Sahel: La refondation en question

Abdoulah ATTAYOUB
Abdoulah ATTAYOUB

Mali Azawad : la nécessaire clarification

Les derniers développements au Mali et la place de plus en plus importante qu’occupent les éléments extrémistes au sein du pouvoir actuel constituent une menace sérieuse pour la stabilité et la paix dans la sous-région. Les propos de plus en plus menaçants de certaines membres de la Transition contre des communautés de l’Azawad risquent d’alimenter la méfiance déjà installée par les signaux qu’ils envoient contre les accords d’Alger. Cette tendance se traduit par le retour des discours négationnistes qui occultent les raisons profondes à l’origine du conflit qui oppose l’Azawad à l’Etat central du Mali. On note également le retour en force de mercenaires idéologiques français qui instrumentalisent d’anciennes postures pour tenter de légitimer une supposée expertise qui verse de plus en plus dans un paternalisme qui n’a rien à envier à celui qui est aujourd’hui décrié. Les accords d’Alger demeurent le seul rempart contre d’autres difficultés qui pourraient en effet conduire à l’élargissement du fossé qui existe entre l’Etat malien et une partie de la population. La volonté de certains, de procéder à une « relecture » des accords cache mal leurs vraies intentions consistant à les déclarer tout simplement caducs.

Des extrémiste de Bamako ou de la diaspora malienne, encadrés et chauffés par leurs mentors français font preuve d’une naïveté sinon d’une hypocrisie confondante en laissant croire que c’est la France qui a empêché l’armée malienne d’aller à Kidal. Ils omettent de rappeler ses débâcles à chaque fois qu’elle a essayé de forcer la réalité, souvent en bravant les conseils des autres acteurs militaires sur le terrain. C’est cette même naïveté qui a poussé la junte dans les bras des pans les plus radicaux du paysage politique. Ceux-ci la placent dans une posture qui se caractérise par un sens des réalités préoccupant, pouvant conduire le pays vers des situations intenables dans la durée.

La manipulation de l’opinion passe également par la réactivation, comme faire valoir, de quelques individus en mal de reconnaissance appartenant aux communautés indexées, dans l’unique but de masquer les injustices et les inégalités de traitement entre les communautés. Méthode éculée toujours à l’usage, notamment depuis le conflit du début des années 90. Cette diversion consiste à mettre en avant des individus qui propagent discours et idees de ceux qui combattent objectivement leurs propres communautés. Cette campagne tranche avec la retenue, que d’aucuns jugent excessive, des Mouvement de l’Azawad qui semblent sous-estimer l’impact sur le processus politique en cours des discours haineux émanant parfois des plus hautes autorités de l’Etat.

Les limites du système politique postcolonial au Mali et au Sahel

Afin de garder à l’esprit les processus historiques, il est toujours utile de rappeler que le Mali actuel n’existe que depuis 60 ans et qu’il est le fruit d’une volonté coloniale qui a méprisé la volonté et la souveraineté des peuples qui le composent. Ce pays, à l’instar d’autres de la sous-région, n’a pas été créé sur la base d’une adhésion partagée à un projet national commun. Et ses élites, en 60 ans, n’ont pas su faire correspondre ce fait accompli colonial aux réalités socioculturelles des territoires. Il faut, par conséquent, arrêter de rêver en cherchant à imposer une légitimité fondée sur des mythes et légendes qui ne concernent qu’une partie parcellaire et spécifique du territoire devenu le Mali d’aujourd’hui. De quelle légitimité pourrait se prévaloir une région ou une communauté du pays afin d’imposer sa domination sur d’autres ? Les communautés se connaissent et connaissent leurs territoires respectifs ! La loi du nombre ne saurait être imposée à quiconque dans son espace traditionnel pour légitimer la spoliation de ses terres et de ses droits. L’Etat ne saurait prétendre à une légitimité que s’il permet l’épanouissement et le développement des communautés en respectant les équilibres nécessaires à leur coexistence pacifique. Ceux qui pensent qu’il est possible d’utiliser leur posture, héritée de l’administration coloniale, pour chercher à anéantir sournoisement les autres, ne travaillent ni à l’unité ni à la construction de l’Etat.

Il faudrait se résoudre enfin à prendre en compte toutes les réalités socioculturelle du pays et refonder l’Etat, si l’objectif est de le conserver dans ses frontières actuelles. Le systèmes politique en place depuis l’indépendance a montré son incapacité à réformer les institutions et à se remettre en question en s’ouvrant et en acceptant la diversité et le caractère pluriel des populations qui constituent le PEUPLE. La refondation en trompe l’œil via les ANR (Assises nationales de la refondation) et autre DNI (Dialogue national inclusif ) aura des conséquences désastreuses pour l’avenir du pays si elle se résume à un toilettage du système politique actuel pour lui permettre non pas d’aller vers davantage d’inclusivité mais de se consolider.

La communauté internationale doit respecter les peuples africains et les laisser enfin s’affranchir du carcan colonial que constitue la configuration laissée par les puissances qui ont tracé les frontières actuelles. C’est bien la France et la communauté internationale qui s’entêtent à perpétuer cet ordre injuste qui menace jusqu’à l’existence des communautés sur leurs territoires historiques. La phraséologie prétendument anticolonialiste brandie par certains milieux populistes et les slogans à l’emporte-pièce ne conduiront qu’à une impasse s’ils ne sont accompagnés d’un véritable projet de construction nationale. Avant de chercher ailleurs l’origine de la crise actuelle, encore faut-il que les différents acteurs politiques s’assurent d’en avoir la même perception. En effet, chacune des communautés est animée par une conscience identitaire issue d’une Histoire qui fait sa fierté. Au Sahara central et au Sahel, comme ailleurs, cette Histoire s’est traduite par une empreinte territoriale et géopolitique aux côtés d’autres entités. Le peuple malien ne peut exister réellement que si les communautés se mettent d’accord sur la définition de son l’identité.

Nombre de jeunes maliens, par exemple, ignorent les soubassements de cette crise et pensent naïvement qu’ils sont envahis par des « étrangers » venus de Libye et fabriqués par la France pour « diviser leur pays » ! Alors que, s’il y a des gens que la France a fabriqués, c’est bien ceux qui sont à Bamako et qui pensent que le Mali dans ses frontières actuelles est leur propriété exclusive. Ces derniers doivent se rendre à l’évidence et comprendre qu’ils sont en train d’hypothéquer l’avenir d’un pays multiethnique qui ne pourra survivre que s’il prend rapidement conscience de la diversité de sa population et qu’il en tienne compte dans la gestion de la chose publique. Aucune force extérieure ne pourra durablement imposer la domination d’une communauté sur d’autres. La France a trouvé les peuples du Sahel dans une répartition géographique et une Histoire qui expliquent leurs relations et leurs organisations sociopolitiques. Cette réalité fondatrice et structurante devrait constituer le point de départ de toute configuration institutionnelle. Celle héritée de l’administration coloniale, et imposée par la communauté internationale, a tragiquement montré ses limites.

Le séparatisme risque de prospérer sur l’incapacité des systèmes politiques postcoloniaux à accepter des gouvernances véritablement inclusives.

Le dogme aussi immuable qu’absurde de l’intangibilité des frontières issues de la volonté coloniale a maintes fois été mis à rude épreuve ces dernières années par les réalités nationales dans plusieurs pays car il ne s’est pas accompagné d’exigence d’une bonne gouvernance adaptée aux réalités locales. Certains militants panafricanistes ne réalisent pas qu’ils ne pourront construire le Continent en opposant les peuples les uns aux autres. Ils ont manifestement du mal à s’imaginer autrement qu’à travers le regard qu’ils disent dénoncer ! La vague populiste sur laquelle certains opportunistes en mal d’ancrage cherchent à surfer ne fera que tromper une partie de la jeunesse et perpétuer son aliénation et son incapacité à sortir le continent de sa marginalisation. Il convient d’admettre que rares sont ceux qui ont le courage de poser les vrais problèmes afin de leur chercher des solutions durables.

La fixation sur certaines communautés de l’Azawad et sur…le Président Bazoum au Niger, par exemple, en dit long sur la difficulté de certains extrémistes de Bamako et de…Niamey à imaginer et construire des pays dans lesquels tous les citoyens pourraient se reconnaître. Ces derniers temps, le terme séparatisme est devenu un « gros mot » alors que si des communautés ne parviennent pas à s’entendre sur une gouvernance qui leur permette d’être égales et de partager la gestion de leurs territoires, la séparation devient de fait incontournable. Si ce n’était la volonté de la France puis de la communauté internationale, quels rapports, autres que traditionnels, auraient les habitants de Kidal et ceux de Bamako?  Il faut raison garder et se faire à l’idée qu’aucun peuple n’acceptera de se voir lentement disparaître sans réagir et qu’il tentera toujours de faire valoir ses droits à l’existence, à l’épanouissement de sa culture et à son développement.

Les discours lénifiants sur un Mali fantasmé et sur une nation qui n’a pas su convaincre ne sauraient répondre durablement à la faillite de l’Etat. La force n’est désormais plus le monopole d’un clan qui instrumentalise l’Etat afin d’imposer sa domination et son identité au détriment des autres communautés avec lesquelles il est pourtant censé partager la gestion du pays. La légitimité de la violence ne saurait être l’apanage de l’Etat quand ce dernier ne joue pas son rôle de gardien des droits et intérêts de toutes les communautés qui composent son peuple. Trop de crimes ont été perpétrés par l’Etat malien sur certaines communautés pour qu´elles acceptent le statuquo et le retour de l’armée nationale dans un format vécu comme génocidaire. L’hypocrisie démocratique actuelle est en passe de perdre toute crédibilité ; aussi une nouvelle forme de gouvernance devra-telle finir par s’imposer. De quelle démocratie parle-t-on en effet, lorsque des communautés sont massacrées au nom de l’Etat sans que cela n’émeuve les élites ?  Dans quelle véritable démocratie l’Etat ne poursuit-il pas des criminels confondus et des individus qui appellent ouvertement à exterminer une partie de la population?

Lyon 27 2022

Lire Aussi...

L’ Association kal Akal dénonce de nouveau les flagrantes violations des droits de l’homme à Azawad

Introduction : Membre de la société civile, disposant de son siège social dans la région ...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *