En Algérie, une nouvelle élection à contre-pied des aspirations démocratiques
Le 7 septembre, les Algériennes et les Algériens sont appelés à voter lors d’une élection présidentielle anticipée, où le président sortant Abdelmadjid Tebboune et deux autres candidats sont en lice. Ce scrutin, dont l’issue semble connue d’avance, vise à consolider la domination du régime au pouvoir, en dépit d’une crise de légitimité profonde qui s’est aggravée depuis 2019.
Abdelmadjid Tebboune a accédé à la présidence en décembre 2019 après une élection massivement contestée par les manifestations pacifiques du Hirak et boudée dans les urnes avec un taux officiel de participation de 39,88 %, le plus bas depuis l’indépendance.
Le premier mandat du président Tebboune a été marqué par un harcèlement systématique et une répression sans relâche contre des milliers de citoyen·ne·s et militant·e·s pacifiques, par une restriction croissante des libertés d’expression et de presse, et par l’instrumentalisation politique de l’appareil judiciaire sous le contrôle strict de l’exécutif et des services de sécurité. Jusqu’ici, tous les moyens de l’État sont utilisés pour étouffer la contestation populaire et enterrer toute velléité de démocratisation.
Le rétrécissement de l’espace civique est sans précédent depuis au moins deux décennies. A ce jour, plus de 200 personnes sont arbitrairement détenues pour avoir exprimé des opinions critiques envers les autorités ou pour leurs activités militantes pacifiques. Les manifestations publiques sont devenues quasi impossibles à organiser, y compris par des partis politiques agréés, et ce depuis le printemps 2021, date des dernières manifestations du Hirak.
La société civile algérienne autonome est étouffée et réduite à peau de chagrin. Deux de ses organisations phares, le Rassemblement action jeunesse (RAJ) et la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), ont été arbitrairement dissoutes par la justice administrative entre 2021 et 2022 et deux partis politiques d’opposition, le Parti socialiste des travailleurs (PST) et le Mouvement démocratique et social (MDS), ont été suspendus entre 2022 et 2023, pour une durée indéterminée. De plus, des dizaines de membres de ces associations et partis ont aussi fait l’objet de poursuites pénales et plusieurs ont été contraints à l’exil.
Le slogan de « l’Algérie nouvelle » du chef de l’État, censé marquer une rupture avec les pratiques du régime d’Abdelaziz Bouteflika, à aussi sonné le glas d’une presse qui jouissais avant 2019 d’une relative liberté de ton. Les journalistes et médias subissent de plein fouet la répression à l’instar du journaliste Ihsane El Kadi, qui purge une peine de sept ans de prison pour avoir exercé son métier. La Presse critique écartée, il reste l’audiovisuel public étroitement contrôlé par l’exécutif et des médias privés économiquement fragiles, dépendants de la manne publicitaire publique allouée par une agence gouvernementale.
Les lois très restrictives régissant les partis politiques, les associations et les libertés de manifestation et de réunion n’ont toujours pas été révisées pour se conformer aux normes internationales et aux engagements de l’Algérie. Quant aux récentes lois sur l’information et la presse et la loi sur l’activité syndicale, elles se caractérisent par de multiples « lignes rouges » qui font de la restriction de la liberté la norme plutôt que l’exception.
Une telle situation porte gravement atteinte aux droits et libertés fondamentales, et rend impossible un pluralisme politique réel et l’exercice effectif des libertés d’expression, d’association et de réunion, conditions indispensables à tout scrutin libre et honnête. La campagne électorale de 2024 se déroule, une fois de plus, dans un climat autoritaire, en dépit des aspirations démocratiques exprimées par le Hirak.
L’abstention comme acte politique
Depuis décembre 2019, les autorités n’ont cessé de durcir la législation pénale, introduisant de nouvelles dispositions répressives. La révision du Code pénal de juin 2021 a introduit l’amendement le plus emblématique de cette stratégie d’étouffement : l’élargissement de la définition du « crime de terrorisme » pour y inclure les revendications de transition démocratique du Hirak et le séparatisme.
Cette même réforme a institué une liste officielle d’individus et d’entités considérées comme « terroristes », sur laquelle tout citoyen peut être inscrit sans même avoir été jugé.
Ainsi, deux organisations qui n’avaient pas de statut légal en Algérie, Rachad et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), ont ainsi été officiellement classées comme entités « terroristes ». Depuis, des centaines de personnes, parfois sans aucun lien avec ces mouvements, et agissant de manière pacifique, ont été poursuivies pour « apologie du terrorisme » ou « appartenance » à l’une ou l’autre de ces organisations. Les accusations de « terrorisme » sont non seulement largement utilisées par les tribunaux algériens dans le cadre de la répression politique, mais elles ravivent aussi des blessures liées au conflit des années 1990.
Sur le plan juridique, la liste officielle d’individus et entités considérés comme « terroristes » va, par certains aspects, à l’encontre du droit à la présomption d’innocence, garanti par la Constitution et les conventions internationales auxquelles l’Algérie est partie prenante. Pourtant, elle a été déclarée conforme à la loi fondamentale par le Conseil constitutionnel, prédécesseur de la Cour constitutionnelle. Cela n’augure rien de bon pour le scrutin à venir, car cette même Cour, dont le tiers des membres est nommé par le président de la République, joue un rôle important dans le contrôle de la régularité du scrutin présidentiel.
Malgré la répression et la mise sous cloche de la vie politique, les aspirations démocratiques exprimées par les Algériennes et les Algériens durant le Hirak restent d’actualité. Une large majorité de citoyen·ne·s avait refusé de voter lors de l’élection présidentielle de décembre 2019, du référendum constitutionnel de novembre 2020, et des élections législatives de juin 2021, estimant que les conditions d’élections libres et honnêtes n’étaient pas réunies. Dans de telles conditions, l’abstention est un acte politique significatif.
Or, le droit de vote est plus que jamais traité à l’occasion de cette présidentielle comme une formalité administrative, et non comme un acte politique, un pilier de la citoyenneté et de la démocratie. Dans ces conditions, la crise de légitimité et l’absence d’un État de droit ne feront que s’aggraver, au détriment d’une société qui a démontré sa volonté politique d’écrire une nouvelle page de l’histoire algérienne : celle d’un État de droit démocratique.
Signataires
- Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA) Comité de sauvegarde de la LADDH
Libertés Algérie - Mouvement IBTYKAR
- Riposte internationale
- Tharwa N’Fadhma N’Soumeur
- Coordination des organisations maghrébines des droits humains (COMED) EuroMed Droits
- Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
- Forum de solidarité euro-méditerranéenne (FORSEM)
- Institut du Caire pour les études des droits de l’Homme (ICEDH)
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
- SHOAA for Human Rights
- Assemblée Mondiale Amazighe (AMA).