Tifsa, ou la célébration du printemps à Figuig

Par: Hassane Benamara

Les festivités agraires sont organisées selon le début de l’année nnayer, sa veille igzinen, les quatre saisons tajrest, tifsa, lexrif (amwan, amwal ou amenzu), anebdu, et d’autres célébrations comme ṭabaṛa, grraba, taqellalt-isufar. A l’instar de toutes ces festivités tous les travaux agraires et tout travail tout court font partie d’un rituel ou ils sont eux-mêmes rituels : le début ou la fin des travaux champêtres comme les semailles, les moissons, les battages, les constructions de bassins rrkiz… La fête est célébrée dans l’espace-temps du mythe et assume la fonction de régénérer le monde réel. Les rites de fécondité ou de renaissance de la nature accompagnent ces festivités ; ils sont surtout liés à la fertilité. Ces fêtes et ces célébrations obéissent au principe de la générosité et du partage. Il faut que la substance vitale, la nourriture, circule avec générosité et toute avarice est jugée négativement et considérée comme nocive à la régénérescence de la nature et à la vie de la communauté. Nnayer est l’occasion de générosité absolue pour tous les aliments et pour toutes choses.

Pour les cérémonies de célébration des saisons ou d’un événement cosmique, on procède par « la manipulation d’un symbole de la végétation[1]. » Lors de tifsa, on manipule amellal « le blanc » qui est la couleur des fleurs, du lait, des œufs, du sperme et de la sève. Pendant lexrif l’automne, c’est la couleur rouge liée aux fruits dont notamment les dattes qu’on manipule. Lors des prières de pluie, c’est la farine et le blé qui est manipulée.

Tifsa (rentrée du printemps)

Organisée le 14 fubṛayeṛ (28 février). Elle est dite aussi Rrfis notamment dans le ksar Iẓnayen en référence au repas pris pendant ce jour. C’est le moment le plus fort où on accueille ou fait entrer le printemps tifsa et expulse le redoutable hiver. On la célèbre par l’organisation d’un déjeuner fait de crêpes berbères dites aussi mille‑trous ḥeṛṭiṭa coupées en menus morceaux et arrosées de colostrum adexs, de lait caillé cuit ou chauffé ou bien de miḥmiḥ (crêpes minces non huilées) et d’œufs durs accompagnés de lait ou de petit-lait servi sur des verres ou pots de couleur blanche de préférence. D’autres préparations sont attestées comme les crêpes ḥeṛṭiṭa non morcelées qu’on pose de façon à couvrir l’ensemble du plat. On pose ensuite sur elles au centre du plat un bol d’huile de beurre et des œufs durs coupés en deux ou quatre morceaux. Le déjeuner de ce jour doit être tout blanc pour que, dit‑on, toute la saison soit bonne. C’est un signe de bon augure asfalla ; le blanc est la couleur des arbres qui fleurissent, du lait, des œufs et de la semence ou de la liqueur séminale animale et humaine. Il faut rappeler que pour célébrer la saison d’automne, on prépare un repas tout rouge. Les familles qui possèdent une vache ou tout autre animal qui donne du lait donnent gracieusement ce produit à celles qui n’en ont pas car l’hospitalité est un comportement très exigé. « Ce qui caractérise la fête du printemps, c’est la signification métaphysico-religieuse de la renaissance de la Nature et du renouvellement de la Vie et non pas le phénomène naturel du printemps comme tel » selon M. Eliade[2]. Les petits garçons attrapent des hirondelles annonciatrices de la belle saison et considérées comme oiseaux venant du paradis pour annoncer l’arrivée du printemps aux humains, ils enduisent leurs têtes d’huile de beurre et les lâchent en leur disant de passer le bonjour au Saint Prophète « siwḍ esslam i Sidi Ṛaṣul Ḷḷeh ! »

Un distique encore connu rappelle l’attitude des gens avec certains mois de cette saison tant souhaitée car on fait bien la différence entre ses mois et on préfère par exemple abril, le mois des moissons de blé à maṛeṣ où les plantes qui se réveillent de leur léthargie sont gourmandes en eau. Il s’agit de ce couplet :

A maṛeṣ jjebbad ! A yuma, ḥawel xfi !

A yebril lḥeṣṣaḍ ! A yuma, ɣaṛa dd ɣri !

Ô mars le gourmand ! Frère, épargne-moi !

Ô avril le moissonneur ! Frère, cours vers moi !

Réf. Benamara Hassane, Une mythologie berbère, L’Harmattan, p. 173.

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[1] M. Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 321.

[2] M. Eliade, Traité d’histoire des religions, p. 386.

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2 Commentaires

  1. Merci Hassane pour tout ce que tu fais pour la sou garde de notre culture et bonne continuation

  2. Trés bien Mr HASSAN

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