À Monsieur le Directeur Général de France Télévisions,
Azul (Bonjour),
Le documentaire intitulé «Infrarouge: Mauvaise langue», diffusé le 11 septembre dernier sur votre chaîne France 2 [1], et réalisé par Nabil Wakim à propos de la transmission de la langue arabe, comporte de graves erreurs et des inexactitudes inacceptables en ce qui concerne la communauté erronément qualifiée «d’arabe» sur le plan ethnique, ou «musulmane» sur le plan religieux, en France.
Bien que la communauté «musulmane» de France compte environ 5,5 millions de personnes, plaçant l’Islam comme deuxième religion après le christianisme, la langue maternelle majoritaire de cette population n’est en réalité pas l’arabe, comme le prétend ce journaliste libanais du Monde, mais bien le tamazight, c’est-à-dire les dialectes issus de la langue amazighe (berbère). Le darija en fait d’ailleurs partie en raison de sa parenté syntaxique, bien qu’il contienne davantage de termes d’origine arabe ou coranique sur le plan lexical.
Il est important de noter que la majorité de cette population, qu’elle soit de nationalité française ou issue de l’immigration, est d’origine maghrébine et parle des dialectes amazighs. Ces populations viennent des régions amazighophones, notamment des villages des montagnes de Kabylie, des douars des plaines du Souss et des trois chaînes montagneuses de l’Atlas, ainsi que des tribus du Rif marocain.
Si M. Wakim confesse qu’après les attentats terroristes du 13 novembre 2015 en France, il s’est autocensuré et a cessé de parler l’arabe à sa fille par honte ou par un «complexe d’infériorité», ce n’est pas du tout le cas de la majorité des Amazighs de France (et d’Europe), qui s’efforcent de préserver et transmettre leurs valeurs humaines, leur identité culturelle et leur langue originelle, trop souvent ignorée par le ministère de l’Éducation nationale. Même l’ex-ministre Mme Najat Vallaud-Belkacem, dont la langue maternelle est le tamazight de ma région natale du Rif, a surpris beaucoup de monde dans ce documentaire en affirmant: «Cette langue (arabe) continue d’être perçue comme le cheval de Troie de ce grand remplacement, de cette invasion fantasmée, de cet islamisme qui fait peur… C’est oublier qu’il y a quantité de gens (athées, chrétiens) qui pratiquent l’arabe, le lisent, l’écrivent… C’est une méconnaissance incroyable de la réalité des locuteurs arabes». Cependant, elle continue à ignorer l’identité réelle de la majorité des membres de la «communauté musulmane» et de la diaspora nord-africaine, dont
En 2016, lorsqu’elle était ministre de l’Éducation nationale, e elle est elle-même issue.lle avait proposé l’apprentissage de la langue arabe à l’école républicaine. À l’époque, je lui ai adressé une lettre critique, lui affirmant que, plutôt que de promouvoir cette initiative, il aurait été plus approprié d’intégrer en priorité la langue amazighe, afin d’aider les enfants d’origine nord-africaine à retrouver les valeurs originelles de leur identité millénaire, fondée sur la tolérance, la liberté et l’égalité, conformément aux valeurs de la République française. Malheureusement, en imposant l’arabe classique, elle contribuait à aliéner les citoyens amazighs d’Europe, issus des montagnes de Kabylie, de la vallée du Souss, des montagnes du Rif et des chaînes de l’Atlas, en poursuivant une politique d’«arabisation idéologique», qui a déjà fait des ravages dans le système éducatif du Maroc et d’autres pays de Tamazgha. Ce phénomène de déracinement culturel, commencé dans les pays d’origine, se poursuit dans les pays d’accueil et, selon une étude pertinente de Manuel Llamas réalisée à la ville de Melilla, conduit inévitablement à la radicalisation d’une partie des jeunes musulmans [2].
En conclusion, tant que les autorités éducatives de France (et d’Europe) ne prendront pas au sérieux la nécessité d’intégrer la langue maternelle authentique des immigrés et des citoyens d’origine nord-africaine dans les écoles, à savoir la langue amazighe, elles continueront à exacerber les crises identitaires et les déracinements culturels, comme je l’ai expliqué aux députés espagnols à l’occasion du 20ème anniversaire des tristes et sanglants attentats de Madrid du 11 mars 2004 [3]…
De plus, comme je l’ai récemment signalé à M. Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc [4], le programme «Éducation 2026» lancé par l’Agence Française de Développement (AFD), au lieu d’améliorer la qualité de l’enseignement et de réduire le décrochage scolaire, risque fort de renforcer la politique d’arabisation idéologique de la petite enfance, aggravant les crises d’identité et les échecs scolaires, et favorisant l’émigration clandestine vers l’Europe, à l’exemple ce que nous venons de voir avec ces tristes et tragiques images de jeunes mineurs qui voulaient traverser, en masse, les frontières des villes de Ceuta et Melilla ce dimanche 15 septembre !
Enfin, j’ai l’impression que l’État français, y compris le président Emmanuel Macron [5], s’acharne à «arabiser» les Amazighs de France et de Tamazgha, sous l’influence d’une élite très minoritaire mais influente, souvent d’origine libanaise, qui continue de voir l’Afrique du Nord non pas comme une région africaine mais comme une région arabe, comme le font certains journalistes de France24 [6]. Historiquement, les «chrétiens arabes du Liban» ont été à l’origine du «nationalisme arabe» en tant qu’idéologie de libération contre la colonisation ottomane. Malheureusement, en Afrique du Nord, cette idéologie, défendue par feu Gamal Abdel Nasser, s’est transformée en une idéologie répressive, ayant engendré des régimes autoritaires et dictatoriaux qui continuent de réprimer les peuples autochtones, y compris les Amazighs.
Par Rachid RAHA, Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe (www.amamazigh.org)
Notes :
[1]- https://www.france.tv/france-2/infrarouge/6436556-mauvaise-langue.html
[3]- https://amadalamazigh.press.ma/fr/il-y-a-des-maures-sur-la-cote/