salafiste, en particulier chez les jeunes qui rejettent la culture occidentale moderniste et libertine pour cause d’acculturation.

Ce phénomène s’exprime toujours, sans équivoque, de la manière suivante:

Code vestimentaire: 9amis  ou 3abaya pour les hommes avec un turban ou  chechiyya  comme couvre- chef. Hijab pour les jeunes filles et  Ni9ab  ou  Bourka  pour les femmes mariées (Hijab total).  

Médecine alternative: utilisation de  Tibb Nabawi  (la médecine du Prophète) au lieu de la médecine conventionnelle et une large utilisation des plantes médicinales et de la médecine religieuse ( ro9ya de char3iya).

TV islamique: regarder des émissions islamiques qui émettent, en boucle, et propagent les messages de prédicateurs populaires tel l’égyptien Omro Khaled, versets psalmodiés du Saint Coran et chants religieux ( anachid) .

Le langage religieux: utilisation d’expressions d’inspiration religieuse tels que  jazak Allahu khayran  au lieu de  choukrane . L’utilisation de  salam alaikoum au  lieu de  ‘ahlan . Utilisation d’ Allah ikhalik « s’il te plait » au  lieu des  men fadlek , etc.

Prière: inciter à entreprendre la plupart des prières à l’heure exacte et dans la mosquée même pendant les heures de travail. Les magasins sont fermés pendant les heures de prière et le vendredi, comme en Arabie Saoudite.

Mosquées: aider à recueillir les fonds nécessaires pour construire des mosquées partout dans le pays.

Collecte de la Zakat: aider à collecter  Zakat  (taxe religieuse de 10% sur le gain annuel) et l’utilisation de cet argent pour aider les pauvres à payer pour l’éducation de leurs enfants, les frais d’hospitalisation et de médicaments ou démarrer bonnement une entreprise.

Distribution alimentaire en faveur des indigents: Organiser des ruptures du jeûne collectifs ( iftar)  pendant le Ramadan et distribuer des moutons gratuits aux nécessiteux pour la fête du sacrifice ( 3id al ad7a) .

Adoption de la finance islamique : boycott des banques à intérêts « usuriers » (riba) dans l’attente de l’institution des banques islamiques participatives.

Ouverture des écoles coraniques : aider à collecter des fonds pour ouvrir des écoles coraniques fin de permettre aux enfants des croyants musulmans d’obtenir une éducation religieuse gratuite sous l’égide de cheikhs salafistes dont le « seul but dans la vie est la gloire de l’Islam et la diffusion de sa parole divine ». Les enfants des écoles coraniques serviront à bon escient plus tard dans l’action politique ainsi que dans la prédication.

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