L’échec annoncé de la réforme de la politique éducative du Ministre de l’Education Nationale du Royaume du Maroc

Rabat, le 5 octobre 2022/2972

A Chakib BENMOUSSA,

Ministre de l’Education Nationale, du Préscolaire et des Sports

Gouvernement du Royaume du Maroc

Objet : l’échec annoncé de votre réforme de la politique éducative

Monsieur le Ministre,

A l’occasion de la Journée mondiale des enseignant(e)s, je suis au regret de devoir vous interpeller, de nouveau, sur la question cruciale de l’avenir immédiat de notre système éducatif national et de vos promesses de le réformer en vue de contribuer au nouveau modèle de développement.

Vous avez octroyé un interview à la revue francophone « TELQUEL », (N° 991 du 1er au 7 avril 2022), d’une dizaine de pages, et j’ai malheureusement constaté que vous avez omis d’aborder le grand chantier qu’est l’enseignement de la langue amazighe, désormais deuxième langue officielle de notre pays. A l’époque, je me suis demandé si cette triste omission était intentionnelle ou involontaire ?

Mais le fait que lors de votre conférence de presse du 6 septembre dernier, vous avez annoncé que votre ministère allait recruter tout juste 400 professeurs de langue amazighe, dans l’optique de la continuité de la néfaste politique discriminatoire de l’ancien gouvernement du PJD et de son ministre Saïd Amzazi du MP, votre intention devient plus explicite malgré le fait que vous ayez participé, activement, accompagné de votre staff ministériel, à la rencontre de Nador organisée par votre formation politique, le RNI, en octobre de l’année dernière sur ce chantier précis. A ladite rencontre, vous avez vous-même déclaré qu’il nous faudrait 17.000 professeurs pour généraliser l’enseignement de la langue amazighe pour les écoles primaires (même si les Nations unies les calculent autour de 100 000 professeurs). En suivant votre raisonnement, pour arriver à cet objectif, nous devrons attendre plus de 42 ans pour concrétiser la généralisation de l’amazighe à peine au niveau du cycle primaire !?

Là vous venez d’affirmer, récemment, à New York, lors d’une rencontre à l’ONU organisé avec l’UNICEF, en marge du Sommet de la 77ème séance de l’Assemblée Générale que : « le Maroc a réalisé des progrès notables en matière d’éducation et continue d’œuvrer pour une “véritable renaissance éducative” » et qu’ : « Il est également au cœur de la feuille de route nationale pour la transformation de l’éducation et du Nouveau modèle de développement, adopté en 2021 sous les Hautes orientations royales”. Devant ces ravissants propos, à priori, on ne pourrait rester indifférents.

Cependant, laissez-moi vous assurer que si vous ne changez pas de stratégie, votre réforme de la politique éducative est vouée indéniablement à l’échec, de même que votre « modèle de développement ».

Tant que vous continuerez à exclure la langue amazighe, pourtant officielle depuis 2011, du préscolaire et de limiter son enseignement à moins de 10% des élèves des classes du cycle primaire, soyez  sûr que les abandons scolaires continueront à dépasser les 330 000 élèves annuellement, le taux de déperdition scolaire ne s’améliorera guère, ni le pourcentage de celles et de ceux qui acquièrent les compétences de base de lecture et d’écriture qui selon la Banque mondiale forment les deux tiers des élèves…

Sachez, que du fait de votre entêtement à continuer à exclure l’amazighe aux enfants de 4 et 5 ans des classes du préscolaire et de continuer à bloquer sa généralisation dans les écoles primaires, vous acheminez, le pays, simplement et de façon non responsable en violation de ce qui suit :

Primo, violation à l’encontre des directives royales exprimées lors du discours fondateur d’Ajdir, du 17 octobre 2001, où Sa Majesté Le Roi Mohamed VI avait déclaré, clairement que :  « Dans la mesure où l’amazighe constitue un élément principal de la culture nationale, et un patrimoine culturel dont la présence est manifestée dans toutes les expressions de l’histoire et de la civilisation marocaine, nous accordons une sollicitude toute particulière à sa promotion dans le cadre de la mise en œuvre de notre projet de société démocratique et moderniste, fondée sur la consolidation de la valorisation de la personnalité marocaine et de ses symboles linguistiques, culturels et civilisationnels.

La promotion de l’amazighe est une responsabilité nationale, car aucune culture nationale ne peut renier ses racines historiques. Elle se doit, en outre, de s’ouvrir et de récuser tout cloisonnement, afin qu’elle puisse réaliser le développement indispensable à la pérennité et au progrès de toute civilisation. ».

Secundo, violation à l’encontre des règles constitutionnelles de l’actuelle Loi fondamentale du 1er juillet 2011, dont vous violez manifestement les dispositions du préambule qui prévoit de : « bannir et combattre toute discrimination à l’encontre de quiconque, en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale ou régionale, de la langue, de l’handicap ou de quelque circonstance personnelle », ainsi que les dispositions de l’article 5 qui précise que : « … De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception … ».

Tertio, violation à l’encontre de de la loi organique N° 26.16, concernant les étapes de l’activation du caractère officiel de l’amazigh et sur la manière de l’intégrer dans le domaine de l’éducation et des domaines prioritaires de la vie publique, déjà adoptée par les deux chambres du parlement en 2019 (Dahir n° 1-19-121 du 12 moharrem 1441/12 septembre 2019).

Quarto, violation à l’encontre des recommandations des Nations Unies, dont celles exprimées par le Comité du Pacte international des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, en octobre 2015(1), par le Comité  du sixième rapport périodique du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 1er décembre 2016 et de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, que Mme. Tendayi Achiume avait été élaboré à la suite de son invitation par le Royaume du Maroc en décembre 2018(2).

Quinto, violation à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, dont l’ article 7 affirme que les enfants ont droit à l’éducation dès la petite enfance et dont l’article 8 précise que : « Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale ».

Sexto, violation à l’encontre des recommandations de l’UNESCO à propos de l’importance de la langue maternelle. Je vous rappelle que Mme. Audrey Azoulay, secrétaire générale de l’UNESCO, avait déclaré en 2019, à l’occasion de l’Année internationale des langues des peuples autochtones que : « l’objectif de développement durable étant de « ne laisser personne de côté », il est essentiel que les peuples autochtones aient accès à une éducation dans leurs langues. C’est pourquoi, en cette Journée internationale de la langue maternelle, j’invite tous les États membres de l’UNESCOnos  partenaires et  les  acteurs  de  l’éducation,  à reconnaître et à réaliser les droits des peuples autochtones».

Septo, violation à l’encontre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones(3) et de la Décennie internationale des langues autochtones 2022-2032(4).

Octavo, violation à l’encontre des objectifs du préscolaire de permettre aux enfants de 4 et de 5 ans de « développer des compétences d’ordre psychologique, affectif, social, langagier, cognitif et méthodologique relatives à la connaissance de soi, à la vie en société et à la communication » qui ne pourront se matérialiser que sur la base de la langue maternelle.

Nono, violation à l’encontre des directives de prestigieux experts comme Le Professeur Alain Bentolila qui a souligné lors de son intervention inaugurale du 15 novembre 2019, à Paris, à la Conférence des ministres des Etats et gouvernements de la Francophonie, que : «  les systèmes éducatifs de certains pays, aussi coûteux qu’ils soient, sont devenus des machines à fabriquer de l’analphabétisme et de l’échec scolaire parce qu’ils n’ont jamais su (ou voulu) résoudre la question qui les détruit : celle du choix de la langue d’enseignement. Ils conduisent des élèves à des échecs cruels parce que l’école les a accueillis dans une langue que leurs mères ne leur ont pas apprise et c’est pour un enfant une violence intolérable et que sur la base solide de leur langue maternelle qu’on leur donnera une chance d’accéder à la lecture et à l’écriture et que l’on pourra ensuite construire un apprentissage ambitieux des langues officielles ». 

Decimo, violation à l’encontre des pertinents conseils de la Banque Mondiale, qui souligne l’importance cruciale de la langue maternelle dans l’éducation des enfants (4).

Undecimo, violation à l’encontre de la volonté politique de votre propre chef du gouvernement Amghar Aziz Akhennouch, exprimée lors de son discours d’ouverture au parlement et de son programme gouvernemental où il insiste sur l’indispensable promotion de l’amazighité et de la dotation d’un budget conséquent. Une volonté qu’il vient d’exprimer de nouveau et ouvertement lors de son intervention à la quatrième édition de l’Université d’été des jeunes de votre formation politique, le RNI, qui a eu lieu à Agadir les 8 et 9 septembre derniers ( https://youtu.be/nPpGzaqs0nY ).

Duodecimo, négation à l’encontre de vos propres propos lorsque vous avez effectué, le 21 janvier 2022, une visite à l’école Medersat.com (6), à la localité de Bouskoura, du réseau de la Fondation BMCE Bank pour l’éducation et l’environnement. Vous avez manifesté que : « ce réseau se distingue par rapport aux autres fondations par l’importance accordée à l’enseignement des langues, en particulier la langue amazighe, notant que comme on peut le constater dans cette école qui ne se situe pas dans une région amazighophone, la langue amazighe est enseignée depuis le préscolaire jusqu’à la 6e année du primaire ». Vous avez ajouté que : « l’amazigh est enseigné en tant que langue parlée et écrite et simultanément avec la maîtrise de la langue arabe et de la langue française, relevant qu’il s’agit d’une expérience extrêmement importante pour l’ensemble du système éducatif au Maroc qui montre de ce que cette dynamique est possible lorsque les conditions sont réunies (7) ».

En définitive, si vous voulez, Monsieur le Ministre, que votre ambitieux programme et réforme gouvernementale, affichés, de l’éducation nationale ne soient pas condamnés à l’échec annoncé, il vous appartient de vous ressaisir et de changer de cap. Vous devriez intégrer, le plus urgemment possible, la langue amazighe dans toutes les classes du préscolaire et la généraliser dans le cycle primaire. Le cas contraire, votre réforme et votre « modèle de développement » passeront à la poubelle de la mémoire collective comme « le programme d’urgence » de l’irresponsable ministre Ahmed Akhchichène du PAM, dont l’histoire ne retient bien tristement que le gaspillage, les détournements et les malversations des deniers publics, comme l’avait dénoncé l’ex-président de la Cour Des Comptes, M. Driss Jettou (8).

En espérant que ma note d’interpellation trouvera écho auprès de vous, et ne restera pas lettre morte, veuillez agréer, Monsieur Le ministre, l’expression de mes salutations distinguées.

Rachid RAHA – Amghar de l’Assemblée Mondiale Amazighe

Copie à Monsieur le Chef du Gouvernement

NOTES :

(1)- https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=E/C.12/MAR/CO/4&Lang=Fr

(2)-  https://amadalamazigh.press.ma/fr/lonu-demande-au-maroc-dintensifier-les-efforts-pour-que-les-amazighs-ne-soient-pas-victimes-de-discrimination-raciale/

(3)- https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf

(4)- https://fr.unesco.org/idil2022-2032

(5)- https://documents1.worldbank.org/curated/en/778161626203742899/pdf/Effective-Language-of-Instruction-Policies-for-Learning.pdf

(6)- https://amadalamazigh.press.ma/fr/lassemblee-mondiale-amazighe-interpelle-le-ministre-chakib-benmoussa-sur-le-comment-assurer-un-meilleur-depart-pour-leducation-de-la-petite-enfance-au-maroc/

(7)- www.facebook.com/ChakibBenmoussaMinistre/posts/132826212578989 .

(8)- http://www.courdescomptes.ma/fr/Page-27/publications/rapport-thematique/rapport-sur-l-evaluation-du-programme-durgence-du-ministere-de-l-education-nationale/2-224/

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