La célébration de Nnayer à Figuig

Par: Hassane Benamara

Il s’ait d’une note sur la manière dont on célèbre Nnayer dans les ksour de Figuig au sud-est du Maroc à l’instar de tous Imazighen du monde.

Cette fête et célébration obéit au principe de la générosité et du partage. Il faut que la substance vitale, la nourriture, circule avec générosité et toute avarice est jugée négativement et considérée comme nocive à la régénérescence de la nature et à la vie de la communauté.

Nnayer est l’occasion de générosité absolue pour tous les aliments et pour toutes choses. La prière de bon augure suivante explicite ce fait :

An ntech al d nilez !
Niṛḍ al d nilez !
Nsew al d nilez !
Neṭṭeṣ al d nilez !
Naden al d nilez !

Qu’on mange jusqu’à ce qu’il en reste
!Qu’on s’habille jusqu’à ce qu’il en reste !
Qu’on boive jusqu’à ce qu’il en reste !
Qu’on dorme jusqu’à ce qu’il en reste !
Qu’on se couvre jusqu’à ce qu’il en reste !

Pendant Nnayer on laisse de la nourriture dans les marmites et on remplit tous les ustensiles disponibles avec cette matière vitale. Ce principe de générosité s’érige même en coutume relative à toute prise de repas : en buvant du petit-lait en commun, on s’efforce de ne pas être celui qui achève ce liquide. De celui qui boit la dernière gorgée, on dit qu’il a étouffé sa mère iḥney yemmas. Mais les buveurs d’alcool disent de celui qui boit la dernière gorgée d’une bouteille qu’il va se (re)marier. C’est ainsi qu’on vit rituellement les rythmes cosmiques.

Nnayer ou yanayur (le jour de l’an)

La célébration du nouvel an est considérée dans le monde scientifique comme rituel cosmogonique, de rénovation du Monde et de renaissance de la Vie. En célébrant le nouvel an, on souhaite annuler l’année écoulée et expulser ou éviter les forces maléfiques, les maladies et les disettes qui s’y sont manifestées.

Nnayer correspond au premier mois de l’année agraire/amazighe et c’est le milieu de l’hiver local. Ce jour correspond au 14 janvier grégorien. Sa veille (le 13) est dite igzinen (petit d’un animal comme le chiot, le lionceau…) ; pendant cette nuit, on fait un couscous de blé aux multiples légumes utšu n yirden au dîner pendant lequel chaque membre de la famille reçoit ou prend une boule de beurre d’où le nom igzinen. Après ce mets, on laisse une boule de couscous dans une louche à l’intérieur d’une marmite : c’est le dîner des esprits ou des fantômes izɣuɣen ou izquqen. Toutes les créatures auront à manger. Il faut qu’une partie du repas reste pour que –présage– la nourriture soit abondante durant toute l’année. Cette fête est fondée sur l’abondance et le renouvellement : on laisse une boule de datte sur aylim (peau qui sert d’établi pour la préparation de la farine), du couscous dans une louche, de la sauce dans la marmite et on remplit tous les ustensiles en notre possession de nourriture pour que l’année soit abondante. Il faut qu’il y ait un reste de nourriture. « Il ne faut pas que Nnayer arrive et trouve les gens dans la faim car ils risqueront d’y rester, dit la sagesse locale. » On nettoie la maison, on nettoie les âtres ou foyers de feu et supprime toutes les cendres qui s’y trouvaient et on se fait beau. On enterre l’année passée pour célébrer la suivante dans la propreté, la satiété, la gaité et l’abondance. On enterre ou anéantit les restes et les ruines de l’année précédente pour que quelque chose de véritablement nouveau puisse commencer. Le jour de nnayer, on organise un berkoukes (couscous de gros grain) avec tous les légumes disponibles, toutes les viandes et tripes disponibles et variées au déjeuner (viandes rouges, viandes blanches, viandes conservées ou non, tripes asséchées ou non etc.). Dans ce repas, on enfouit un noyau de datte ; celui qui le trouve au cours de la prise du repas est considéré comme le plus chanceux de sa famille mais aussi comme celui qui doit la prendre en charge pendant une année. Certaines familles utilisent trois à sept noyaux de dattes ou même une datte entière.

Au sujet du passage du temps, le moment le plus significatif de l'année est certainement la célébration du nouvel an. Mircea Eliade constate «qu’il existe partout une conception de la fin et du début d'une période temporelle fondée sur l’observation des rythmes bio cosmiques (1)» En tant que période de transition, le passage au nouvel an reprend un modèle cosmogonique, celui du passage du Chaos au Cosmos : la Création. Tout ce qui a eu lieu avant cette nouvelle Création est détruit à l’exemple des péchés qui sont annulés grâce à l’expulsion d’un bouc émissaire.

Source : Benamara Hassane, Une mythologie berbère, L’Harmattan, 2021, pp. 170-172.

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