Pour la création d’un Institut Marocain des Langues Africaines (IMLA)*

Said Bennnis

Les langues en Afrique peuvent être abordées à partir de la corrélation diversité et pluralité. Il est impératif de relever que l’intérêt pour les langues de l’Afrique émanent de plusieurs raisons : raisons historiques (colonialisme / religion / mercantilisme), raisons exotiques (connaissances des langues et des civilisations d’autrui / souci de comparatisme vs ethnocentrisme), et raisons politiques (enjeux géostratégiques, …).

Par ailleurs, on peut parallèlement invoquer une autre raison de nature scientifique suivant laquelle l’Afrique serait une « ruche » de langues avec un pourcentage de 30 O/O des langues du monde. En effet, l’Afrique compte plus de 2011 langues, avec une langue par tranche de 360 000 habitants, selon le site ethnologue.com/region/Africa. Parmi les 2011 langues dénombrées, seulement 14 d’entre elles possèdent un statut officiel : le français est officiel (ou co-officiel) dans 23 États ; l’anglais dans 19, l’arabe dans 10, le portugais dans 5, l’afrikaans, le swahili et l’espagnol dans 2 États.

Suite à ces chiffres, le questionnement de base serait: Eu égard à ces réalités statistiques et quantitatives, quels indicateurs adopter pour une bonne appréhension de la corrélation entre diversité et pluralité dans le champ des langues en Afrique ? Pour répondre à ce questionnement, on peut se référer à une matrice d’indicateurs dont l’indicateur linguistique liés aux familles de langues, l’indicateur identitaire distinguant entre vernaculaires, régiolectes, topolectes et langues ethniques, l’indicateur historique se rapportant aux langues véhiculaires et aux langues coloniales, et l’indicateur politique différenciant entre langues officielles et langues institutionnelles. Ces indicateurs permettent aussi de classer les différentes langues d’Afrique sous des groupes adoptant des langues étrangères comme le groupe francophone, le groupe anglophone, le groupe lusophone …

Comme conséquence de la corrélation entre diversité et pluralité, on peut induire que le monolinguisme étant l’exception et le pluralisme étant la règle. Cette conséquence majeure appelle à interroger les réalités sociolinguistiques des pays africains, tout particulièrement concernant les langues en usage (officiel /véhiculaire / vernaculaire / mondialisation / digitalisation) et les fonctionnalités linguistiques endogènes (Diglossie, polyglossie et multilinguisme individuel). Devant ces réalités endogènes, on peut se poser la question suivante : Comment contribuer au dialogue interculturel et à l’entretien d’un patrimoine mondial en danger que constituent les langues d’Afrique ?

En effet, étudier et préserver les langues de l’Afrique ne constitue pas seulement un projet heuristique universitaire, alignant l’Afrique aux champs de recherche stratégique, mais il incarne une tendance à aller au contact de savoirs humains locaux, en nourrissant le souhait qu’ils deviennent universels. Dans cette perspective , l’UNESCO a inscrit en 1991 dans sa Déclaration universelle sur la diversité culturelle que « La richesse culturelle du monde [est un] équivalent de sa diversité en dialogue ». Pour dialoguer avec l’Afrique, il y a une seule voie : aller au contact des Africains et de leurs langues. Dans le cas du Maroc, on constate que les centres et les institutions de Recherche semblent ne pas avoir inscrit dans leurs projets heuristiques et stratégiques les langues de l’Afrique.

A ce sujet, on peut rappeler certains exemples de bonnes pratiques en la matière, notamment la SOAS de Londres (School of Oriental and African Studies) qui émet chaque année des appels d’offre pour étudier des langues en danger et le LLACAN (Langage, Langue et Culture d’Afrique Noire), à Villejuif, une unité mixte de recherche qui associe le CNRS et l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco). De plus, il y a urgence scientifique en Afrique, car plus de la moitié des quelques deux mille langues inventoriées risque de disparaître avant la fin du siècle. L’intérêt doit porter sur le projet de décrire les langues locales, voire de les transcrire dans un système d’écriture, afin qu’elles puissent devenir des langues d’apprentissage éducatif.

En outre, les liens historiques et culturels entre pays africains devraient avoir une incidence sur la définition des programmes de recherche, et la mise en place de collaborations entre laboratoires et centres de recherche Sud Sud. Il est judicieux de rappeler d’après le ministère de l’enseignement supérieur que 19256 étudiants d’origine africaine poursuivent leurs études supérieures au Maroc, soit près de 83°/° des étudiants étrangers inscrits au Maroc. Ces étudiants appartiennent à plus de 42 pays sur les 54 pays de l’Afrique.

Pour les chercheurs marocains en sciences sociales, il semble pertinent de procéder à des immersions directes sur le terrain africain via des approches ancrée et enracinée de la « Grounded theory » et non pas par le truchement de travaux et d’approches par procuration, faits par les autres. L’importance d’une telle perspective est de partir des langues et des discours locaux et endogènes pour comprendre les processus culturels, les changements économiques et les dynamiques politiques en Afrique.

Souvent les tentatives de faire partager un savoir dans un domaine quelconque, échouent à cause de barrières culturelles et linguistiques sous-estimées par les spécialistes. C’est pourquoi, je propose la création d’un Institut Marocain des Langues Africaines (IMLA) ( المعهد المغربي للغات الإفريقية) dont le but serait à la fois une ouverture stratégique sur l’Afrique et la formation d’une élite linguistique et culturelle maîtrisant les langues du continent africain et permettant ainsi de mieux asseoir des programmes de développement et de coopération économique Sud Sud.

*Conférence du professeur Said Bennis « Les langues en Afrique : entre Diversité et pluralité » organisée le 6 décembre 2024 par la Faculté des Lettres et de Sciences Humaines, le Centre de Recherche Homme, Espace et Société (HES) et le master Géographie Politique et Economique en Afrique.

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