Les scandales de la junte militaire algérienne

Dr. Mohamed Chtatou

Les dissensions militaires touchent le chef d’état-major Saïd Chengriha. Cet homme fort de l’Algérie montre des signes de faiblesse interne dans sa rivalité avec le président Abdelmadjid Tebboune.

Multiple scandals

Après les récentes révélations sur le conflit entre le chef des services de renseignement, le général de division M’henna Djebbar, et le chef d’état-major de l’armée, le général d’armée Saïd Chengriha, les signes indiquent que ce dernier se rapproche de la porte de sortie. Il n’est pas surprenant, toutefois, qu’il s’inquiète du bien-être de ses enfants et du fait qu’ils soient la cible de campagnes de presse. Ceci est renforcé par ce qu’a étalé un diplomate occidental anonyme, bien placé, qui a expliqué comment la dernière restructuration des services secrets n’a pas joué en faveur de Chengriha.

Son propre casier judiciaire en tant que grand trafiquant de drogue a été révélé au public en janvier grâce aux révélations de Guermit Bounouira (Algeria Politics & Security – 11.01.22 et 18.01.22). On comprend que Chengriha est maintenant inquiet que les médias – ou du moins les nombreux journalistes algériens et écrivains des médias sociaux basés en dehors du contrôle du régime – commencent à déterrer des saletés sur ses enfants adultes, sans doute avec l’aide des services de renseignement. Sur ses six enfants – soit un de moins que son prédécesseur, le général Ahmed Gaïd Salah – son fils Chafik Chengriha et sa fille Mélissa Chengriha sont les plus vulnérables.

M’henna Djebbar étant désormais à la tête de la Direction des Documents et de la Sécurité Extérieure (DDSE), on comprend que Chengriha s’inquiète d’être désormais dans une position idéale pour ouvrir ou poursuivre des enquêtes sur Chafik et Mélissa qui vivent tous deux dans le luxe à l’étranger aux frais des contribuables algériens. Le premier serait impliqué dans une série d’activités susceptibles d’intéresser les services de renseignement et les services judiciaires.

Chafik Chengriha est réputé avoir une formation d’ingénieur en informatique et vit à Paris, officiellement en stage dans le cadre de sa formation continue, depuis 2020. En fait, il est attaché au bureau militaire de l’ambassade d’Algérie à Paris qui est l’un des postes diplomatiques les plus discrets et qui est directement rattaché au ministère de la Défense. On pense qu’il a le grade de commandant.

Le bureau de Paris gère une multiplicité de budgets secrets de plusieurs millions d’euros. Parmi ses responsabilités les plus connues figurent le financement des soins médicaux des nombreux hauts responsables militaires qui viennent se faire soigner en France, ainsi que le financement de la formation et de la prise en charge des enfants de la haute nomenclature dans les établissements civils ou militaires français.

Pour ceux qui sont toujours fascinés par la façon dont le régime algérien s’occupe de lui-même, cette confortable sinécure à Paris était auparavant occupée par le gendre du général Ahmed Gaïd Salah jusqu’à la mort de l’homme fort en décembre 2019. Pendant son séjour à Paris, Chafik Chengriha était sous la  » tutelle  » du général-major Sid Ali Ould Zemirli (alias Zemerli, Benzemirli, Zmrli) que son père avait nommé à la tête de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA) en 2020. Cependant, (Algeria Politics & Security – 06.09.22), Zemirli a été relevé de ses fonctions suite à l’arrestation de son frère aîné le Colonel Omar Ould Zemirli, et à sa propre arrestation et son remplacement en septembre (Algeria Politics & Security – 06.09.22 et 13.09.22).

De plus, Chengriha s’inquiète du fait que Zemirli, l’officier à qui il a confié son fils à Paris, est actuellement en prison pour détournement de fonds. On peut maintenant présumer sans trop de risque que, si Chengriha avait confiance dans sa nomination des frères Zemirli, ceux-ci servaient probablement les intérêts de M’henna Djebbar. Même si ce n’était pas le cas, la nomination de Djebbar à la tête de la Direction Générale de la Lutte contre la Subversion (DGLS) en novembre 2021, puis à la tête de la DDSE, lui aurait certainement donné accès aux dossiers de Chafik Chengriha et du Colonel Omar.

Mélissa Chengriha, est également un « sujet d’intérêt » pour les services de renseignement dans la mesure où elle a fait l’objet d’une enquête après avoir été nommée à un poste à Genève. Sa position officielle a toujours été obscure car, bien qu’elle ait travaillé au sein de la représentation diplomatique de l’Algérie auprès de l’ONU à partir de 2017, il semble qu’elle n’avait pas de poste spécifique et a été décrite par une source comme une  » fonctionnaire polyvalente.’’

Cela dit, à partir de la fin de 2017, elle a occupé le bureau normalement attribué à l’attaché de défense de l’Algérie et, à toutes fins utiles, semble avoir officieusement servi d’attachée militaire à Genève. La mission diplomatique auprès de l’ONU dans cette ville partage les mêmes bureaux que le consulat général.

Les différentes représentations diplomatiques de l’Algérie à Genève ont fourni de nombreuses sinécures aux fils et aux filles des dirigeants algériens et ont coûté à Air Algérie – qui semble invariablement avoir payé l’addition – une petite fortune pour leur vie élevée. Le « bureau » de Mélissa Chengriha semble avoir été au centre d’un certain nombre d’intrigues qui auraient pu en faire l’objet d’une enquête, et peut-être d’autres enquêtes à venir si M’henna Djebbar arrive à ses fins. Elle a par la suite été promue à l’ambassade d’Algérie à Washington.

Hichem Aboud, journaliste, militant amazigh et opposant algérien

Le général Chengriha, qui semble se diriger vers la sortie, a de bonnes raisons de s’inquiéter de ce que les limiers de M’henna Djebbar pourraient déterrer et révéler sur les activités et les liaisons de sa progéniture. Si les médias étrangers publient d’autres révélations sur les enfants de Chengriha au cours des prochaines semaines, cela peut être considéré comme une indication que l’étau se resserre autour de Chengriha et de la hiérarchie militaire actuelle.

L’armée contre-attaque

Sur le front intérieur, la principale nouvelle, qui n’a pratiquement pas été rapportée par les médias, a été la manière dont le régime a tenté de détourner l’attention des révélations vidéo de Guermit Bounouira sur la criminalité du chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, et d’autres généraux de l’armée (Algeria Politics & Security – 18.01.22).

L’armée et les autres autorités chargées de la sécurité ont gardé le silence sur le scandale en cours. Le régime a déployé des efforts notables pour détourner l’attention du public des enregistrements vidéo de Bounouira en accordant une large couverture médiatique à un autre scandale impliquant des étudiants algériens à l’étranger victimes d’escroquerie.

Le 18 janvier 2022, le président Abdelmajid Tebboune – en sa qualité de chef des forces armées et de ministre de la défense – a visité le siège du ministère de la défense. Avec les vidéos de Bounouira dans l’esprit de toutes les personnes présentes, la visite de Tebboune suggère un resserrement des rangs entre les nombreuses factions de l’armée, et entre l’ensemble du haut commandement et la présidence. Tant la visite hautement symbolique que la nature des discours suggèrent que Tebboune, loin de prendre des mesures contre Chengriha et d’autres généraux impliqués par Bounouira, apporte son soutien à l’armée.

Sous la rhétorique nationaliste du discours de Chengriha, se cachait l’idée d’une action forte à venir. Faisant implicitement référence aux vidéos et à ceux qui, comme Mohamed Larbi Zitout, ont aidé à leur publication, Chengriha a déclaré :

« Ces plans macabres et ces campagnes de propagande seront voués à l’échec total, tant qu’il y aura des hommes dévoués à la patrie et fidèles à leur engagement. … les ennemis de l’Algérie ne parviendront jamais à leurs fins abjectes« .

On pense que l’une des raisons de ce resserrement apparent des rangs est que le régime envisage maintenant d’éliminer ces soi-disant « ennemis de l’Algérie« . Le régime prévoit de réactiver ses escadrons de la mort pour tuer ou, plus probablement, kidnapper ses opposants en Europe. A ce stade, les trois noms clés impliqués sont :

  • Lotfi Nezzar – le fils de l’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar – qui vit à Barcelone ;
  • Abdelkader Tigha, qui vit dans la ville belge de Liège et qui a écrit un livre sur la sale guerre des années 1990 (Contre-espionnage algérien : Notre guerre contre les islamistes (2008)) ; et
  • Un troisième homme, connu seulement sous le nom de Jehid ou Djehid, qui vit à Paris.

Tous trois ont fui l’Algérie : Tigha et Jehid en 2000 environ ; Lotfi et son père plus récemment, bien que ce dernier ait été réintégré et travaille à nouveau en étroite collaboration avec le régime et ses services de renseignement.

Les autorités françaises, espagnoles et belges ont connaissance de ces hommes. Toutefois, on peut se demander si elles interviendront ou si elles les aideront, comme les autorités espagnoles l’ont fait dans le cas de Mohamed Abdellah (Algeria Politics & Security – 24.08.21). L’objectif du recours à ces soi-disant escadrons de la mort est un effort désespéré pour éliminer une fois pour toutes les opposants étrangers les plus importants et les plus véhéments du régime.

Lotfi Nezzar, qui reçoit des instructions de son père, a contacté Tigha et Jehid. Ce dernier est le principal agent et il travaille désormais pour le service de sécurité extérieure de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) du régime. On soupçonne toutefois qu’il pourrait travailler directement pour le général M’henna Djebbar, ancien chef de la Direction centrale de la sécurité de l’armée, qui a également été réintégré et dirige désormais la nouvelle Direction générale de la lutte contre la subversion (DGLS) ainsi que la DDSE.

Leur cible principale est le journaliste Hichem Aboud. En effet, ce dernier écrit depuis longtemps sur la famille Nezzar et dénonce les nombreux crimes de Khaled Nezzar, l’accusant notamment du meurtre de sa première femme. Nezzar utilise maintenant sa réintégration pour faire éliminer Aboud.

Mohamed Larbi Zitout, du Mouvement Rachad, figure également en bonne place sur la liste. Algeria Politics & Security – 18.01.22 a rapporté que Zitout était en grande partie responsable de l’organisation de la publication des vidéos de Bounouira sur les médias sociaux, et on soupçonne que la décision du régime de recourir à ses escadrons de la mort a pu être déclenchée par la fuite et la publication de ces révélations.

Les luttes intestines militaires

Les luttes intestines au sein du régime algérien deviennent de plus en plus compliquées et même des sources bien informées affirment qu’elles ne savent pas vraiment qui se bat contre qui. Dans cette situation plus complexe, cependant, trois nouvelles dynamiques sont perceptibles.

La première est le groupe de trois blogueurs – Hichem Aboud, Abdou Semmar et Saïd Bensdira – qui s’expriment avec véhémence et ont une grande influence sur la compréhension, correcte ou incorrecte, de la situation actuelle, et qui sont maintenant engagés, en tant qu’activistes ou agents provocateurs du régime, dans une lutte mutuelle.

La deuxième est un « nouveau pouvoir », qui n’est pas encore facilement identifiable mais qui semble émerger des rangs supérieurs du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) du général Mohammed « Toufik » Mediène, mis à la retraite.

La troisième est liée à l’influence concurrente de la Russie et des États-Unis, Washington exerçant une pression croissante sur le régime pour qu’il prenne ses distances avec Moscou.

Dans ce scénario émergent, Mediène est de plus en plus puissant en coulisses – bien qu’il n’ait pas de poste officiel – et se considère comme un faiseur de roi.

Les États-Unis profitent du cauchemar militaire de la Russie en Ukraine pour pousser Alger à couper ses liens avec Moscou et à opérer des changements au sein du régime. Il ne s’agit pas nécessairement d’un soutien au Hirak ou à un « changement de régime ». Toutefois, comme la France, elle fait pression pour que le chef d’état-major de l’armée pro-russe, le général Saïd Chengriha, soit démis de ses fonctions et remplacé par le général Mohamed Kaïdi – qui est à la fois beaucoup plus jeune et beaucoup plus pro-occidental – ou quelqu’un de similaire.

Dans cette tourment de la junte militaire, l’avenir du général Abdelghani Rachedi – ancien chef de la DGSI et, plus récemment, de la DDSE – et du PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, s’annonce sombre, la prison étant une possibilité distincte.

Le conflit entre l’Algérie et l’Espagne au sujet du Sahara occidental semble s’apaiser, même si certains blocages restent à résoudre.

Sonatrach réduit discrètement sa production de GNL de 30% afin de respecter ses récents engagements d’exportations supplémentaires de gaz vers l’Italie.

Le très respecté cabinet de conseil américain DeGolyer and MacNaughton a mis en garde Sonatrach contre sa dangereuse mauvaise gestion des réserves de gaz à Hassi R’mel, qui est le plus grand champ gazier du pays. Cette mise en garde fait référence à la politique de Toufik Hakkar qui consiste à réduire considérablement la réinjection afin de commercialiser le gaz économisé.

Mot de fin

L’Algérie en dépit de l’amélioration de ses finances grâce aux revenus pétroliers depuis le début de la guerre russe en Ukraine, semble être dans des beaux draps à cause des scandales de la junte militaire qui s’est toujours servie, sans réserves, des deniers publics alors que le peuple n’arrive pas à trouver l’huile et le lait dans ses boutiques d’alimentation.

Les conflits fratricides au sein de la nomenclature militaire au pouvoir vont, assurément, finir par faire sombrer le navire ’’Algérie’’ et pousser le pays, encore une fois, dans une guerre civile plus meurtrière que celle de la ‘’Décennie noire’’.

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