Comment vous définiriez-vous ? Qui est « Wahiba El Ayadi » : quelles sont vos origines ainsi que votre parcours scolaire et personnel ?
Je me présente je suis Wahiba Ajouaou-El Ayadi, j’ai 29 ans et je suis d’origine rifaine de Beni Saïd dans les hauteurs de Dar el Kebdani. Mes deux parents viennent de ces mêmes montagnes ; ils y sont nés, y ont grandi, s’y sont mariés et y ont ensuite eu leurs premiers enfants. Cela fait 45 ans qu’ils ont émigrés en France en quête d’une vie meilleure pour eux et leur famille. Moi, je suis née en France, et je suis la cadette d’une fratrie de 8 enfants (4 filles – 4 garçons). Je me suis toujours sentie redevable, quelque part, vis-à-vis de ce père qui a durement travaillé 40 ans en tant qu’ouvrir dans le bâtiment et de cette mère au foyer dévouée et aimante. Je pense qu’ils ont été la source de ma détermination et c’est ce qui a permis à mes 7 frères et sœurs et moi-même d’atteindre nos objectifs personnelles et professionnelles par la suite.
Je suis rifaine et très attachée à ma culture, ma langue, mes traditions et mes terres. Une vive émotion me saisit lorsque je pense à mes ancêtres nichés là-haut dans ces montagnes face à la Méditerranée. C’est donc tout naturellement que très jeune j’ai sollicité mon père (en plus des vacances annuelles en famille au Maroc) pour qu’il me ramène sur sa terre natale. Terre désertée par les familles qui sont parties en Europe. Je voulais m’imprégner de leur histoire pour donner un sens à la mienne. J’étais à la recherche d’une source de motivation, de compréhension aussi, mais surtout je souhaitais donner du sens à mon avenir. Face à la maison de pierre et de terre de mes ancêtres, partiellement en ruine, j’ai été frappé d’une vive émotion. Une émotion indescriptible qui vous prend aux tripes. Le paysage est impressionnant mais je constate très rapidement les difficultés auxquelles ils devaient faire face : absence totale d’eau courante ou d’électricité. Une terre sauvage qui n’a pu être dompté que par les rifains. J’y ai alors puisé ma force.
J’aime m’informer sur l’Histoire de mon rif, de ses habitants, ses combattants, ses traditions ancestrales et sa mythologie parfois oubliée. J’aime apprendre des chants traditionnels et poétiques que l’on appelle « izran » et j’aime également parler le rif avec mes proches. J’ai l’impression d’avoir un trésor au fond de moi que je fais vivre en perpétuant nos traditions et notre langue avec les personnes que je côtoie.
Quant à mon parcours scolaire, l’enseignement était clairement une vocation, j’ai toujours voulu transmettre des connaissances, des compétences, le chemin se dessinait donc clairement devant moi. C’est pourquoi, j’ai entamé des études d’anglais à l’Université où j’y ai obtenu une licence en lettres langues et civilisations étrangères puis un Master pour pouvoir passer le concours de professeur d’anglais. Je l’ai obtenu en 2016 et du haut de mes 22 ans je me retrouve alors à réaliser un rêve : je me tiens enfin devant une classe en tant que professeur. Depuis je n’ai cessé de me former ce qui m’a notamment permis de passer des certifications complémentaires me permettant d’enseigner également le Français Langue Seconde/Etrangère.
Dans un premier temps pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste réellement votre travail ? Puis, altruiste que vous êtes, pouvez-vous décrire vos activités associatives ?
Mon parcours professionnel est très hétéroclite, j’ai enseigné du CP au Master 2. J’ai longtemps enseigné dans le secondaire tout en étant vacataire dans le supérieur mais depuis 2 ans maintenant j’enseigne exclusivement dans le supérieur à L’Université de Picardie Jules Verne où j’y dirige des cours d’anglais ainsi que des cours de FLE. Je suis également co-responsable du Centre de Ressources des Langues de l’Université, un endroit pensé et développé pour viser l’autonomie dans étudiants dans l’apprentissage des langues étrangères. En parallèle je coordonne également en tant que responsable pédagogique le parcours « FLE Public en Exil » qui accueille des réfugiés politiques et des demandeurs d’asiles qui souhaitent apprendre le français une fois en France. Le FLE était une évidence à un moment donné de ma carrière et je pense que cela fait écho à mon histoire familiale personnelle. En effet, apprendre le français aux nouveaux arrivants, me renvoyait constamment à mes parents. Eux n’ont pas eu cette chance. Ils sont venus travailler pour faire vivre leurs familles. Aujourd’hui j’explique à mes étudiants qu’un avenir professionnel se dessine à eux en France et qu’il est possible pour eux de reprendre ou continuer leurs études. Cette expérience professionnelle m’a beaucoup fait mûrir.
La dimension sociale de mon travail est très importante pour moi car j’aime pouvoir apporter mon aide à l’autre ; ouvrir le champ des possibles et montrer aux étudiants qu’avec un peu de volonté et de détermination nous pouvons accomplir de grandes choses. L’un des synonymes de « rifains » là d’où je viens est « téméraire » ou encore « celui qui ose ». Comme j’ai osé, je souhaite transmettre cette idée que les plus belles choses sont accessibles à tous. D’ailleurs, pour ce faire, je n’ai pas trouvé de meilleur allié que la culture. Afin de transmettre les valeurs, démocratiques, sociales et républicaines françaises, chaque année je m’engage dans un projet culturel qui s’inscrit dans une thématique qui vise l’intégration de ces nouveaux arrivants en France. J’ai la chance d’être accompagnée par une metteuse en scène extraordinaire. Chaque année, je dis aux étudiants FLE qui viennent apprendre le français que nous allons monter un spectacle ensemble ; chaque année je fais face à des visages apeurés de ne pouvoir réussir à maitriser la langue ; chaque année ils se surpassent et réussissent à produire un spectacle qui suscite chaque fois l’admiration du public.
Je pense que pour moi la culture est un outil d’ouverture au monde qu’il ne faut absolument pas sous-estimer. Je suis le fruit d’un mélange entre deux cultures. Je suis différente de mes ancêtres qui avaient peur de perdre une partie de leurs identités en s’installant dans un nouveau pays. Les rifains sont attachés à leur culture identitaire et ils ne veulent en rien que cette dernière soit entachée d’autres traditions ou d’autres coutumes. Mes parents, comme beaucoup d’immigrés de leurs époques, avaient peur de se perdre dans un pays dont ils ne maitrisaient pas les codes sociaux. Craintifs, attachés à leurs origines amazighes, ils se sont intégrés à la société tout en conservant une certaine distance. Pour moi, c’est différent, je suis née en France et j’ai grandi dans l’école de la République. Bien que je sois fermement attachée à mes origines rifaines, je me sens également très concernée par ma culture française. Je suis un arbre qui s’enracine sur deux continents. Le mélange est donc possible et c’est ce que je souhaite véhiculer comme message.
« Oser », je pense que c’est ce qui caractérise le plus mon parcours professionnel. Il y maintenant 7 ans, lorsque j’étais en poste dans le secondaire, je rêvassais à un poste dans le supérieur. J’ai toujours admiré mes professeurs à l’université. Ils représentaient pour moi des modèles de réussite et d’accomplissement. Alors un mardi soir de septembre, je rédige une lettre de motivation et un CV que j’envoie en candidature spontanée directement au Président de L’université (au culot !) Je me souviens ne pas réussir à faire une modification sur mon CV ce qui m’a presque découragé. Mais je l’ai quand même envoyé ! Le lendemain matin on me contacte pour prendre en charge mes premières classes. J’ai commencé avec 2h par semaine en plus de mes 18h dans le secondaire ; j’ai terminé l’année avec 10h en plus. Tout cela parce que j’ai osé.
En ce qui concerne la suite de ma carrière, j’aimerais pouvoir m’installer au Maroc et y enseigner. L’idéal serait de décrocher un poste dans le supérieur ou un poste d’expatriée, je me renseigne et j’espère pouvoir décrocher les meilleures opportunités. Pour moi, c’est la suite logique de mon cheminement.
En outre, le domaine associatif a beaucoup impacté mon parcours. A un moment donné de ma vie. J’ai cette envie presque viscérale de me sentir utile. Alors avec mon équipe de bénévoles nous avons souvent réfléchi à comment aider sans tomber dans l’assistanat, cela est donc passé par des formations gratuites, des cours et du soutien bénévoles ou encore des aides d’accès au travail. Cela dit, la chose dont je suis le plus fière est intimement liée à mes origines rifaines, car peu importe où je vais j’y reviens constamment. Il y a deux ans avec mes proches, j’ai été à l’initiative de la construction d’une maison pour mon oncle qui vit toujours dans des conditions précaires dans les montagnes rifaines. Son ancienne maison menaçait de s’écrouler à cause des diverses intempéries et de la non -solidité des fondations. Ce n’est non sans mal que nous avons réussi à réunir la somme de 50 000euros afin de lui offrir son havre de paix.
Quels conseils donneriez-vous aux femmes pour réussir ?
Si j’ai bien une chose à mettre en exergue lorsqu’il en vient des femmes, je leur demanderai d’oser pour réussir. La femme est un joyau qui doit être choyée et préservée certes, mais chaque femme possède en elle une force incommensurable capable de déplacer des montagnes. A mon sens, elle n’est pas l’égal de l’homme ; elle est bien plus. Elle représente la vie, la complémentarité, la nécessité, l’envie, la force, la résilience, la création… Une femme sûre d’elle est une femme heureuse que rien ne peut arrêter. Nous méritons, l’encouragement et le respect qui nous est dû et je pense que lorsque nous sommes appréciés à notre juste valeur, nous pouvons alors accomplir de grandes choses. Je n’ai pas forcément qu’une vision féministe et indépendantiste de la femme car je considère qu’avec l’homme nous sommes complémentaires mais je pense sincèrement qu’en utilisant ce qui nous différencie des hommes alors nous pouvons apporter une valeur ajoutée qualitative à ce monde.
Je conseille aux femmes de trouver et de cultiver cette force intérieure qui les fait vivre afin d’être en harmonie avec leur temps. La culture rifaine peut être parfois patriarchale mais j’ai souvent l’impression que la femme rifaine est sa propre limite car « un oiseau né en cage pense que voler est une maladie ». J’encourage alors ces femmes qui manquent de confiance en elles, à observer le monde qui les entoure pour ne pas passer à côté de leurs vies. Nous vivons dans une époque où tout est possible, peut-être faut-il juste s’imposer davantage et aussi démontrer plus encore qu’une femme rifaine peut exister autrement qu’à travers son beau rôle, de fille, de sœur ou d’épouse sans pour autant renier son identité amazighe.
Quel est votre rapport à l’écriture ? Pouvez-vous nous parler de vos diverses publications ?
J’ai toujours aimé écrire. C’est pour moi un exutoire à part entière. Pour faire entendre ma voix je gratte le papier avec ma plume et je pense que l’écriture est le meilleur moyen d’exposer simplement et clairement une idée.
En octobre 2019 j’ai d’abord publié un livre intitulé Frederick Douglass: the progress of a former slave: « Education as a liberating weapon that led him to recognition and emancipation ». Ce livre retrace le combat de F. Douglass, ancien esclave qui tente d’échapper à son destin fatidique à travers l’auto-éducation. J’ai beaucoup étudié la condition des esclaves aux Etats-Unis durant mes études et c’est donc tout naturellement que j’ai souhaité publier mes recherches.
Ensuite en décembre 2020, j’ai publié Sous le prisme de ma Spiritualité, une réflexion et une analyse philosophique de la religion. Ce livre qui était une partie de mon journal intime n’avait pas pour but la publication mais j’ai décidé de le publier afin qu’il soit aussi utile à moi qu’aux autres. Dedans je parle de l’épreuve et de ses conséquences sur nous mais aussi des solutions qui sont mises à notre disposition pour pouvoir dépasser ce qui nous emprisonne.
En novembre 2021 j’ai publié Introduction à l’analyse littéraire en début de cycle terminal : L’analyse littéraire et ses différentes approches en classe de littérature étrangère en langue étrangère. Ce manuel destiné aux enseignants (mais pas que) réfère des stratégies d’analyse visant la facilitation de la dissertation et du commentaire de texte dans le cadre scolaire.
Nadia Boudra