Dans le cadre des initiatives visant à promouvoir la langue amazighe et à renforcer sa présence dans l’espace numérique, une nouvelle application éducative intitulée « Tifinagh Express » a récemment été lancée. Elle est le fruit du travail du Dr. Wadih Rhondali, psychiatre spécialisé en sciences cognitives, et de Mme Meriem Smidi, engagée dans les questions liées à la culture amazighe.
Cette application gratuite a pour objectif de faciliter l’apprentissage de l’alphabet tifinagh à travers une approche pédagogique innovante, fondée sur les avancées les plus récentes dans les domaines des sciences cognitives et des méthodes d’enseignement interactif. Elle se distingue par un design soigneusement conçu, prenant en compte les éventuelles difficultés cognitives que peuvent rencontrer les apprenants, et propose un contenu progressif, des tests interactifs ainsi que des stratégies variées pour renforcer l’apprentissage.
Dans cet entretien, le Dr Rhondali met en lumière les fondements scientifiques et éducatifs qui ont guidé le développement de l’application, en exposant les défis relevés durant sa conception. Il évoque également les perspectives d’évolution du projet, notamment l’intégration future de l’intelligence artificielle et des applications des neurosciences cognitives au service de l’apprentissage de la langue amazighe.
- Dr. Wadih Rhondali, vous avez récemment lancé, en collaboration avec Mme Meriem Smidi, une application gratuite appelée ‘Tifinagh Express’. Pouvez-vous nous en donner un aperçu et nous expliquer ses objectifs ?
‘Tifinagh Express’ est une application mobile pensée pour permettre à chacun, débutant ou non, d’apprendre rapidement l’alphabet amazigh Tifinagh. Ce projet est né d’une envie commune de préserver et transmettre un patrimoine culturel essentiel, tout en rendant son apprentissage accessible, ludique et efficace. L’application repose sur une approche pédagogique innovante, structurée autour de groupes de lettres, de couleurs, de quiz culturels et de répétition espacée.
- En tant que psychiatre spécialisé en cognition, comment votre expertise a-t-elle contribué à la conception de l’application pour en faire un outil efficace et accessible pour l’apprentissage de l’alphabet Tifinagh ?
En tant que clinicien et chercheur en neurosciences cognitives, j’ai utilisé les connaissances actuelles sur la mémoire, l’attention et l’apprentissage pour concevoir une méthode qui respecte le fonctionnement naturel du cerveau. Nous avons travaillé sur la réduction de la charge mentale, la segmentation de l’information, l’utilisation de repères visuels forts, et la valorisation de la répétition active. L’idée était de rendre l’apprentissage fluide, sans effort apparent, mais scientifiquement robuste.
- Selon vous, quels sont les principaux défis cognitifs que rencontrent les apprenants lorsqu’ils découvrent un nouvel alphabet, et comment avez-vous abordé ces défis dans l’application ?
Lorsqu’on apprend un nouvel alphabet, les principales difficultés sont : distinguer visuellement des lettres proches, mémoriser un grand nombre de symboles, et rester motivé. Pour répondre à cela, nous avons divisé l’alphabet Tifinagh en 7 groupes de lettres partageant des formes similaires, chaque groupe étant associé à une couleur spécifique. Cette organisation réduit la confusion et favorise la mémorisation visuelle. Ensuite, le contenu est séquencé progressivement, avec des indices pour aider à l’apprentissage implicite. Enfin, nous avons intégré des quiz ludiques et progressifs, pour renforcer la motivation et la confiance des utilisateurs.
- Quelles sont les principales techniques cognitives que vous avez intégrées dans l’application pour faciliter l’apprentissage du Tifinagh ?
La méthode repose sur trois leviers essentiels :
- Le regroupement par similarité visuelle, qui permet de simplifier la complexité initiale de l’alphabet ;
- Le séquençage et l’indiçage progressif, qui favorisent la compréhension implicite et structurée ;
- La répétition active, mise en œuvre à travers différents types de quiz, avec un accent sur l’apprentissage par la reconnaissance rapide et l’auto-évaluation.
Nous avons également intégré des quiz thématiques, comme les noms de villes ou les noms de joueurs de football Marocains, pour connecter l’apprentissage à la culture et renforcer l’ancrage émotionnel.
- D’un point de vue scientifique, comment l’apprentissage via une application numérique se compare-t-il à l’apprentissage traditionnel en termes de mémorisation à long terme ?
Quand elle est bien conçue, une application peut égaler, voire dépasser, l’efficacité de l’apprentissage traditionnel. Le numérique permet un entraînement personnalisé, interactif et répétitif, trois ingrédients essentiels à la consolidation mnésique. Ce qui fait la différence, ce n’est pas le support, mais la manière dont l’information est présentée, répétée et rendue engageante. C’est exactement ce que nous avons cherché à optimiser avec ‘Tifinagh Express’.
- L’application Tifinagh Express propose-t-elle des exercices ou des stratégies cognitives visant à améliorer la vitesse de mémorisation et de compréhension des utilisateurs ?
Oui, nous avons conçu des quiz chronométrés, des exercices de mémoire flash, et un système de progression par niveaux. L’utilisateur est régulièrement amené à revoir des lettres apprises auparavant, ce qui stimule la mémoire à long terme. L’aspect ludique et coloré renforce la motivation et l’ancrage, en rendant l’apprentissage plaisant plutôt que contraignant.
- Selon vous, quelle est la différence entre l’apprentissage visuel, auditif et kinesthésique ? Et lequel de ces styles est le plus efficace pour apprendre un nouvel alphabet ?
Chaque style d’apprentissage joue un rôle complémentaire :
- Le visuel est crucial pour reconnaître les lettres ;
- L’auditif, en entendant les sons associés, permet de les relier à la langue parlée ;
- Le kinesthésique (tracer, manipuler) permet un meilleur ancrage en mémoire motrice.
C’est pourquoi notre application privilégie une approche multimodale, et une version audio ainsi que d’autres fonctionnalités sont en cours de développement.
- Avez-vous des projets futurs pour ajouter de nouvelles fonctionnalités à l’application, telles que l’intelligence artificielle ou un suivi des progrès des utilisateurs basé sur des principes cognitifs ?
Pourquoi pas ! ‘Tifinagh Express’ a été entièrement conçue et financée avec nos propres moyens, grâce à une équipe passionnée et pluridisciplinaire qui a donné de son temps, de son énergie et de sa créativité. Si nous avions davantage de ressources, nous pourrions bien sûr aller encore plus loin : intégrer de l’intelligence artificielle, proposer un suivi personnalisé des progrès, ou même développer une application complète pour l’apprentissage de la langue amazighe, basée sur des outils scientifiques et les principes cognitifs les plus récents. L’envie est là. Il ne manque que les moyens pour aller encore plus loin dans cette aventure éducative et culturelle.
- Comment la version audio, sur laquelle vous travaillez, pourrait-elle améliorer l’expérience d’apprentissage, en particulier pour ceux qui ont des difficultés avec la lecture ?
La version audio permettra aux utilisateurs d’entendre les sons de chaque lettre, de découvrir des mots, des phrases, voire des proverbes amazighs. Cela offrira une immersion sensorielle et un apprentissage plus naturel, particulièrement bénéfique pour les enfants, les personnes non-lectrices, ou celles qui ont un style auditif dominant. Le lien entre graphie et oralité est fondamental dans l’apprentissage d’une langue.
- Enfin, existe-t-il des avancées récentes en neurosciences qui pourraient être exploitées pour améliorer les applications d’apprentissage des langues à l’avenir ?
Oui, les neurosciences cognitives avancent vite. On explore aujourd’hui des approches comme l’apprentissage adaptatif en temps réel, la stimulation cognitive ciblée, et même les interfaces cerveau-machine. Ces innovations permettront dans un avenir proche de concevoir des applications qui s’adaptent automatiquement aux capacités cognitives de l’utilisateur et qui maximisent son potentiel d’apprentissage.
Propos recueillis par : KHAYRDINE EL JAMAI