Face au silence persistant des autorités françaises concernant la reconnaissance de l’identité amazighe et l’enseignement du tamazight sur le sol français, plusieurs voix s’élèvent à nouveau. Dans cette lettre ouverte, Rachid Raha, président de l’Assemblée Mondiale Amazighe, s’adresse directement au président Emmanuel Macron pour dénoncer l’exclusion de la langue amazighe des programmes éducatifs français et alerter sur les conséquences de cette marginalisation.
Alors que le gouvernement français publie un rapport inquiétant sur l’influence croissante des « Frères musulmans » en France, cette lettre met en lumière une réalité ignorée : la négation des racines culturelles de millions de citoyens d’origine nord-africaine ouvre la voie au déracinement, à la frustration… et parfois à la radicalisation.
Découvrez ci-dessous l’intégralité de cette lettre ouverte.
Rabat, 9 juin 2025/2975
A l’attention de Monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République française
Objet: comment la France encourage l’islamisme politique des « Frères musulmans » sur son territoire ?
Monsieur le Président,
Nous avons le plaisir de vous informer qu’une soixantaine d’ONG et associations amazighes (berbères) ont eu le plaisir de vous adresser une correspondance pour alerter votre gouvernement sur les négations dont sont victimes les migrants et leurs descendants Franco-Amazighs en matière d’apprentissage de leurs langues maternelles ancestrales, juste après votre visite officielle au Royaume de Maroc, sans qu’on reçoive aucune réponse de votre part [1].
Et voilà que votre ministre de l’intérieur a rendu public, récemment, un rapport alarmant, intitulé » Frères musulmans et islamisme politique en France », pour expliquer le danger, les réseaux et la diffusion des thèses de l’islamisme politique, incompatibles avec les valeurs de la République, au sein de la communauté française de confession musulmane [2]. Suivi par la publication de nouveaux programmes pour l’enseignement des langues vivantes étrangères du votre ministère de l’Éducation nationale, qui a annoncé, dans le Journal Officiel du 28 mai, l’enseignement du 12 langues (l’allemand, l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, l’hébreu, l’italien, le japonais, le néerlandais, le polonais, le portugais et le russe) [3], en excluant totalement l’enseignement de la langue amazighe (berbère), qui constitue, pourtant, la deuxième langue la plus parlée de l’Hexagone [4] ! Comme on vous l’a soulignée au sein de notre correspondance du 7 novembre de l’année dernière, cette politique de discrimination linguistique et culturelle à l’encontre des enfants issus de l’émigration nord-africaine et la marginalisation de l’apprentissage de leur langue maternelle à l’école française (dans le cadre de l’ELCO) ne fait qu’accentuer leur déracinement culturelle et renforcer leur « crise d’identité », facilitant ainsi, leur enfermement et leur séduction au profit de l’idéologie de l’islamisme salafiste.
Monsieur Le Président,
Laissez-moi vous rappeler mes propos lorsque lors d’une interview que vous avez donné au média Brut, le samedi 5 décembre 2020 [5], en vous interrogeant sur le projet de loi sur l’enseignement de la langue arabe, vous avez déclaré : « On a énormément de jeunes dont les familles parlent arabe, parfois les deux parents, dont la culture familiale est en arabe. Et ils apprennent dans l’école de la République le français. Ils vont perfectionner l’apprentissage de leur langue maternelle ou familiale à l’extérieur car la République leur offre peu d’espaces pour cela »…Cependant,, ce que vos ministres, vos conseillers et votre excellence, vous continuez à ignorer c’est que la deuxième langue réellement parlée en France, ce n’est pas la langue arabe, sinon plutôt la langue amazighe (berbère), et plus concrètement, les variantes dialectales de cette langue, comme le soulignent trois éminents chercheurs français, en l’occurrence Tassadit Yacine, Pierre Vermeren et Omar Hamourit: « la langue maternelle des immigrés n’est pas l’arabe »[6]. Et par extension, la langue maternelle de la plupart des citoyennes et des citoyens français d’origine nord-africaine est, sans aucun doute, la langue amazighe (déjà officielle au Maroc depuis 2011 et en Algérie depuis 2016). Le fait de continuer à ignorer les légitimes requêtes des Amazighs, vous continuez à déformer «la vérité historique» des pays d’Afrique du Nord. De ce fait, vous continuez à provoquer de l’aliénation culturelle et le déracinement identitaire des jeunes français issus de l’émigration nord-africaine, et par conséquent, vous entêtez à les condamner à alimenter le radicalisme islamiste et le séparatisme religieux. Des fléaux à l’origine des horribles attentats terroristes dont votre pays est devenu la cible privilégiée et qui menacent sérieusement la paix et la sécurité de l’Hexagone et de celle de l’Europe [7].
En définitive, nous vous prions de vous inviter à rectifier votre perception envers les Amazighs de France et de monde, à respecter leur identité, leur langue et leur histoire, ainsi que leurs valeurs démocratiques, qui sont pourtant complètement compatibles avec les valeurs de la République française. Tranchons une fois pour toute qu’en Afrique du Nord, il n’y a pas d’«Arabes», sinon des Amazighs (Berbères), qui sont dans leur grande majorité amazighophones et/ou darijaphones, et en minorité des francophones (notamment les Kabyles) et qu’en France, l’écrasante majorité des citoyen-ne-s issu-e-s des pays maghrébins (Algérie, Maroc et Tunisie) est incontestablement d’origine amazighe [8].
Dans l’attente de vous pencher consciencieusement sur cette légitime requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.
Par Rachid RAHA, Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe
Notes :
[1]- https://amadalamazigh.press.