La guerre chimique contre le Rif (10éme Partie)

GAZ TOXIQUES CONTRE LE RIF : Paco SOTO

De nombreuses études historiques établissent que l’armée coloniale espagnole a utilisé des armes chimiques durant la guerre du Rif ; un fait qui n’a pas été reconnu officiellement.

Nador (Nord-Est du Maroc, 18 février.
(COLPISA. Paco SOTO).

Entre 1921 et 1927, selon divers historiens espagnols, tels Maria Rosa De Madariaga, Angel Vinas et Juan Pando, et européens comme Sébastien Balfour et Jean Marc Delaunay, l’armée coloniale espagnole a bombardé systématiquement, avec des armes de destruction massive comme le phosgène, la chloropicrine et l’ypérite ou gaz moutarde, la population du Rif pour en finir avec la rébellion indépendantiste dirigée par Abdelkrim El Khatabi.

Le Rif est une région du Nord du Maroc de culture et de langue amazigh, rebelle et historiquement hostile à la présence espagnole de l’époque coloniale.

Les autorités espagnoles d’alors ouvrirent deux fabriques d’armes chimiques en 1924, l’une près de Madrid et l’autre non loin de Melilla (enclave espagnole au Maroc), avec l’assistance d’experts allemands et français.

Selon les historiens, l’Espagne parvint à produire 470 tonnes de gaz toxique et utilisa 530 avions de construction française, allemande et danoise, pilotés dans divers cas par des mercenaires européens et nord américains, pour bombarder le Rif.

En vertu du traité de Versailles de 1919, les alliés vainqueurs interdisaient à l’Allemagne vaincue la fabrication d’armes chimiques et le protocole de Genève de 1925 élargit cette interdiction à tous pays. Néanmoins et en dépit de ces normes, les historiens Maria Rosa De Madariaga et Carlos Lazaro Avila, dans une étude conjointe, établissent que l’Espagne a utilisé massivement des gaz toxiques durant la guerre du Rif et la France le fit en 1925 aux alentour de Fès, une cité située dans la zone sous son contrôle colonial.

DES BOMBARDEMENTS PASSES SOUS SILENCE

Les bombardements espagnols furent passés sous silence, mais certains observateurs de l’aviation militaire comme Pedro Tonda Bueno, dans son autobiographie «La vida y yo», [La vie et moi], publiée en 1974, se réfère au lancement de gaz toxiques depuis des avions et le consécutif empoisonnement des champs rifains. En ce qui le concerne, Ignacio Hidalgo De Cisneros, dans son œuvre autobiographique «Cambio de rumbo» [Changement de cap], révèle comment il fut protagoniste de nombreux bombardements avec des gaz toxiques. Plusieurs années après, en 1990, deux journalistes et investigateurs étrangers, les allemands Rudibert Kunz et Rolf Dieter Müller, dans leur œuvre «Gaz toxique contre Abdelkrim: L’Allemagne, l’Espagne et la guerre du gaz dans le Maroc espagnol. (1921-1927)» apportent les preuves de ce qui était arrivé dans la région rebelle.

L’historien britannique Sebastien Balfour, de la London School of Economics, dans son livre «Abrazo Mortal» [Embrassade mortelle], (Editorial peninsula), confirme l’emploi massif d’armes chimiques dans les terres rifaines. Balfour, qui a étudié de nombreuses archives espagnoles, françaises et britanniques, soutient que la stratégie des militaires coloniaux espagnols se basait en prendre des zones très peuplées du Rif pour lancer des bombes toxiques.

Ainsi le confirme, par exemple, un officiel britannique, H. Pughe Lloyd, dans un courrier envoyé au Ministre de la guerre de son pays en 1926. L’Espagne, qui compta avec la collaboration active de la France durant la guerre contre les rebels – un conflit qui provoqua la mort de 20.000 soldats espagnols – n’a jamais reconnu officiellement les faits.

Les historiens franquistes turent l’affaire et les autorités marocaines n’ont pas démontré le moindre intérêt pour clarifier les faits. meme apres l`independance ce territoire a ete maintenu dans un état de marginalisation économique et sociale.

CONSEQUENCES CATASTROPHIQUES

L’utilisation d’armes chimiques a provoqué des conséquences catastrophiques pour la santé de la population rifaine, qui souffre d’infections et mutations génétiques qui provoquent des cancers.

Ainsi l’ont établi, dans leurs investigations des scientifiques étrangers et marocains comme le psychologue et criminologue Ahmed El Hamdaoui. Le propre Institut Oncologique de Rabat étudie les raisons pour lesquelles le cancer est une cause de mortalité plus fréquente dans le Rif que dans le reste du Maroc.

Certains experts considèrent que ce fait est une conséquence directe de l’utilisation des armes chimiques. C’est ainsi que l’affirme l’historien Sébastien Balfour. Le chercheur et médecin de Tanger Abdelouahed Tedmouri explique à Colpisa qu’à partir d’une série d’études comparatives et «constatations cliniques» qu’il a mené, il est en condition d’affirmer que «la moitié des cancers qui se détectent au Maroc, 50% sont dans le Rif, et cela doit déjà être sujet de préoccupation».

Tedmouri compare les indices de cette maladie dans le Rif avec d’autres régions méditerranéennes d’Europe comme l’Andalousie et le Sud de la France, qui ont un climat, une alimentation et un mode de vie fort semblables. Il arrive à la conclusion que «tandis que dans le cas espagnol ou français la différence avec les autres régions est minime, dans le cas du Rif elles est abyssale si elle se compare avec le reste du Maroc». Selon son jugement, «il y a des causes externes qui provoquent un plus grand indice de cancers dans le Rif et il s’agit des conséquences de la guerre chimique des années 20». Les témoignages de rifains qui ont perdu des parents pour cause de cancer sont nombreux. Ilyas El Omari, président de l’Association de défense des victimes des gaz toxiques dans le Rif, affirme que son père mourut du cancer à 45 ans, mais aussi son grand père et plusieurs de ses oncles.

L’ESPAGNE DOIT RECONNAITRE PUBLIQUEMENT QU’ELLE A COMMIS UN CRIME CONTRE L’HUMANITE DANS LE RIF

Des mouvements sociaux amazighs du Rif et défenseurs des droits humains, ainsi que des chercheurs marocains et étrangers se sont mobilisés pour dénoncer «l’usage systématique» d’armes chimiques par l’armée coloniale espagnole durant la guerre coloniale. Ils demandent à l’Espagne qu’elle envisage des moyens de réparation morale et matérielle pour les préjudices causés à la population et envisagent même de saisir le propre roi Juan Carlos I pour atteindre leur objectif.

Des secteurs importants de la population rifaine croient que «l’Espagne doit faire un pas et reconnaître publiquement qu’elle a commis des crimes contre l’humanité dans le Rif», exprime à Colpisa le journaliste, anthropologue et activiste culturel rifain Rachid Raha. «Nous ne demandons pas vengeance, mais face à la réconciliation et à la vérité historique, nous pensons que l’Espagne doit assumer ce qui s’est passé dans le Rif», précise le psychologue Ahmed El hamdaoui.

Des centaines de personnes se sont réunis pour débattre sur la guerre du Rif. Le colloque, que la police tenta d’interdire sans succès, fut organisé par le journal «Le monde Amazigh» et réunit à plusieurs personnalités marocaines et espagnoles. selon les explications du juriste et professeur universitaire de Melilla, Mimoun Charqi, est d’utiliser diverses voies légales pour obtenir réparation morale et matérielle : saisir les tribunaux espagnols et/ou français contre Madrid et Paris ainsi que les entreprises françaises (Schneider) et allemande (Stolzenberg) qui fabriquaient et vendaient les gaz toxiques, voire recourir à la Cour européenne des droits de l’homme qui est compétente «lorsque les voies de recours internes ont été épuisés et que le demandeur n’obtient pas réparation. L’Espagne a commis un crime historique et a causé un préjudice à la population du Rif, et doit en répondre en assumant sa responsabilité politique et juridique.

La meilleure façon de faire est à travers un partenariat véritable, en investissant économiquement dans le Rif et en menant une active collaboration en matière sanitaire, éducative et culturelle. C’est la meilleure façon de compenser le mal du colonialisme, signale Charqi.

Pour sa part, l’historienne Maria Rosa De Madariaga affirme: «L’Espagne a provoqué beaucoup de Guernica dans le Rif avec ses armes chimiques. Je ne m’identifie pas avec ces militaires qui bombardèrent le Rif, car ils étaient mes ennemis et après ils se soulevèrent contre les républicains».

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