Le souk est un terme qui vient de l’arabe (Assuq); c’est l’équivalent du marché en français, ou encore « market » en anglais. Il s’agit en effet d’un espace ou plutôt d’un quartier où chaque commerçant étale ses produits pour les vendre. Le souk est généralement un lieu réservé à la marchandise.
Aujourd’hui, on peut distinguer entre deux types de souks : Le souk hebdomadaire et le souk quotidien. Le premier se situe souvent dans un milieu rural.
Tandis que le deuxième se trouve majoritairement dans des zones urbaines. On ajoute à cela, que le souk quotidien est fréquemment couvert, il prend une appellation du « marché » ; et il est connu par sa cherté.
Toutefois, ce qui nous intéresse dans cet article est le souk de la région rurale, puisqu’on pourrait mettre l’accent sur un souk dans le Haut-Atlas Central.
Que signifie le terme « souk » au Haut Atlas Central? Et Quelles sont ses fonctions sociales, économiques et culturelles ?
Le mot « souk » est un néologisme dans la culture du Haut-Atlas Central, qui s’est développé depuis la période du protectorat. Car, autrefois, ce terme n’existait pas. De même, il y avait des échanges commerciaux qui se tenaient dans les Inurir (terrains publics) et animés par ceux que l’on appelle Iԑettaren (vendeurs ambulants) et isebbaben (commerçants). On peut parler également des artisans-vendeurs qui vendaient leurs produits et services dans des villages. La plupart d’eux étaient des juifs. Lorsque l’artisan-vendeur arrive au cœur du village, il annonce sa venue en criant afin d’informer sa clientèle des types de produits vendables ou des services faisables.
Le mot qui peut être l’équivalent du souk en langue amazighe est agadaz ou Agdez. Avec l’instauration des Français dans cette région atlasique, précisément au milieu des années 1930, on assiste à la création des souks hebdomadaires à côté des sièges des Communes. C’est à partir de ce temps-là que la gestion des souks est assurée par les services municipaux. Tous les commerçants devaient payer un impôt, qui est lié à l’espace exploité par les commerçants qui exposaient leurs produits.
Au Haut Atlas Central, l’expression «souk » prend une toute autre signification. Le jour du souk se tient une seule fois par semaine. Ce jour-là est exceptionnel pour tous les résidents de la vallée et des oasis (Province de Tinghir). En effet, tous les villageois se réunissent et participent à cette sorte de fête. On peut affirmer que ce jour ne se limite pas à faire des courses. C’est une forme d’organisation sociale à vocation économique .
Pendant la journée du souk, les nomades sédentarisés descendent très tôt pour visiter le point central des tribus ; les villageois viennent également faire leur marché. À l’époque, tous ces montagnards venaient à dos d’un âne ou de mulet en parcourant de longues distances pour arriver au souk. Cette situation se fait actuellement par les nomades qui s’abritent encore dans les montagnes privées de chemins macadamisés. C’est l’unique espace où tout le monde peut acheter ce qu’il veut.
Le souk est considéré comme un endroit de sociabilité de la population assurée par la rencontre effective. Cela se traduit par la communication qui s’établit entre les gens, parce que les villageois sont dispersés dans les flancs des montagnes ; et ils n’ont pas de chance de se rencontrer qu’au jour du souk. Les gens s’y informent et partagent des nouvelles des autres tribus. Les gens débattent les sujets d’intérêt commun. Le souk est donc une opportunité de négocier et de se rencontrer et il n’est pas limité à la vente des produits.
Dans cette région, le souk est divisé en plusieurs parties qui sont les suivantes : la partie réservée aux légumes, aux habits, à la laine, aux grains, aux artisans, et la partie nommée Rrḥebt (la cour) qui est réservée au bétail (bovins, caprins, ovins et équidés). Jadis, il existait une personne appelée Amehray (le meneur) qui était chargée de faire parvenir des ovins achetés aux acheteurs le soir. Il se faisait payer pour cette tâche. Il réalisait sa fonction selon des règles strictes. En effet, lorsqu’ il distribue des brebis, des moutons et tout ce qui concerne le bétail s’il ne trouvait pas le possesseur à la maison il passait ces animaux à une autre personne chargée de les garder jusqu’à la venue de possesseur.
Dans le souk de montagne, il existait également une partie nommée tassuqt c’est-à-dire le petit marché. Cette place était réservée aux produits forgés (fers à cheval, faucilles, couteaux, pièges, pieux,…etc), des produits traditionnels (tapis, manteaux), des fruits secs, des lapins et de la volaille.
Le jour du souk est comme un rituel ancestral pour tous les adultes. Aucun d’eux ne peut pas rater sa visite. Les tribus de la région se retrouvent pour échanger leurs productions. Jadis, ceci se faisait par « tamsenfelt ou asemrara » qui veut dire le troc.
Le souk constitue un endroit d’interaction politique, sociale et culturelle. C’est là où l’on peut trouver des notaires qui rédigent et signent des actes de mariage ainsi que des actes de possession. Le juge traditionnel se présentait également durant ce jour afin de régler les problèmes des gens. C’est au souk que se règlent donc des litiges. La médecine traditionnelle représentée par le dentiste menu de pinces se déplace là afin de retirer des dents cariées aux souffrants. Le tailleur tient sa place dans le souk. Le coiffeur s’occupe du rasage des cheveux des enfants et des hommes. C’est au souk que l’on peut emprunter de l’argent chez une telle personne. Le souk est donc un espace de déroulement d’activités que ce soit artisanales, culturelles ou économiques (échanges de biens et de produits). La relation client vendeur demeure effectivement proche ; car ils y a plein de confiance entre eux bien qu’ils soient parfois de la même tribu.
Il existe au Haut Atlas Central un type d’activité, qui a lieu lors des périodes de sécheresse, c’est ce que l’on appelle Aḥtal : une sorte de voyage collectif à dos de mulets à destination d’une région fertile pour y chercher des céréales, des dattes et tous les approvisionnements nécessaires aux villageois).
Selon la tradition d’aḥtal, c’était les villageois qui choisissaient le groupe qu’ils voulaient envoyer, ce groupe s’appelait à l’époque Imeḥtalen.
On ne peut pas oublier que le jour du souk est un carrefour des poètes et des poétesses doués appelés localement ; Imedyazen (poètes). Durant ce jour, plusieurs artistes se présentent afin de présenter leurs talents. Les gens ne cessent de regarder les cercles des artistes et des humoristes.
Car cela crée une certaine convivialité dans leurs cœurs. C’est grâce à cela que tout le monde est content de fréquenter le souk. Lors de ce jour, les membres de tajemmaat (représentants de la tribu) fixent leur date de réunion dans le village. Les transhumants et les nomades viennent massivement pour acheter leurs denrées et leurs provisions. C’est au souk que les produits sont échangés.
La visite du souk est une nécessité impérieuse. Autrefois, le premier signe de la virilité se mesure par la capacité de l’assistance au jour du souk.
Seuls les hommes avaient le droit d’aller au Souk.
Les femmes, quant à elles, n’avaient pas leur place dans cette aire commerciale. Car, la tradition leur interdisait de se rendre au souk ; même les veuves étaient obligées d’envoyer quelqu’un pour leur apporter tout ce dont elles avaient besoin. Cela trouve son origine dans l’héritage colonial, parce qu’on croyait qu’à l’époque ; le souk est un brassage entre les hommes et les Iroumin (chrétiens) et la femme n’avait pas le droit d’être présente au milieu de ces derniers. Comme on l’a constaté déjà au mont Bougafer lors des négociations entre les résistants Ait Atta et l’armée française en 1933.
On assiste de nos jours à une perte progressive de la place que le souk occupe dans notre société. Le souk au Haut-Atlas Central est à la fois un lieu de commerce et de tourisme. On distingue en société berbère entre souk et agdud (festival); ce dernier est un très grand marché qui se tient annuellement pour une occasion cultuelle ou historique. Il est ouvert à tout le monde. Pourtant le souk est réservé seulement aux résidents locaux. Selon TROIN Jean-François, dans son étude sur les souks marocains : « le réseau des souks étant la combinaison dans l’espace géographique d’une série de marchés se succédant dans la semaine en des lieux différents, chaque réseau est ainsi dirigé par un marché pôle» .
Ces dernières années, il y a la création des échoppes et des boutiques dans les villages ce qui facilite la situation de marchandise aux villageois par-rapport aux années précédentes où on attendait le jour du souk ou bien l’arrivée d’un camelot au village. Le souk est donc traité comme une forme culturelle, une institution sociale et un type économique. C’est une occasion qui rassemble les montagnards pour discuter ; donc, il n’est pas seulement une journée réservée aux affaires.
Toutefois, beaucoup de rituels et d’activités sont disparues dans ces souks traditionnels.