Ibnou cheikh: un peintre talentueux du terroir nous livre une fresque féerique du monde amazigh

Par: Dr. Mohamed Chtatou

Traditionnellement l’art pictural Amazigh s’exprime surtout chez la gente féminine par le biais des tapis, des Hanbels, des tatous et de la poterie, surtout depuis l’avènement de l’islam en Afrique du Nord en 656 et la prohibition de toute forme d’art figuratif. Mais après l’indépendance en 1956, l’art plastique est revenu au devant de la scène, expressif des états d’âme et émotions et revendicatif de liberté, de démocratie participative et réelle, de reconnaissance culturelle et surtout d’identité.

Ibnou Cheikh est un descendant d’une grande famille d’érudits amazighs et de nationalistes de première heure du sud marocain. Alors que le reste de sa famille manie avec droiture le qalam (je pense ici à sa sœur Amina Ibnatou Cheikh, rédacteur en chef du journal Monde Amazigh), lui il a opté pour le pinceau, en autodidacte, de grande valeur artistique et de sensibilité à fleur de peau.

Cette sensibilité se manifeste dans les couleurs vives symbolisant la vie et l’espoir de tout un peuple et sa civilisation séculaire. Les motifs sont doux, harmonieux et multiples, aussi multiples et complexes que le quotidien du peuple Amazigh, colonisé jusqu’à la moelle osseuse, manipulé sans scrupules et trahi par les siens et tous les autres.

Les toiles d’Ibnou Cheikh le trahissent, il est le fils de ce grand amghar amazigh du sud. Il porte son amazighitude avec fierté et honneur, dans son cœur et sur sa peau, en défi à l’acculturation et le déni, pour crier à vive voix, sous forme de lignes et de motifs évocateurs, que les Amazighs meurent toujours debout et avec grande fierté et honneur.

Terre ocre

Dans les tableaux de ce grand artiste on sent la terre fraiche et généreuse de l’arrière pays amazigh, certes oublié du centre et son système ingrat, mais toujours debout avec défi et honneur. Cette terre ocre irriguée par le sang de ses fils pour que vive à jamais, dans la gloire, la culture millénaire des fiers et nobles Amazighs. Cette terre qui a donné naissance a Diya (al-Kahina), Kosseila, Tarik ibnou Zayad, Youssef Ibn Tachfin, Mansour Dahbi, Ibn Khaldoun, Ibn Batouta, Ben Abdelkrim Khattabi, Moha ou Hamou Zayani, etc. pour ne citer que quelques uns.

Cette terre nous interpelle de vive voix pour aller de l’avant afin de se battre contre l’oubli et la haine des fanatiques écervelés, des parvenus sans âme aucune et des opportunistes sans cœur.

Sur les toiles de ce grand peintre amazigh on voit, dans son âme, cette terre, dénudée et dépouillée comme toujours mais pleine de vie et d’espoir, on hume le parfum des cèdres millénaires du Moyen Atlas qui rappellent à qui veut l’entendre que l’amazighité de ce pays est préhistorique pour ne pas dire un test au temps. On voit les palmiers dattiers antédiluviens des oasis et Ksours  du sud-est qui s’élancent haut dans le ciel avec orgueil et fierté offrant au passant un fruit généreux et mielleux.

Ces tableaux nous font respirer l’air pur des cimes enneigées du Toubkal, s’élançant dans le ciel pour clamer haut et fort l’authenticité du pays amazigh et la noblesse de ses habitants et leur générosité proverbiale.

De gauche a droite : moi-même, Rachid Raha, Ibnou Cheikh et un fan du peintre

Trinité amazighe

Les couleurs généreuses de ce grand peintre autodidacte qu’est Ibnou Cheikh, ce fils digne d’un grand amghar amazigh de tous les temps, nous ramènent en mémoire un grand concept anthropologique du terroir vieux comme le temps : la trinité amazighe. Cette trinité qui a permis la perpétuation de la culture alors que plein d’autres ont malheureusement disparu de la face du monde à cause de la globalisation nocive et dénaturante.

Cette trinité s’articule autour de la terre Akkal/tammurt/tamazirt, des liens de sang ddam et de la langue tamazight. La civilisation amazighe a survécu à  l’usure du temps et des cultures envahissantes grâce à l’amour infini que les autochtones de l’Afrique du Nord portent a la terre qui les nourrit, les protège et les fortifie. N’est il pas le cas que l’amazighité continue à défier le temps parce que les montagnes (akkal) l’ont protégé contre l’acculturation et l’invasion ?

L’amour des Amazighs pour la terre se manifeste dans l’agriculture et les célébrations de ses dons généreux en été, lors des moussems. Des célébrations de remerciements au bon dieu pour son don de fertilité et sa générosité. Cette célébration on la retrouve des plus belles chez les anciens amazighs des Jbalas, en particulier le clan des Ait Serif ou les musiciens les plus anciens de la Méditerranée, Jahjouka, célèbrent la fertilité en musique et dance durant leur festival annuel connu sous le nom de bou irmawen.

Jahjouka, un groupe de musiciens amazighs des Jbalas vieux de 4 000 ans et célèbre de part le monde

Chez les Amazigh les liens de sang sont sacrés dans le mariage, dans la paternité et les appartenances familiales. En effet, deux tribus signent leur alliance par un mariage. Le sang  dans le contexte du sacrifice et aussi signe de réconciliation, de demande de pardon et de respect. Il est aussi le symbole d’hospitalité, on égorge un mouton pour souhaiter la bienvenue à un invité quelconque.

Des toiles qui vibrent d’appartenance

L’art pictural dIbnou Cheikh vibre d’amazighité avec force, on sent le sentiment de l’appartenance à cette civilisation millénaire qui a marqué le pourtour Méditerranéen par ses hommes, ses faits historiques et sa culture authentique.

On raconte que William Shakespeare  (1564–1616) avait durant sa vie rencontré un chef de guerre amazigh qui défendait,  avec courage et témérité à la tête de son armée, la riche  ville-état de Vénice. Shakespeare l’a immortalisé dans sa pièce de théâtre Othello qui est passé à la postérité. Ce chef et guerrier amazigh était grand, généreux et noble, aimé par ses amis et craint par ses ennemis.

Le travail plastique d’Ibnou Cheikh est tellement fort et magnétique qu’il vous transporte de façon spectaculaire dans le monde amazigh, cet espace d’authenticité, de tolérance et de paix. Ce monde de montagnes féeriques à vous couper le souffle, de vallées heureuses et de plateaux magiques ou l’homme est libre comme le vent et ou la vie coule à flots, doucement et surement : un vrai havre de paix en perspective.

Bien que le monde amazigh de notre grand peintre est oublié des siens et presque mis en quarantaine par les jaloux et les ennemis de l’authenticité, il pétille de vie, de créativité, de bonheur et de générosité. Dans ce monde on vous reçoit avec sourire et sincérité, on vous dorlote avec amour et affection et on communique avec vous à cœur ouvert, sans arrière pensée aucune.

Merci Ibnou Cheikh pour ce merveilleux travail artistique qui nous comble de bonheur et de gaité et nous transporte sur les ailes de ses couleurs vives, lignes apurées et motifs magiques dans un monde féerique  qu’est le monde amazigh, loin des tracas de la vie quotidienne.

Allez nombreux voir l’exposition du peintre Mohamed Ibnou Cheikh intitulée: «L’écho de la couleur» à l’Institut Cervantes de Rabat, activité organisée par ce grand institut espagnol en coopération avec le Ministère marocain des Affaires Etrangères et de la Coopération, tout au long du mois de Décembre 2016. Bonne visite.

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