La guerre chimique contre le Rif (6éme Partie)

Les plans politico-militaires d’utilisation de gaz toxiques et leur application effective

Si les plans politico-militaires examinaient en théorie l’utilisation massive de gaz toxiques avec fin de causer le plus grand mal possible à l’ennemi et l’obliger à se soumettre, l’analyse de la documentation nous indique que, dans la pratique, ce fut pour des problèmes dans l’obtention de la substance toxique, retards dans la charge des projectiles et bombes d’aéronefs, accidents, des fois énormément graves, dans les magasins de gaz ou des avaries qui obligeaient à interrompre la production, ou bien pour des considérations d’ordre politique, qui ne conseillaient pas toujours leur utilisation, que ni l’Artillerie, ni l’Aviation espagnoles n’arrivèrent à les employer massivement, les limitant, de manière sélective, à des objectifs et tribus très précis. Dans ce sens, dans le cadre d’un plan belliqueux plus complet et global, la guerre chimique dû être circonscrite, dans une stratégie plus ample de « guerre totale », à l’emploi du gaz avec des bombes à haute capacité explosive et incendiaire, non seulement contre des tranchées, blockhaus ou points défensifs rifains, mais aussi contre des marchés, cultures, forêts et n’importe quels éléments névralgiques du système militaire ou civil d’Abdelkrim(41).

L’existence de nombreuses sources documentaires, qui se trouvent dans les archives militaires à la disposition des chercheurs, permettent d’établir l’évolution de l’Aéronautique Militaire espagnole le long du conflit rifain, en laquelle il se met en relief la progressive adaptation du personnel et des appareils de vol à la guerre. Il convient de rappeler que les pilotes espagnols furent déjà, en novembre 1913, les premiers aviateurs de l’Histoire à réaliser un bombardement aérien et leur tactique et matériel furent s’améliorant durant tout le conflit nord africain. Il se rapporte le lancement de gaz par des canons de 155 mm, mais, étant donné les limites de manœuvre de l’Artillerie, entre autres raisons pour la configuration accidentelle du terrain, et de son atteinte ou rayon d’action, son emploi se concentra en des points concrets du front, et le poids de la guerre chimique sur objectifs éloigné – avec son indéniable pouvoir effectif et psychologique – retomba sur l’Aviation, surtout à partir de 1924. Toutes ses recrues durent faire front à un nouveau mode de guerre, pour laquelle ils n’avaient pas été entraînés ni non plus suffisamment avertis sur ses risques. La guerre du Rif sera la première du XXe siècle dans laquelle l’aviation utilisa des gaz toxiques.

Grâce à un document réservé envoyé par le Haut Commissariat du Maroc au Commandant Général de Melilla, nous savons qu’en octobre 1922, il se prit la décision de créer une commission pour l’étude de l’emploi de bombes et de la fabrication de gaz toxiques pour l’Aviation(42). Entre temps, pour pouvoir réaliser des attaques avec gaz toxiques il fallu recourir aux stocks étrangers, qui fournirent des bombes de 11 Kg, et l’assistance technique pour la charge de projectiles d’Artillerie ; concrètement de la maison française Schneider qui apporta matériel et techniciens au Parc d’artillerie des ateliers militaires de Melilla. La première attaque aérienne avec gaz toxique fut réalisée par les bimoteurs (Bristol F.2B du 4e Groupe d’Escadrilles, durant les 14, 26 et 28 juillet 1923, dans le village de Amessaouro (tribu de Temsaman)(43). A partir d’août de cette année, on commence à enregistrer dans la documentation l’existence de bombes de gaz toxiques (identifiées comme bombes X) dans la soute à munition de Nador, avec une moyenne non inférieure à 200 unités(44).

Si nous parlons de gaz toxiques et d’attaques aériennes nous devons inévitablement nous référer aux mémoires de Ignacio Hidalgo de Cisneros. La lecture de ses mémoires, qui doivent être faites prudemment nous conduit à penser que le haut commandement espagnol pensa initialement aux poli moteurs français Farman F.60 Goliath pour le lancement de grandes bombes de gaz. Cet avion, bien qu’il causait divers problèmes pour son maniement et atterrissage dans les aérodromes marocains, était l’unique capable de lancer 4 ou 6 bombes de 100 kilos qui, selon Hidalgo, étaient d’ypérite et avaient été achetées du stock allié de guerre(45).

Les aviateurs et techniciens espagnols initièrent une évaluation de toutes les bombes chargées de gaz toxiques et, suivant la corrélation numérique des bombes de gaz identifiées par le sigle C, ils arrivèrent à la conclusion de ce que le modèle C-5 (chargé avec 20 Kg d’ypérite) était le plus efficace pour les attaques (46). La révision des informations d’emmagasinement et de lancement de bombes des divers gaz toxiques (phosgène, chloropicrine et ypérite) entre les années 1923 et 1927 appuient l’idée du successif perfectionnement en fonction de l’efficacité. Si en 1924 les bombes C-1 (ypérite, 50 Kg) et C-2 (ypérite, 10 Kg) semblent être les plus utilisées, à partir de 1925 et jusqu’à la fin de la guerre du Rif la C-5 s’imposera aux autres. Le haut commandement rapidement se rendit compte de ce que la chaleur de l’aire septentrionale marocaine était préjudiciable pour l’effet du gaz et envisagea la possibilité d’utiliser le gaz dans des vols nocturnes, missions nouvelles qui avaient déjà commencé à se réaliser avant le lancement de gaz toxiques par l’aviation : Il a été demandé à la hiérarchie des moyens pour effectuer des vols de nuit et bombarder les lieux où il y aurait des concentrations ennemies. De même il se disposera rapidement de projectiles chargés de gaz qu’il conviendra de lancer peu avant le levé du jour. Afin que l’efficacité de ceci et de cela soit maximale, il convient que le service d’information précise si possible le lieu où dorment les ennemis réunis en harkas, précisant si c’est le même qu’ils occupent durant le jour ou s’ils se répartissent par les douars les plus proches aux campements de la harka. Melilla, 16 mai 1922(47).

Les bombardements nocturnes, qu’ils fussent par l’Artillerie ou par l’Aviation, avaient pour objet que les gaz ne se volatisent pas par l’effet de la haute température, qu’ils ne s’étendent pas et que leur persistance augmente dans la zone.

Comment des bombes si périlleuses ont-elles été lancées par des équipages peu instruits dans le maniement et la prévention des effets du gaz ? Il est certain qu’il y eut de nombreux problèmes techniques et humains dans le maniement du matériel chimique.

Sebastien Balfour a cité les informations données en 1924 par l’attaché américain Shean(48), en ce qui se réfère à la faible efficacité de l’aviation qui bombarde toujours à la même heure du matin et du soir dans des missions formées par un avion et, exceptionnellement, les jours de marché, par trois. L’absence de facteur de surprise que l’observateur américain fait à l’égard des espagnols s’explique par la simple raison que les hautes températures nord africaines empêchaient les vols à la mi journée ou en milieu de soirée, dû à ce que, comme l’indiquent les renseignements des ateliers de maintenance de l’Escadrille du Maroc, les avaries étaient nombreuses dans les systèmes de réfrigération ou dans le réchauffement des moteurs, ce qui provoquait un dégât accusé des avions(49). Par ailleurs, mis à part le cas des missions de reconnaissance, le fait de destiner un seul appareil pour frapper un objectif était plus en relation avec la tactique espagnole d’économiser moyens et matériel – sans éviter l’objectif psychologique de la présence aérienne permanente – en fonction d’un ennemi dispersé, dont la force résidait, dans les guérillas et auquel on ne pouvait faire obstacle qu’en des moments concrets, comme le jour de célébration des marchés. Sheean ne devait pas avoir connaissance de ce que les espagnols, pour résoudre les deux problèmes, recoururent à la complète tactique des vols de bombardement nocturne avant l’aube et en nuits claires, ce en quoi le dommage des bombes s’unissait à l’effet moral d’empêcher le repos de l’ennemi et de créer un état de guerre permanente.

Balfour aussi indique que la tactique espagnole de vol rasant était très pauvre en résultats, en dépit de s’être inspirée de celle qu’utilisa la RAF en Irak en 1919. I l n’apporte cependant aucune preuve documentaire de ce supposé transfert de méthode de guerre.

Depuis 1913, année en laquelle les espagnols réalisèrent le premier bombardement aérien de l’histoire, la tactique de bombardement s’était beaucoup améliorée, jusqu’au point qu’en 1921 il s’était crée dans les Alcazares (Murcia), l’Ecole de Tir de Bombardement Aérien, où beaucoup de pilotes et observateurs qui volaient en Afrique avaient fait leurs études. Il faut tenir compte de ce que l’orographie compliquée du Rif obligeait à concentrer le feu des mitrailleuses et bombes en des points de difficile accès, les avions étant soumis au feu rifain depuis diverses hauteurs. Ainsi, donc, l’unique façon de fournir des approvisionnement et procurer une couverture aux soldats c’était en réalisant des vols dans lesquels les appareils, à très basse altitude (100 mètres), avec la protection de leurs deux ou trois mitrailleuses, attaquaient l’objectif pour lancer les bombes sous les tirs ennemis ajustés, qui causèrent de nombreuses pertes de membres d’équipages et d’appareils. Cette tactique risquée, baptisée par le journaliste français Maurillac comme « vol à l’espagnole » (50), fut, de toute façon, prohibée par Alfredo Kindelan lorsqu’il assuma le commandement des Forces Aériennes au Maroc le 27 août 1922, pour considérer qu’elle était peu efficace en relation avec l’énorme perte d’appareils et membres d’équipages qu’elle occasionnait (51), orientant la tactique, comme nous le verrons à un bombardement plus systématique et planifié.

Tout le matériel volant se versa dans la campagne et on s’attela à la création d’une réserve suffisante de bombes pour que la couverture sur les objectifs fût continue. Alfredo Kindelan, chef des Forces Aériennes du Maroc, spécifia à la fin de 1923 la nécessité de compter avec ‘ des réserves de 1.000 bombes de 11 kilogrammes incendiaires et autant asphyxiantes, et d’augmenter jusqu’à 12.000 celles de tolite ‘(52). Il y a des documents qui conduisent à penser que l’usage intensif du gaz contre les tribus les plus irréductibles comme celle de Aït Waryaghel (la tribu d’Abdelkrim), fut présent dans l’esprit des stratèges militaires espagnols, qui arrivèrent à calculer qu’’ avec une réserve de 1.000 bombes de 11 kilogrammes de gaz ou 3 de 50 kilogrammes on nettoierait [sic] complètement en jour de calme un kilomètre carré de terrain, c’est à dire, qu’avec quasi 8.000 bombes de 11 kg ou 1.000 de 5, l’atmosphère d’Aït Waryaghel resterait irrespirable avec un coût de 3 ou 4 millions de pesetas ‘(53). Mais la réalité était autre. Les informations reflètent quelles étaient dans la pratique la production et les stocks des poudrières et, en fonction de ces variables, il fallut doser leur emploi, d’après ce qu’il ressort de la documentation consultée : « Puisque l’on ne dispose pas pour le moment de ce type de bombes en quantité nécessaires et, dans le souci de trouver une solution pratique, et rapidement réalisable, je crois que l’action doit se limiter, pour le moment, à bombarder avec du gaz et des bombes incendiaires les villages, les hameaux et les fortifications ennemies, ainsi que les groupes et le bétail, et avec des grenades incendiaires les champs de maiz, les silos et les forêts »(54).

La campagne du Rif, initiée depuis septembre 1921, peut être considérée comme une guerre conventionnelle dans le sens large du terme, avec une composante additionnelle de «guerre chimique». Cette dernière constitua, sans doute, un aspect très important du conflit mais non le décisif. Il est certain qu’à partir de fin janvier 1923, après la libération des prisonniers espagnols à Ajdir, le haut commandement eut souhaité disposer de la plus grande quantité possible de gaz toxique pour la balancer aux rifains, mais ce souhait buta contre de nombreuses difficultés techniques au cours de la guerre, comme celle concernant l’obtention de la substance chimique (l’oxol) que fournirent les allemands pour la fabrication de l’ypérite.

Pour cela le gouvernement espagnol demanda dès la mie de 1924, à l’Allemagne, la présence de techniciens et de matériel pour accélérer la production à un rythme de 1400 bombes par jour, et, dans ce but, lors du mois d’octobre se déplacèrent à Melilla deux spécialistes dirigés par le technicien germanique le Dr Hofmeister(55). Par ailleurs, le rythme de la production se trouvait également soumis aux pressions du gouvernement du Directoire Militaire de Primo de Rivera, qui avait évité, à l’été de 1924, une tentative d’insubordination militaire de hauts chefs d’un secteur de l’armée, lorsqu’il décida le retrait des troupes espagnoles de la région occidentale de la zone à une ligne défensive appuyée sur l’occupation de divers points le long de la côte, ce qui fut interprété comme une première étape d’abandon du Protectorat. En achever avec la guerre du Rif était prioritaire pour le gouvernement qui mit de grands espoirs dans les nouvelles armes, spécialement dans le gaz.

Les chefs de l’Aviation espagnole ont examiné la stratégie à suivre et, pour des raisons non seulement techniques mais aussi politiques, on ne procéda pas à un bombardement toxique indiscriminé du Rif. On se proposait de lancer le gaz d’une manière sélective, sur les tribus qui constituaient le « noyau dur »   de la résistance, comme le révèle le télégramme suivant du Commandant Général au chef des Forces aériennes, le 30 août 1923 :

Son Excellence, Monsieur le Haut Commissaire, dans un télégramme d’aujourd’hui me dit : ‘ Prière d’appeler le Lieutenant Colonel Kindelan et de lui présenter le projet de division par zones des tribus Temsaman et Aït Waryaghel afin de les attaquer à fond l’une après l’autre jusqu’en finir avec toutes, en employant dans ce but tous les types de bombes de tolite, incendiaires et X (gaz toxiques) dont vous disposiez’(56).

Les attaques contre des objectifs concrets furent une constante dans la stratégie suivie par les hauts commandements tout le long de la guerre. Un télégramme du 5 mars 1925 indique que 50 bombes C-5 (ypérite, 20 kg) avaient été remises par l’aviation afin de bombarder Souk El Arbaa de Taourirt situé sur la rive gauche du Nekor, qui était d’après ledit télégramme, ‘ la seule zone insoumise non ypéritée, dans laquelle se réunissaient de grands contingents(57). Dans une dépêche du 22 mars 1925 au Général en chef, le Commandant Militaire de Melilla était plus explicite quant aux raisons pour l’élection de cet objectif :

‘ Dans le souk el-arbaa de Taourirt de Ait Wariaghel se réunissent les mercredis une grande quantité d’ennemis confiants en ce que ledit souk n’a jamais été bombardé par aucun type de bombes du fait d’être situé assez loin et que je n’avais pas eu jusqu’à présent connaissance de ces informations. Et puisqu’il y est fort probable que beaucoup de monde s’y rende en toute confiance le mercredi s’il faisait beau temps et que nous aurions l’occasion de leur causer beaucoup de mal et de les châtier durement, je prie S.E. de m’autoriser à employer cent bombes C-5 pour le bombardement que j’ordonnerais pour le premier mercredi où il ferait beau et qui servira sans doute à faire beaucoup de mal à l’ennemi ‘(58).

Dans ce document il est question de cent bombes, mais l’Aviation n’en reçut que cinquante qui, en plus, devaient être retournées au cas où leur emploi ne fut pas considéré nécessaire. Etant donné la pénurie de bombes C-5 en ce moment, il fallait rationner au maximum le stock disponible. A Melilla, en janvier 1925, eurent lieu d’importantes avaries dans l’installation et une violente réaction des gaz, dues à des corps étrangers ou impuretés de l’oxol utilisé comme matière première, qui était de qualité très inférieure à celle, envoyée en 1924. Les essais chimiques réalisés avec la matière démontrèrent qu’elle était inadéquate et périlleuse pour la fabrication à laquelle elle était destinée. Des 27 bidons analysés seuls trois étaient acceptables, tandis que le reste pouvait mettre en péril l’installation et causer des victimes parmi le personnel, étant donné que les dégagements violents des gaz pouvaient provoquer une explosion. Il fallut donc suspendre la fabrication de la substance destinée à la charge des bombes C-5 jusqu’à ce que les avaries constatées dans les réacteurs de production d’ypérite fussent réparés. Sous le régime normal de fabrication on pouvait produire 100 bombes par jour, mais de nombreuses difficultés faisaient que seules pouvaient se faire 75 charges et, cela, s’ils n’arrivaient pas d’accidents ou d’avaries imprévus ‘(59).

Il faut tenir compte de ce que l’atelier de Melilla était le seul qui fabriquait des gaz toxiques et qu’il devait fournir des bombes non seulement à l’artillerie et à l’aviation de ce territoire, mais aussi à celles de la région occidentale du Protectorat, de sorte que si la fabrication venait à s’interrompre, il fallait puiser dans les stocks disponibles. Le 18 janvier 1925, s’embarquèrent sur le garde-côte Oued Targa 200 bombes C-5, dont 100 d’entre elles à destination de Sebta et autant d’autres à destination de Larache, et le 9 février, 400 autres bombes C-5(60), furent transportées à Sebta ; ces envois étant effectués régulièrement, selon les nécessités et le nombre de bombes disponibles. Les fréquentes interruptions dans la fabrication des gaz, pour avaries ou autres inconvénients, provoquaient une pénurie des stocks disponibles et il fallut à plusieurs reprises limiter leur emploi, même dans les cas où les plans stratégiques le considéraient opportun.

Les bombes de gaz tout comme le reste du matériel de guerre étaient habituellement transportées par tous les avions terrestres de l’aviation Militaire. Les hydravions en transportèrent également de façon exceptionnelle(61).

L’Aéronautique Navale intervint au Maroc avec une unité formée par le porte-aéronefs Dédalo équipé avec un dirigible et plusieurs hydravions, qui tout en disposant assez tôt de bombes de gaz emmagasinées dans ses soutes, n’aurait pas, d’après les informations qui nous sont parvenues, employé une partie de ses hydravions au lancement de ce genre de bombes(62). A partir du moment où la fabrique de Melilla commença à produire en série des bombes de gaz de différents calibres, les Breguet XIV DH-4, Potez 15, Fokker C. IV et DH-9 de l’Escadrille Aérienne du Maroc initièrent une guerre chimique qui s’étendit jusqu’à juillet 1927, mais qui pour les raisons mentionnées, n’arriva jamais à être massive. Par le carnet de vol d’un pilote qui vola au Maroc, nous savons que de 167 missions réalisées entre juin 1924 et juillet 1925, il n’en fit que deux avec ypérite(63). Les feuilles de service de l’observateur José Lopez Jimenez qui participa dans la campagne du Rif entre août 1925 et avril 1927, indiquent qu’il réalisa seulement 7 bombardements avec ypérite sur un total de 130 missions(64). Dans le rapport personnel de l’Infant Alfonso d’Orléans, qui fut à la tête d’une escadrille de Foker C.IV durant les opérations d’Al Hoceima, il raconte qu’il bombarda avec ypérite seulement les villages de Beni Zalea et Oued Laou(65) (région de Ghomara). Enfin nous disposons du témoignage de Pedro T onda Bueno, observateur d’un Potez 15, dont l’unité participait au Maroc depuis juin 1924. Dans son œuvre sus mentionnée, T onda évoque la vie quotidienne de son unité et se réfère aussi aux bombardements avec ypérite, mais il le fait de façon exceptionnelle dans le cadre des multiples missions que les aviateurs réalisèrent dans la campagne contre Abdelkrim.

Ces exemples ne peuvent certainement pas refléter toute l’activité d’une force aérienne qui parvint à disposer de quelques 150 aéroplanes, et il faudrait consulter la documentation plus à fond, mais ils apportent de toute manière des données sur l’usage non massif du gaz toxique.

Dans le débarquement d’Al Hoceima, le 8 septembre 1925, le gaz toxique fut employé dans les localités de l’intérieur, tandis que le matériel de haute capacité explosive fut utilisé sur la première ligne du front. L’analyse de la documentation indique que les escadrilles qui participèrent à l’appui aérien au débarquement employèrent exclusivement des bombes d’ypérite C-5 (20 Kg), laissant de côté les bombes de chloropicrine ou C-4 (10 g), qui étaient assez périlleuses pour les aviateurs espagnols, même lorsqu’ils respectaient la hauteur de lancement(66). L’ypérite était le gaz indiqué pour causer des pertes chez l’ennemi dans des aires que les troupes propres n’allaient pas occuper ou traverser durant une période de temps supérieure à la persistance du gaz, qui pouvait être supérieure ou inférieure selon la température et d’autres circonstances. C’est ainsi que dans le débarquement d’Al Hoceima il fut utilisé dans des localités de l’intérieur pour produire des pertes chez l’arrière-garde rifaine sans que les troupes espagnoles en première ligne du front souffrent ses effets toxiques.

L’attaque rifaine, en avril 1925, aux postes militaires français dans la tribu de Beni zeroual, à l’autre rive de l’Ouerga, conduit les gouvernements français et espagnol à entamer des conversations qui donnèrent lieu au Traité de Madrid de juillet 1925, destiné à coordonner les efforts militaires pour en finir définitivement avec Abdelkrim dans une action combinée des moyens aériens, terrestres et navals qui culminèrent dans le débarquement d’Al Hoceima. Cette opération, avec grand déploiement de moyens, sera le début de la fin d’Abdelkrim. Al Hoceima était la clé du Rif, du fait que là était située la tribu des Aït Waryaghel, coeur de toutes les résistances à la pénétration étrangère. Il y avait déjà eut antérieurement de nombreux plans pour un débarquement à Al Hoceima, sans qu’aucun d’entre eux ne fut concrétisé, jusqu’à ce que le plan dessiné par le général Gomez Jordana fut dépoussiéré et actualisé en coopération avec l’allié français, qui devait attaquer simultanément, depuis la zone sud du Protectorat. Comme ce fut déjà le cas en 1913, dans l’emploi pour la première fois des avions bombardiers, les espagnols, avec ce plan de débarquement, furent les précurseurs d’une nouvelle technique de guerre dont les résultats seraient pris en compte par les générations militaires postérieures(67).

Le 2 octobre 1925 les colonnes du général Sanjurjo prirent Ajdir, la capitale rifaine, ce qui obligea Abdelkrim à fuir et continuer la lutte depuis d’autres point du territoire insoumis jusqu’au 27 mai 1926, où il finit par se rendre aux français, de crainte des représailles espagnoles. Après la reddition d’Abdelkrim, les partisans du chef rifain continuèrent la résistance dans les tribus du Rif central, Ghomara et Jebala, qui resteraient insoumises, jusqu’à ce que le 10 juillet 1927 le général Sanjurjo annonça officiellement à Bab Taza la fin de la guerre. Dans cette période, pour combattre les noyaux rebelles, particulièrement dans les massifs montagneux de Jebel Alam et Jebel Hessana, l’aviation continua à assurer un important appui à l’armée de terre avec les modernes Breguet XIX. Il y eut encore l’occasion d’employer des gaz contre les noyaux rebelles, puisque le 3 juin 1927, 42 bombes C-5 furent larguées à Beni Guizit, tandis que les magasins de Tetouan et Larache comptaient respectivement avec 200 et 497 unités de ce type de bombes d’ypérite(68) .

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