A Son Excellence Mme. Elisabeth TICHY-FISSLBERGER,
Présidente du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies
Objet : Demande d’interpeller les autorités marocaines en faveur de respect des droits des Amazighs et de la libération des détenus politiques du « Hirak du Rif ».
Excellence,
A l’occasion de la 45ème Session du Conseil des droits de l’Homme qui se tient actuellement à Genève du 14 septembre jusqu’au 6 octobre, M. Omar Zniber, l’ambassadeur représentant permanent du Royaume du Maroc auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, a déclaré, ce mardi dernier 15 septembre, que le Maroc est attaché sans faille à l’architecture onusienne des droits de l’Homme et il a souligné qu’il s’est préoccupé par « la montée du racisme systémique et le discours de la haine raciale, qui continue de s’exprimer et d’être assumé dans de nombreux pays, en contradiction avec les engagements consignés dans la Charte des Nations Unies ».
Malheureusement, ce qui appelle notre spéciale attention c’est cette façon de généralisation et d’omettre ouvertement les violations flagrantes des droits humains au Maroc, et plus concrètement des droits des citoyen-e-s Amazighs, victimes d’une large discrimination raciale à leurs encontre.
En effet, lorsque les Nations Unies à travers la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Mme. Tendayi Achiume, qui s’est rendue au Maroc du 13 au 21 décembre 2018 et qui a eu le mérite d’évaluer dans son rapport du 28 mai 2019 (1), sur le terrain, la flagrante discrimination raciale à l’encontre des Amazighs, ni le président du gouvernement, ni aucun de ces ministre n’avaient osé répondre aux allégations et recommandations onusiennes!
Rappelons bien que la Rapporteuse spéciale avait appelé, depuis mai de l’année dernière, les autorités marocaines à adopter des mesures concrètes visant à éliminer et à prévenir le racisme et la discrimination raciale, comme par exemple:
* Adopter un cadre juridique, des dispositions législatives et des mesures concrètes et de politique global de lutte contre la discrimination qui met en application l’intégralité des dispositions relatives à l’égalité raciale de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, conformément aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale…
* Envisager l’adoption de mesures spéciales pour garantir aux groupes défavorisés, dans des conditions d’égalité, la pleine jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
* Intensifier les efforts pour faire en sorte que les Amazighs ne soient pas victimes de discrimination raciale dans l’exercice de leurs droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne l’éducation, l’accès à la justice, l’accès à l’emploi et aux services de santé, les droits fonciers et les libertés d’opinion et d’expression, de réunion pacifique et d’association.
Ainsi, le gouvernement actuel, sous la présidence de Dr. Saâd-Eddine El Othmani, n’a pratiquement rien entrepris de mesures ni d’initiatives gouvernementales en faveur d’y remédier à cette préoccupante attitude discriminatoire de l’Etat marocain à l’encontre de ses populations autochtones. Malgré le fait que la constitution consacre désormais dans son article 5 que « l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception », et l’adoption de la loi organique pour la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe par les deux chambres du parlement, depuis déjà une année entière.
Au contraire, le gouvernement marocain s’est entêté à poursuivre sa politique d’apartheid institutionnalisé anti-amazigh, comme en atteste les mesures adoptés par certains ministres et dont nous allons vous exposer quelques exemples.
Commençant par le ministre de l’Intérieur. M. Abdelouafi Laftit, se réjouit d’avoir imposé l’adoption de la nouvelle loi sur la carte électronique d’identité nationale, en défiant les appels de la société civile et des partis politiques, sans intégrer la langue amazighe ni sa graphie tifinagh, en violant carrément les statuts de la constitution et la loi organique N°26.16. Sachant que cette nouvelle carte nationale électronique d’identité (CIEN) consacre au moins trois types de discrimination: discrimination raciale en continuant dans sa politique de négation de l’officialité de la langue amazighe, discrimination de genre qui promeut une société patriarcale et polygame, et une discrimination sociale en identifiant plus facilement les personnes à faibles ressources (les pauvres) ! En plus, et n’oubliant pas que c’est le ministère de l’Intérieur qui était à l’origine de la fausse accusation de « séparatistes » qu’il a collé aux manifestants pacifistes des événements du Mouvement populaire au nord du Maroc (connu sous le nom arabe de « Hirak Rif » et « Amussu n Rif » en amazigh), orientant tout le gouvernement à privilégier une attitude plus sécuritaire que politique, condamnant des jeunes qui revendiquent du l’emploi et des infrastructures à des peines de prison à des dizaines d’années ! Des jeunes qui croupissent dans les prisons pour avoir simplement osé revendiquer leurs droits économiques et sociaux, tels la construction d’universités et d’hôpitaux, en l’occurrence d’un hôpital spécialisé en traitements oncologiques.
Toujours, ce même ministre, en prétextant la lutte contre la propagation de Covid-19, il s’entête à fermer incessamment les frontières de Melilla et Ceuta en continuant le blocus de milliers de ses compatriotes rifains travailleurs transfrontaliers d’accéder à leurs postes de travail, depuis plus de six mois, violant ainsi tous les droits des travailleurs transfrontaliers que garantit la Charte onusienne et les textes de l’OIT !
Autres des plus mauvaises et plus graves mesures de ce gouvernement ce sont, sans aucun doute, celles prises par le ministre de l’Education Nationale et actuel porte-parole u gouvernement. M. Said Amzazi a complètement exclus l’intégration de la langue amazighe dans l’éducation préscolaire et continue à bloquer sa généralisation dans le cycle primaire. De ce fait, il continue à ignorer volontairement l’importance capitale de la langue maternelle dans l’enseignement primaire et préscolaire. Il ne voudrait pas admettre que l’échec perpétuel de l’école marocaine est dû au fait qu’elle n’a jamais respecté les recommandations de l’UNESCO, à savoir de préconiser l’insertion de la langue maternelle dans l’enseignement primaire dès les premières années. Chose que le célèbre linguiste français Alain Bentolila insiste lorsqu’il déclarait que : « les systèmes éducatifs de certains pays, aussi coûteux qu’ils soient, sont devenus des machines à fabriquer de l’analphabétisme et de l’échec scolaire parce qu’ils n’ont jamais su (ou voulu) résoudre la question qui les détruit : celle du choix de la langue d’enseignement. Ils conduisent des élèves à des échecs cruels parce que l’école les a accueillis dans une langue que leurs mères ne leur ont pas apprise et c’est pour un enfant une violence intolérable. .. c’est sur la base solide de leur langue maternelle qu’on leur donnera une chance d’accéder à la lecture et à l’écriture et que l’on pourra ensuite construire un apprentissage ambitieux des langues officielles. » (2).
Ni avant la pandémie de Covid-19, ni après, le ministre Amzazi n’a pas doté de postes budgétaires pour recruter des enseignants en langue amazighe. Déjà le Comité onusien des droits économiques, sociaux et culturels qui avait examiné le quatrième rapport périodique du Maroc sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tenues à Genève les 30 septembre et 1er octobre 2015, recommandait au Maroc d’adopter la langue Amazigh comme une des langues officielles de l’État et de redoubler ses efforts pour offrir l’enseignement primaire, secondaire et universitaire en Amazigh (3). Selon le rapport d’Achiume, il faudrait au moins 100 000 professeurs pour enseigner l’amazighe aux 5 millions d’élèves du primaire (et de préscolaire).
Le ministre des affaires étrangères, de la coopération africaine et des marocains résidant à l’étranger, M. Nasser Bourita, continue, lui aussi, à agir comme si la langue amazighe n’est plus officielle et les cadres de son ministère ainsi que ceux de l’Education nationale s’obstinent à ne pas l’inclure dans les programmes de conventions bilatérales avec des pays d’accueil européens, notamment les accords bilatéraux concernant les « Enseignements de Langue et de Culture d’Origine (ELCO) », mis en œuvre sur la base d’une directive européenne du 25 juillet 1977 visant à la scolarisation des enfants des travailleurs migrants.
De même pour le ministère des Affaires Islamiques et des Habous, il se comporte comme si la langue amazighe n’est pas de tout officielle et comme s’il n’existe pas de loi organique adoptée par les deux chambres du parlement à son sujet. Lui aussi continue à utiliser uniquement la langue arabe dans les programmes de l’alphabétisation des adultes, comme le fait d’ailleurs l’Agence Nationale de Lutte contre l’Analphabétisme (ANLCA). Cette dernière fait objet de détournement de ses objectifs et de fonds financiers qui lui sont dédiés! Etc.
Ce qui est incroyablement bizarre et complètement incompréhensible c’est que le président de gouvernement, les ministres de l’Intérieur, de l’Education nationale et des Affaires islamiques sont tous des Amazighs et des amazighophones, qui ne respectent pas ni leur langue maternelle qu’est la langue amazighe, ni leur identité autochtone ni leur civilisation africaine !!!
En définitive, et pour toutes ces raisons évoquées ci-dessus, en vous remerciant d’avance de votre diligence à interpeller les autorités marocaines, afin de les conseiller de changer de cap et de les rappeler à l’ordre afin de se conformer au droit international, au respect scrupuleux des droits humains, et à traduire sur le terrain les recommandations de l’ONU et de procéder à l’arrêt sur le champ de toute politique d’agression, de discrimination et de négation à l’encontre des Amazighs, et de procéder à la libération de tous les détenus de la contestation sociale du Hirak Rif qui restent dans les geôles marocaines.
Veuillez agréer, Excellence Madame la Présidente TICHY-FISSLBERGER, l’assurance de notre considération forte distinguée.
Signé: Rachid RAHA, – Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe (AMA)
Notes :
(1)- https://undocs.org/pdf?symbol=fr/A/HRC/41/54/Add.1
(2)- www.leconomiste.com/article/1053276-si-l-ecole-ne-parle-pas-la-langue-de-ses-eleves
(3)- http://apsoinfo.blogspot.com/2015/10/rapport-de-lexamen-periodique-du-maroc.html